Ressources humaines : les multiples défis de l’enseignement supérieur
Par Marine Dessaux | Le | Management
Les ressources humaines sont, de plus en plus, au cœur des préoccupations des institutions d’enseignement supérieur. Quels sont les enjeux pour l’avenir et quels sont les freins ? Lors de Think Éducation et Recherche, le 8 février 2024, un débat a permis de croiser les regards d’établissements, de syndicats et d’acteurs des collectivités.
Comment réinventer l’organisation RH de la fonction publique pour mieux attirer les personnels, gérer leur carrière et les retenir ? De l’université au ministère de l’ESR, en passant par les collectivités territoriales, les façons de faire évoluent.
« Attirer, développer et conserver les talents »
Comment définir la performance RH ? Côté établissements, c’est « la capacité à attirer, à développer et à conserver les talents, ce dernier point étant l’une de nos plus grosses difficultés », rapporte Valérie Gibert, directrice générale des services à l’Université de Strasbourg (Unistra), présidente de l’association des DGS (ADGS).
Elle détaille les quatre piliers de la performance RH :
- Attirer les personnels,
- Gérer leur carrière,
- Accompagner le développement de leurs compétences et leur adaptation aux nouveaux projets,
- Travailler sur l’image de l’université, via la marque employeur et les valeurs.
Pour y parvenir, la marque employeur « n’est ni un gros mot ni un tabou, mais une qualité essentielle du service public », assure-t-elle.
« S’appuyer sur le vécu au travail des agents »
Pour la secrétaire générale du syndicat de l’éducation nationale et l’ESR, Sgen-CFDT, Catherine Nave Bekhti : « Une université performante, en termes de gestion des RH, est une université qui s’appuie sur le vécu au travail de tous les agents, quel que soit leur métier, leur ancienneté. »
Cela passe par le dialogue professionnel, via des espaces dans lesquels les agents peuvent exprimer leurs besoins, et le dialogue social pour « construire à la fois des procédures et des politiques à l’échelle de l’établissement afin d’améliorer les conditions de travail des agents ».
« Établir une relation partenariale »
Dans une collectivité territoriale, la performance RH « c’est d’abord de faire comprendre que les ressources humaines sont un service pour tout le monde et établir une relation partenariale pour faire en sorte que chacun soit heureux au travail, engagé et produise plus et mieux », définit Fabienne Chol, directrice générale adjointe en charge des RH à la Région Île-de-France. Cela demande d’être à l’écoute des aspirations des collaborateurs et attentif aux évolutions sociétales.
La région Île-de-France a quitté ses locaux du 7e arrondissement de Paris pour rejoindre l’écoquartier des Docks à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, à partir de janvier 2018, une opportunité pour modifier son approche RH.
« Cette administration était un peu sclérosée, très disparate, cloisonnée, avec énormément de hiérarchie. Et il y avait un vrai problème de sens au travail. Nous nous sommes servis de cet énorme projet de déménagement pour transformer complètement notre façon de travailler », explique Fabienne Chol.
En conclusion : « Les RH doivent être un allié pour chacun et certainement pas un frein ».
« Faire de la diversité, un facteur de synergie »
La performance RH est au cœur du projet stratégique de la direction générale des RH (DGRH) des ministères de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de l’ESR.
Au niveau national, l’enjeu est de trouver un équilibre pour les établissements qui doivent « pouvoir être autonomes tout en s’inscrivant dans un cadre national et dans un cadre statutaire », souligne Ali Ferhi, adjoint au DGRH et chef du service des personnels enseignants de l’ESR au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Le rôle de la DGRH est « de faire de cette diversité, qui pourrait être un facteur de moindre performance, un facteur de synergie de par la diversité des points de vue ».
Attractivité des talents, quels leviers ?
Alors que la rémunération est insuffisante pour être un levier d’attractivité, les universités doivent miser sur le sens au travail, la formation ou encore la diversité des missions. « Il faut dire aux futurs personnels : vous pouvez avoir beaucoup d’autonomie dans la mise en œuvre de votre métier, nous pouvons vous accompagner, valoriser vos compétences, apporter un plan de formation… », expose Valérie Gibert.
La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences
La politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (Gpec) est donc incontournable. Certains établissements misent sur les écoles des cadres ou encore des bureaux des carrières pour les personnels Biatss, mais aussi pour les enseignants-chercheurs.
« À l’Unistra, nous travaillons sur la cartographie des métiers et compétences et demandons, à tous les agents non enseignants dans un premier temps, de s’autoévaluer et de mesurer ce dont ils ont besoin pour leur développement professionnel et après à nous d’y répondre », indique Valérie Gibert.
Ce qui fera la différence, selon la DGS, c’est la façon de mesurer la qualité de vie au travail. « Nous pouvons par exemple mettre en place un baromètre social pour mieux répondre aux attentes des salariés de l’établissement », suggère-t-elle.
Miser sur la cohérence et transparence
Fabienne Chol souligne de son côté l’importance d’être « extrêmement transparent et crédible ». Cela nécessité cohérence et pédagogie de l’institution envers ses personnels. « Il est préférable d’aller moins vite dans le souhait d’attractivité à tout prix, mais de vraiment mettre en cohérence les discours et les actes. »
La Région Île-de-France a organisé des concours, notamment sur le thème de l’écologie et de la solidarité. À l’issue d’un vote collectif, les trois gagnants ont vu leurs projets financés et accompagnés par la collectivité. « Ce sont des choses qui ancrent vraiment les valeurs qui sont promues par l’employeur et qui donnent l’occasion de montrer et de le faire vivre au quotidien par l’ensemble des agents », apprécie la directrice générale adjointe en charge des RH.
