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Heures complémentaires : le sujet qui fâche (ou pas)

Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Personnels et statuts

Dans la plupart des universités, les heures complémentaires, pour assurer cours, TD et TP, font l’objet d’une inflation galopante depuis plusieurs années. Drainant dans leur sillage des polémiques aussi enflammées qu’anciennes : tarifs de misère, prétexte pour ne pas embaucher… Mais au fond, si le système dure, c’est parce qu’il arrange tout le monde, tant les universités que les enseignants.

Que vaut le système des heures complémentaires dans les universités ?  - © Conférence des présidents d’université - Université de Franche-Comté
Que vaut le système des heures complémentaires dans les universités ? - © Conférence des présidents d’université - Université de Franche-Comté

Ce sont les « heures sup’ » des profs. Les heures complémentaires (HC) sont les heures de cours assurées par les universitaires au-delà de leur service statutaire (toujours inférieur à 35h). Ces heures « bonus » ont toujours existé dans le supérieur. 

Aucune réglementation n’impose leur plafonnement. Celui-ci est recommandé, mais il revient à chaque établissement de le déterminer… ou pas. Par défaut, on considère généralement qu’il convient de contenir ce volume d’heures au double du service annuel des enseignants concernés - soit 192 heures équivalent TD pour un enseignant-chercheur et 384 pour un enseignant du second degré, agrégé ou certifié. 

Mais leur inflation est continue dans toutes les universités, et s’avère même galopante dans certaines.

Dérapages incontrôlés

L’Université Toulouse 3 figure parmi les établissements pointés du doigt en 2010 pour sa gestion des HC. - © Université Toulouse Paul Sabatier
L’Université Toulouse 3 figure parmi les établissements pointés du doigt en 2010 pour sa gestion des HC. - © Université Toulouse Paul Sabatier

Un cas d’école avait même fait grand bruit en février 2010, lorsque la chambre régionale des comptes avait pointé du doigt la gestion financière de l'Université Toulouse 3 Paul-Sabatier entre 1999 et 2007. Les magistrats y dénonçaient l’opacité qui entourait les frais de personnel, notamment les dépenses d’heures complémentaires. La juridiction n’évoquait pas moins de 100 000 heures - soit au total quatre millions d’euros - facturées sans aucun justificatif, et donc, sans que l’on puisse déterminer si les enseignants avaient ou non effectivement dispensé ces cours.

Combien de ces dérapages localisés recense-t-on au niveau national ? Impossible de le savoir précisément, les établissements d’enseignement supérieur, et notamment les universités, assurant de manière autonome leur gestion et leur suivi depuis l’accès aux responsabilités et compétences élargies (RCE).

D’où une certaine opacité persistante. Et ce, en dépit de la mise en place d’un réel travail d’apurement et de transparence par nombre d’universités depuis le début de décennie 2010. Une évolution portée par deux phénomènes de fond. D’une part, la multiplication des missions d’audit visant à limiter cette inflation. D’autre part, la nécessité de rétablir leur équilibre financier.

Travail de normalisation

Une tâche menée notamment, entre 2016 et 2018, à l'Université Toulouse 1 Capitole, sous l’impulsion de Corinne Mascala.

Corinne Mascala a voulu limiter les heures complémentaires lorsqu’elle présidait l’Université Toulouse 1 Capitole - © D.R.
Corinne Mascala a voulu limiter les heures complémentaires lorsqu’elle présidait l’Université Toulouse 1 Capitole - © D.R.

« Nous avons plafonné les heures complémentaires à un double service par enseignant et réduit au minimum légal les maquettes, certains diplômes ayant explosé en volume horaire, surtout en master », témoigne l’ancienne présidente.

Au menu également, à Toulouse comme dans de nombreux d’établissements : mise en place de services prévisionnels des enseignants, recours prioritaire obligatoire aux enseignants en sous-service ou encore gestion de ces heures via des logiciels spécialisés (Geischa, Helico, Sage…).

