« C’est une profonde injustice ! » : bloqués dans leur carrière, ces maitres de conférences témoignent
Par Isabelle Cormaty | Le | Personnels et statuts
Le protocole « rémunérations et carrières » prévoit 2000 promotions de maîtres de conférences comme professeurs des universités jusqu’en 2025. Ce « repyramidage » des enseignants-chercheurs suscite l’espoir et l’inquiétude chez les maîtres de conférences, dont certains titulaires d’une HDR depuis plusieurs années se retrouvent bloqués dans leur évolution professionnelle. Témoignages.
« C’est une profonde injustice ! » Voilà comment Anne Duperret, maitresse de conférences en géosciences à l'Université du Havre Normandie analyse sa carrière professionnelle, bloquée depuis une dizaine d’années sans possibilité d’accéder à un poste de professeur des universités, malgré l’obtention d’une habilitation à diriger des recherches (HDR)…
« J’ai soutenu mon HDR en 2009. Depuis 2010, j’ai été qualifiée sans discontinuer par deux sections du Conseil national des universités (CNU), mais aucun poste de professeur ne s’est ouvert dans mon université. J’ai postulé dans d’autres établissements, mais la concurrence est rude et il est très difficile de changer d’université. J’avais un peu d’espoir avec le repyramidage, mais mon université a décidé de suivre les directives ministérielles », raconte-t-elle, dépitée.
Sa section du CNU ne fait donc pas partie des disciplines retenues par la gouvernance de l’Université du Havre Normandie pour bénéficier des cinq postes de professeur des universités créés dans l’établissement par une voie de promotion interne au titre des années 2021 et 2022 dans le cadre du repyramidage.
Avec cette réforme, 800 maitres de conférences (MCF) doivent être promus professeurs des universités à l’échelle nationale, d’ici 2022. Qu’en pensent les premiers concernés ? Quels sont leurs espoirs par rapport au repyramidage des enseignants-chercheurs et leurs inquiétudes ? Campus Matin a recueilli leurs témoignages.
Tous les MCF HDR pas concernés par le repyramidage
Les modalités du repyramidage parfois incomprises
Pour le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation qui porte la réforme, l’objectif du repyramidage est de constituer un corps de professeurs d’université (PR) d’au moins 18 000 personnes. Et de faire passer le taux de PR de 31 % actuellement à 40 % d’ici 2025.
À l’Université du Havre Normandie, où la proportion de professeurs s’élève à 26,6 %, soit en deçà de la moyenne nationale en 2020 d’après les données du ministère, certains enseignants-chercheurs s’interrogent sur les modalités de répartition des promotions entre établissements.
« Les plus petites universités sont celles qui ont le plus faible prorata de PR par rapport aux maitres de conférences. Mais le repyramidage ne s’est pas fait par rapport au taux de professeurs des universités, les petites universités ne vont pas rattraper leur retard », s’exclame Anne Duperret.
Mohamed Othman, MCF hors classe en chimie dans la même université, espère lui bénéficier du repyramidage. Sa section du CNU, la chimie, disposera d’une des cinq promotions ouvertes via le repyramidage au titre des années 2021 et 2022 dans l’établissement. « Nous sommes trois maitres de conférences éligibles dans ma discipline et je suis le plus âgé. Mais je ne sais pas si l’âge sera pris en considération », souffle-t-il.
Les petites universités désavantagées ?
Bloqués dans leur carrière, des maitres de conférences d’université de taille modeste se sentent parfois désavantagés, car les laboratoires dans lesquels ils exercent ont souvent des moyens plus faibles que dans les universités de recherche intensive.
« Cela fait dix ans que je postule pour devenir professeur dans un autre établissement, mais je n’ai pas le dossier d’un enseignant-chercheur qui vient d’un laboratoire dynamique avec une importante équipe de recherche, dit Anne Duperret, amère. Je ne suis pas originaire du Havre. Je suis venue travailler ici parce qu’il y avait des besoins. J’ai fait mon travail comme tout le monde et je me retrouve bloquée sans possibilité de bouger. »
Quid des profils atypiques et multidisciplinaires ?
Outre l’absence ou le faible nombre d’ouvertures de postes de professeur des universités, d’autres enseignants-chercheurs sont « bloqués » dans leur carrière, en raison de leurs activités de recherche à cheval sur plusieurs sections du CNU. C’est le cas notamment d'Arnaud Le Marchand qui exerce à l’Université du Havre Normandie.
« À une époque, nous étions incités à proposer des projets multidisciplinaires et maintenant il nous est reproché de ne pas être assez disciplinaires ! Ma situation est assez caractéristique de ce mouvement : je suis maitre de conférences en économie depuis 1995, et j’ai passé une HDR en 2018 en sociologie économique. Étant un transfuge d’une discipline, j’ai du mal à devenir professeur des universités », témoigne-t-il.
Le manque de reconnaissance
Des enseignants-chercheurs qualifiés par le CNU, mais sans poste
Qu’ils soient éligibles ou non au repyramidage dans leur établissement, les maitres de conférences interrogés partagent tous un manque de reconnaissance de leur métier voire mettent en cause un système qui crée des déceptions.
« Depuis 2012, j’ai été qualifié plusieurs fois par le CNU. Les instances nationales ont donc reconnu mes compétences pour devenir professeur des universités, mais je n’ai pas de poste », souligne le chimiste Mohamed Othman, maitre de conférences hors classe en chimie à l’Université du Havre.
Des opportunités de recherche plus restreintes ?
Mais, au-delà de la symbolique du titre de professeur des universités, des avantages financiers qui en découlent et des missions supplémentaires qui lui incombent, certains maitres de conférences voient dans leur situation professionnelle bloquée de plus faibles perspectives en termes de recherche.
« Passer professeur est une reconnaissance scientifique du travail fourni depuis plusieurs années. Quand je postule sur des projets européens et internationaux, cela bloque parfois, car le porteur de projet est maitre de conférences, bien que légalement cela ne soit pas gênant », explique Mohamed Othman. Il confie connaître de nombreux confrères démoralisés qui ne trouvent plus qu’un faible intérêt dans leurs activités de recherche, faute de perspectives.