Sous-investissement, décrochage du pouvoir d’achat… Des obstacles à l’attractivité à réduire
Pour être attractif, « il faut commencer par réduire les sources d’inattractivité », priorise Catherine Nave Bekhti. Elle déplore un sous-investissement chronique dans l’enseignement scolaire et supérieur.
« Cela se traduit, par exemple, par un taux d’encadrement qui n’est pas à la hauteur. Nous n’avons pas suffisamment investi dans la capacité à accompagner le développement considérable du nombre d’étudiants et d’étudiantes et à accompagner correctement, en particulier ceux qui sont pionniers dans leurs familles à l’accès à l’enseignement supérieur et n’ont pas les codes », dénonce-t-elle.
Résultat : des conditions dégradées pour les agents et un sens au travail affecté. « Beaucoup de nos collègues ont le sentiment d’être contraints de mal travailler. »
Des difficultés structurelles de gestion de carrières et des statuts limitants
Enfin, la syndicaliste cite la question de l’accueil des nouveaux personnels au sein des universités et les difficultés structurelles de gestion de carrière.
« Sur la mobilité des enseignants-chercheurs, attirer des candidats ce n’est pas seulement les attirer sur un poste, c’est aussi leur dire comment ils pourront dérouler leur carrière. Aujourd’hui, on n’attire pas les travailleurs en leur disant qu’ils ont 45 ans de carrière à faire au même endroit sur le même métier. C’est aussi ouvrir les possibilités derrière. Comme s’il fallait prévoir tout de suite la mobilité suivante pour attirer sur le poste actuel », remarque Catherine Nave Bekhti.
Fabienne Chol, elle, déplore des statuts qui « craquent par tous les bouts » et compliquent la promotion interne. « Nous sommes bloqués par les quotas et les progressions sont extrêmement lentes, tassées. Et puis, dans 25 % des cas, nous recrutons des contractuels et cela crée une dichotomie. » Des contractuels précarisés que la fonction publique ne peut pas recruter directement en CDI.
Indemnitaire : la concurrence du privé et des collectivités territoriales
La rémunération est un défi majeur. Le Sgen-CFDT estime à environ 30 % le taux de décrochage du pouvoir d’achat relatif des professions scientifiques publiques.
Et, même en son sein, la fonction publique crée des déséquilibres. « Nous faisons face à une concurrence très forte de notre environnement académique, des collectivités territoriales… », rapporte Valérie Gibert.
Sur ce sujet de la rémunération, Ali Ferhi reconnaît que l’ESR fait partie des champs « les plus faibles ». Il souligne néanmoins des « efforts sans précédent » avec 92 millions d’euros consacrés aux enjeux RH dans le cadre de la LPR et la volonté du président de la République, Emmanuel Macron, de lancer un acte deux de l’autonomie des établissements.
SIRH, SID… Les outils en renfort du pilotage des RH
« Nous manquons d’outils, mais nous avons progressé, nous travaillons sur des systèmes d’information des ressources humaines (SIRH) plus performants, sur des systèmes d’information décisionnels (SID) qui nous permettent d’avoir un certain nombre d’indicateurs », expose Valérie Gibert.
Parmi les outils intéressants pour le pilotage des établissements, elle cite les rapports sociaux et les bases de données sociales, qui sont également mis à disposition des représentants des organisations syndicales. « Cela nous permet de nouer un dialogue construit sur le cheminement et les orientations de l’établissement en matière de RH », poursuit la DGS.
Odyssée : un nouveau portail de suivi carrière des enseignants-chercheurs
Très attendu, le nouveau portail de suivi carrière des enseignants-chercheurs Odyssée, qui succédera à Galaxie, devrait sortir en 2025. Il s’appuiera sur de l’informatique décisionnelle et fournira la DGRH en données, au-delà de celles déjà transmises par les SI des établissements. « Plus nous pourrons nous interconnecter avec des SI harmonisés, plus nous pourrons obtenir des comparatifs, stabilisés, objectivés et dégager des informations en matière d’inégalités, et avoir un ajustement au plus près de chaque établissement », indique Ali Ferhi.
Cette vision globale permettra de tirer le bilan des innovations RH, à l’instar des chaires de professeurs juniors introduites par loi de programmation de la recherche de 2020.
La déconcentration de gestion, clé de la performance RH ?
Dans un référé publié en janvier dernier, la Cour des comptes appelait à un « retour à la loi » sur la question du temps de travail des personnels Biatss. Rares sont les universités à travailler à se rapprocher des 1607 heures de travail annuelles prévues par la loi pour le personnel non enseignant.
« Le temps de travail n’est pas le premier sujet que nous avons envie d’aborder, admet Valérie Gibert. Réglons d’abord le problème de l’attractivité salariale, des primes… Et le problème du temps de travail arrivera tout seul. »
Pour cela, elle appelle à donner aux établissements la pleine responsabilité de l’employeur. « Il faut aller plus loin dans la déconcentration de gestion, aller plus vers la pluriannualité, la simplification, autonomie. » Et laisser plus de marge à l’expérimentation, comme le font déjà certains établissements avec la semaine de quatre jours, l’élargissement le télétravail…
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