Le tout, sous la houlette des directeurs de composantes. « Chez nous, le service prévisionnel est déterminé entre ces derniers et les équipes pédagogiques, en fonction de l’offre de formation et du nombre de groupes ouverts, pour que les enseignants se positionnent, détaille François Paquis, directeur général des services à l’Université Clermont Auvergne (UCA). Ce service est saisi informatiquement en début d’année, afin de s’assurer que le volant d’heures complémentaires ne dépasse pas la dotation aux composantes, puis le service réel est entré directement par les enseignants et visé par les directeurs d’UFR. »

Même entreprise poussée de rationalisation à Toulouse 1 Capitole. « Le prévisionnel est saisi dès juin, ce qui apporte une lisibilité sur toute l’année à venir, précise Corinne Mascala. Chaque heure faite par un enseignant est immédiatement versée dans sa fiche de service, avec validation par ses soins en décembre et en mai. Ce qui permet une maîtrise et un contrôle nettement plus effectifs de ces heures que l’ancien système, uniquement déclaratif, avec contrôle a posteriori. »

Des heures complémentaires par million

François Paquis explique le fonctionnement du service prévisionnel de l’Université Clermont-Auvergne - © adgs
François Paquis explique le fonctionnement du service prévisionnel de l’Université Clermont-Auvergne - © adgs

Des mesures limitatives très insuffisantes, du moins si l’on en croit la CGT-Fercsup. Selon le syndicat, plus de 10 millions d’heures complémentaires seraient réalisées et rémunérées chaque année. Sur le terrain, les chiffres donnent souvent le tournis : 211 000 sur 558 000 au total en 2021 à Clermont Auvergne, par exemple. Ils sont toutefois variables selon les disciplines.

« Il y en a beaucoup dans les filières en tension, comme STAPS, psycho ou droit, marquées par une forte progression des étudiants alors que le nombre d’enseignants-chercheurs n’a pas bougé. Mais aussi dans d’autres comme la chimie, caractérisée par un grand nombre de TP par petits groupes », relève François Paquis de l’Université Clermont Auvergne.

La répartition et le financement des heures

Ces heures sont assurées, selon une répartition variable, par des titulaires (maîtres de conférences, professeurs ou enseignants détachés du second degré), une autre par des vacataires (doctorants, retraités, ATER, enseignants du secondaire…).

Côté financement, une partie est prise sur la subvention d’État, une autre sur des ressources propres (fonds de la loi ORE, fonds de la formation continue et de l’apprentissage, fonds de financement de certaines filières peu coûteuses, comme certains diplômes universitaires…).

Tarifs horaires réels sous le Smic

Par-delà cette relative normalisation, les heures complémentaires sont toujours le chiffon rouge des syndicats. La polémique est double. La première touche à leurs montants de rémunération pour les titulaires : 62,09 euros pour un cours magistral ; 41,41 euros pour une séance de TD et 27,58 euros pour un TP.

« Des inégalités qui reposent sur des raisons qui gagneraient à être dépoussiérées, selon lesquelles le cours, essentiellement statique et théorique, nécessiterait plus de travail de la part de l’enseignant, et moins en TD et surtout en TP, où les étudiants sont plus actifs », décrypte Lionel Nicod, vice-président formation à l’Université Aix-Marseille.

Les cours de capacité des disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion étant rémunérés à hauteur de 60 % de ces montants. Avec un plafond de 7 768,49 euros par année universitaire et de 121,37 euros par séance.

Jean-Pascal Simon critique la faible rémunération des heures complémentaires - © D.R.
Jean-Pascal Simon critique la faible rémunération des heures complémentaires - © D.R.

Jean-Pascal Simon, secrétaire général du syndicat Sup-Recherche (Unsa), s’étrangle devant sa calculette :

« Si on prend en compte le fait que statutairement, une heure équivalent TD de présentiel représente 4,2 heures de travail effectif (préparation du cours et des contrôles de connaissance, corrections…), le taux de l’heure complémentaire revient à 41,41 / 4,2 h, soit 9,86 euros brut par heure de travail effectif. Un montant en deçà du Smic horaire 2022 (10,57 euros)…. Pas cher payé, pour un niveau d’études de bac+8 ! »

Un niveau de rémunération dont l’insuffisance est reconnue à demi-mot par les directions d’établissements, notamment pour ses conséquences sur le terrain. « Faire venir des ingénieurs pour animer un TP pour moins de 30 euros de l’heure, c’est parfois compliqué », relève Lionel Nicod. Les syndicats réclament un alignement de ces émoluments sur le salaire moyen d’un maître de conférences en milieu de carrière, majoré de 25 % (conditions habituelles dans le privé pour les heures supplémentaires). Soit une rémunération autour de 140 euros brut.

L’embauche de titulaires : la grande perdante

Mais si le bât blesse autant, c’est parce que ce service complémentaire est également porteur d’inégalités. Entre titulaires d’abord, car ces heures sont défiscalisées à hauteur de 5 000 euros. Entre titulaires et contractuels, surtout :  ces derniers (du fait des charges sociales différentes) étant mieux payés - 59 euros environ l’heure équivalent  TD - au lieu de 41 - que leurs collègues fonctionnaires.

