Soutenir sa thèse en visioconférence : avantages et limites d’une pratique née de la crise
Par Isabelle Cormaty | Le | Doctorat
Du fait de la situation sanitaire, le recours à la visioconférence pour les soutenances de thèse et les présentations des travaux dans le cadre d’une Habilitation à diriger des recherches (HDR) est pérennisé.
Une modalité qui devra être utilisée « à titre exceptionnel », mais qui ne satisfait pas tous les doctorants : si certains sont soulagés d’éviter un report de soutenance, d’autres sont déçus de terminer leurs parcours par une simple « visio ».
« Aujourd’hui, j’ai un emploi d’ATER à l’Université de Nantes, sans le diplôme de docteure, je n’aurais pas eu ce poste », commence Maureen Déniel. Elle a soutenu sa thèse de physique appliquée à la biologie et l’environnement à l’Université du Mans le 5 juin dernier, avant la fin de son contrat doctoral.
La jeune femme a préféré la visioconférence plutôt qu’un hypothétique report de soutenance de six mois qui l’aurait forcé à trouver un autre travail entre deux, puis à se replonger dans sa thèse après une longue pause.
À défaut de pouvoir soutenir devant en présentiel, la visioconférence permet aux candidats d’obtenir leur doctorat sans un report de plusieurs semaines ou plusieurs mois. Cela leur évite de « passer à côté d’opportunités professionnelles comme des contrats de post-doctorat », affirme Kim Gauthier, présidente de la Confédération des Jeunes Chercheurs (CJC) à Campus Matin.
La visioconférence assure ainsi l’attribution des diplômes de docteur et une continuité dans les recrutements et concours éligibles à ce grade.
« En mars, on avait arrêté toutes les soutenances. La question de la visioconférence se pose depuis avec une réelle acuité pour la qualification du Conseil national des universités », souligne Éric Gojosso, directeur du Collège des écoles doctorales de l’Université de Poitiers.
Principale crainte : les soucis techniques
Du stress supplémentaire
Pour autant, le recours à la visioconférence soulève quelques inconvénients, à commencer par la peur des problèmes techniques. Coupure d’électricité, latence du réseau, déconnexion malencontreuse de la réunion à distance, dysfonctionnement du matériel… autant de problèmes, rares, mais possibles.
« Les aléas techniques rajoutent du stress supplémentaire au candidat », constate Kévin Bonnot, secrétaire de la CJC.
« Tous les doctorants ne travaillent pas dans les mêmes conditions matérielles, la visioconférence peut renforcer certaines inégalités », met en garde l’association.
Le jury fait preuve de bienveillance
Maureen Déniel avait répété plusieurs fois sa soutenance en visio. « J’appréhendais beaucoup avant, mais finalement la visioconférence n’a pas été un problème », affirme-t-elle.
Sa directrice de thèse, Fabienne Lagarde, chercheuse à l’Institut des molécules et matériaux du Mans se souvient-elle aussi d’un moment « beaucoup plus stressant en amont » que durant la soutenance.
« Une fois que tout le monde était connecté et que ça a commencé, tout s’est bien passé. Le jury fait preuve de bienveillance par rapport à la technique », assure-t-elle.
100 % en ligne ou hybride
Pour limiter les problèmes techniques, les soutenances des écoles doctorales de l’Université de Poitiers se déroulent sous format hybride depuis le nouveau confinement, mis en place le 31 octobre.
« Seules trois ou quatre personnes sont présentes dans la salle : le candidat, son directeur de thèse et un informaticien ou technicien. Cela rassure les doctorants », décrit Éric Gojosso.
Même en période de confinement, les soutenances de thèse peuvent en effet se tenir en partie en présentiel (hybride) ou à l’inverse 100 % en ligne.
Des échanges parfois différents et moins de convivialité
Outre les soucis techniques, la visioconférence induit parfois « un léger décalage entre les interventions ce qui nuit à la qualité des échanges », ajoute Éric Gojosso. Ce dernier note également « le manque de conversations informelles entre les membres du jury ».
« Les échanges avec le jury peuvent être de moins bonne qualité en visio », constate également le CJC en précisant que cet avis n’est pas partagé par tous les docteurs. Maureen Déniel par exemple n’a pas eu cette impression. « Le jury a pris la parole, chacun à son tour et les échanges ont été de qualité, mais assez limités dans le temps », tempère-t-elle.
La publicité des débats garantie
Quel que soit le format de la soutenance, en présentiel ou à distance, le public doit pouvoir y assister. Même en visioconférence, le doctorant peut être soutenu par sa famille, ses amis, ses collègues de manière virtuelle. Moment marquant d’une thèse, la soutenance publique perd de sa symbolique en visioconférence…
« La présence du public est vraiment importante, voir un membre de sa famille et ses amis compte beaucoup. Pendant ma soutenance, l’ambiance était différente, il y avait des auditeurs connectés, mais je ne les voyais pas, c’était moins impressionnant. J'ai mis longtemps à réaliser que j’avais passé ma soutenance », confie Maureen Déniel, cinq mois après.
Toutefois, la visioconférence facilite l’écoute des personnes éloignées géographiquement. « Des chercheurs et amis de différents endroits du monde et de la France ont regardé ma soutenance alors qu’ils n’auraient pas pu faire le déplacement en temps normal », relativise la docteure en physique.
« Il suffit d’envoyer un lien de connexion pour qu’une personne assiste à la soutenance, c’est facile, mais les collègues du laboratoire sont moins présents aussi. Le public en visio n’est pas le même qu’en présentiel », conclut Kim Gauthier.
Un moment symbolique sans convivialité
L’absence de public présent physiquement malmène également un autre symbole de la fin de la thèse, l’attribution du grade de docteur, qui se fait sans applaudissement ni fête. « Le doctorat, c’est l’aboutissement de huit années d’études, rappelle la CJC. C’est un peu triste de terminer sur une visio sans moment de partage. »
l’impression de partir sans faire de bruit.
« J’ai été un peu déçue de ne pas poursuivre l’échange avec le jury de manière plus informelle après ma soutenance, c’était un peu frustrant », explique Maureen Déniel.
Sa directrice de thèse, Fabienne Lagarde regrette également qu’il n’y ait pas eu « de fête pour marquer son départ du laboratoire et dire au revoir à ses collègues ». La docteure confie : « J’avais un peu l’impression de partir sans faire de bruit. »
La visioconférence jusqu’à quand ?
Optimiste, Éric Gojosso affirme que le recours à la visioconférence n’est qu’une mesure « conjoncturelle qui ne peut s’inscrire dans la durée après la crise sanitaire ». Cette possibilité étant désormais inscrite dans les textes, la CJC reste quant à elle vigilante.
« Pour l’instant, il faut mettre en place la visioconférence, car nous sommes dans une situation d’urgence, mais chaque doctorant doit avoir a possibilité de reporter sa soutenance s’il le souhaite, insiste Kim Gauthier, présidente de la CJC.
Et il ne faut pas que la visioconférence se pérennise après, sous prétexte que cela est plus pratique, permet de gagner du temps et aux labos d’économiser sur les frais de déplacement des membres du jury. »
Pour rappel, le 20 octobre, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche s’était prononcé en faveur de la visioconférence « non pour supprimer les soutenances ou présentations en présentiel, mais pour permettre une souplesse dans les cas où, hors situations d’urgence, des membres du jury, le candidat ou le doctorant ne peuvent se déplacer », selon les termes du rapport présenté aux membres de l’instance consultative.
Ce que prévoit l’arrêté sur la visioconférence
Après le report de toutes les soutenances de thèse au printemps dernier lors de l’instauration du confinement, le gouvernement avait finalement autorisé mi-avril le recours à la visioconférence, dans un premier temps jusqu’au 1er octobre.
Mais, en raison des conditions sanitaires, la mesure vient d’être pérennisée « à titre exceptionnel » par un arrêté paru au Journal Officiel le 3 novembre. Elle concerne à la fois :
• la soutenance de thèse pour les doctorants ;
• la présentation des travaux dans le cadre d’une HDR.
Le texte prévoit une certaine souplesse sur le format (hybride ou 100 % en ligne). Il autorise « le doctorant et les membres du jury, en totalité ou partiellement, à participer à la soutenance de thèse par tout moyen de télécommunication permettant leur identification ».