Autre raison de l’ire des syndicats : il est nettement plus rentable pour les universités de payer des heures complémentaires que de recruter des enseignants-chercheurs. Là aussi, le calcul est vite fait.

« Recruter un enseignant-chercheur assurant 192 h/an de travaux dirigés, représente un coût moyen en masse salariale totale de l’ordre de 40 000 euros, alors que le même volume d’enseignement rémunéré en HC revient à moins de 8 000 euros  », note Jean-Pascal Simon.

Le sujet dépasse même les frontières de la gauche, puisqu’il a fait l’objet, en février 2018, d’une question à l’Assemblée de Christophe Lejeune, député En Marche de Haute-Saône, selon lequel « les heures complémentaires à l’université pourraient dégager 3 812 359 heures (environ 133 millions d’euros), soit plus de 17 000 postes d’enseignants-chercheurs. »

Une variable d’ajustement stratégique

Pallier un taux d’encadrement notoirement insuffisant

Mais la situation risque d’autant plus de perdurer que l’heure n’est pas aux embauches, mais plutôt au gel ou aux suppressions de poste. « La pratique des heures complémentaires nous permet de pallier un taux d’encadrement notoirement insuffisant, que nous subissons, et de remplir notre obligation légale sur les maquettes », avance Corinne Mascala. Les enseignants titulaires restants, déjà mobilisés par leurs activités de recherche, l’étant de plus en plus par des tâches annexes, comme la fonction de directeur des études, généralisée par la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE).

Lionel Nicod met en avant l’impact du glissement vieillissement technicité dans l’utilisation des heures complémentaires - © D.R.
Lionel Nicod met en avant l’impact du glissement vieillissement technicité dans l’utilisation des heures complémentaires - © D.R.

D’autant plus que le gap se creuse toujours un peu plus entre effectifs étudiants et enseignants. « La massification globale du supérieur augmente les effectifs étudiants, tandis que la stagnation du financement du glissement vieillissement-technicité (la subvention d’État visant à compenser le surcoût salarial lié à l’ancienneté grandissante des personnels), nous empêche de remplacer tous les départs en retraite », ajoute Lionel Nicod.

Variable d’ajustement incontournable donc, la pratique n’est d’ailleurs pas uniquement subie. « Elle peut avoir un but vertueux sur le plan stratégique : offrir l’offre de formation la plus large possible, et notamment rimer avec un développement de l’apprentissage ou de la formation continue, génératrice de ressources pour les établissements », relève Corinne Mascala.

Du beurre dans les épinards

Elles sont très rémunératrices pour les enseignants-chercheurs

Et puis, il faut le dire : si le système a encore un bel avenir devant lui, c’est parce que nombre d’enseignants y trouvent leur compte, tous statuts confondus ! « Les heures complémentaires sont très rémunératrices et c’est l’occasion pour eux de mettre du beurre dans les épinards. Certains jeunes maîtres de conférences, aux salaires très bas par rapport à ce qui se pratique ailleurs en Europe, augmentent ainsi significativement leurs revenus », souligne un enseignant-chercheur et ancien directeur de composante d’une université SHS, sous couvert d’anonymat.

L’entreprise est même si rentable qu’elle est sous-tendue par un réel « marché parallèle » des heures de service. « Dans certaines composantes, on se met d’accord avec le directeur pour faire matcher à la fois ses préférences de planning, les souhaits des collègues et la disponibilité des salles. Objectif : enchaîner le maximum de fois de suite le même cours, TD ou TP, pour maximiser la mise en minimisant le travail fourni. Quant au plafond réglementaire des 192 h, il suffit d’une dérogation - aisément accordée - pour le faire sauter », confie notre interlocuteur.

Tous les enseignants familiers des heures complémentaires ne sont toutefois pas motivés par l’appât du gain. « Certains gardent des HC avant tout pour rendre service à leurs collègues, en particulier dans les disciplines « jeunes », au faible ratio d’encadrement et au fort volume de TD, comme la gestion », déclare Lionel Nicod.

Tandis qu’une poignée d’irréductibles se refuse à la pratique afin de ne pas grever son potentiel de recherche. Mais pour tous, le sujet n’a pas fini d’agiter les passions, tant pour son côté éminemment politique sur le papier que pour les intérêts particuliers qu’il satisfait sur le terrain.