Les aiguilleurs de la mobilité en Europe se racontent
Par Marine Dessaux | Le | Personnels et statuts
Ils sont les traducteurs du dialecte bruxellois en langage pratique pour les établissements de leur pays : les directeurs et directrices des agences nationales Erasmus+ ont un rôle stratégique pour la mobilité en Europe. Mais qui sont-ils ? Quels sont leurs missions et leurs parcours ? Rencontre avec quatre profils bien différents d’Allemagne, d’Espagne, de République tchèque et de Roumanie.
C’est à l’occasion de la rencontre annuelle des directeurs d’agences Erasmus+, en mai dernier que Campus Matin a pu faire la connaissance de quatre de ces visages européens. Rassemblés à Arcachon, ils ont échangé avec leurs homologues pour la première fois en personne depuis la pandémie. Entre deux séminaires, ils ont répondu à nos questions.
En Allemagne, un directeur au parcours très français
Erasmus+ compte quatre agences nationales en Allemagne dédiées à l’enseignement supérieur et scolaire, la formation continue ainsi que la jeunesse, toutes situées à Bonn et rattachées à différents organismes. C’est au sein du DAAD, l’équivalent de Campus France, celle dédiée au sup’. Un positionnement qui reflète l’importance accordée au programme de mobilité et ses moyens.
À sa tête, Stephan Geifes affiche un parcours de haut fonctionnaire d’État : historien de formation, il s’intéresse à l’international … et à la gastronomie française ! Il traverse donc le Rhin et entre à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il rejoint ensuite l'École nationale d’administration (devenue INSP).
Il entame sa vie professionnelle par un stage au sein de la Commission européenne avant de devenir chef de cabinet au DAAD puis directeur du bureau parisien du DAAD. En 2004, il est secrétaire général de l’Université franco-allemande puis intègre, quatre ans plus tard, l’Institut historique allemand à Paris comme coordinateur scientifique. Il complète ensuite une thèse et revient au DAAD en tant que chef de la division dédiée aux projets d’éducation transnationale. En plein Covid, il prend la direction de l’agence nationale Erasmus+ en Allemagne.
« Traduire les décisions prises à Bruxelles »
Stephan Geifes décrit le cœur de son travail :
« Notre mission est de gérer les programmes décentralisés en attribuant les fonds disponibles, de promouvoir Erasmus+. Sur les actions centralisées, comme les universités européennes, notre rôle est de traduire les décisions prises à Bruxelles pour les rendre applicables, et sur les questions décentralisées, comme les bourses, nous statuons en essayant d’apporter la réponse la plus adaptée. »
En République tchèque, un directeur habitué du ministère de l’Éducation
Pays de taille modeste, entre l’Allemagne et la Pologne, la République tchèque rejoint l’Union européenne en 2004 et le programme Erasmus par la même occasion. L’agence nationale du programme est hébergée au sein d’une organisation d’une centaine de personnes également dédiée à la promotion de l’enseignement supérieur tchèque et aux relations bilatérales.
Michal Uhl en est le directeur. Un poste qu’il obtient après un parcours marqué par un intérêt pour la politique. Il occupe d’abord plusieurs postes au sein du ministère de l’Éducation nationale : conseiller pour l’égalité des chances de 2009 à 2010 puis conseiller du ministre sur les fonds européens, de mars à avril 2010.
Dans une agence de conseil, il endosse également le rôle d’analyste en sociologie. Il est par la suite membre du conseil municipal du deuxième arrondissement de Prague pendant quatre ans. C’est en 2016 qu’il rejoint l’agence nationale Erasmus+, comme directeur adjoint puis comme directeur par intérim en octobre 2021 et finalement directeur en février 2022.
Permettre à chaque étudiant d’avoir une expérience concrète de l’Europe
Ce poste, selon Michal Uhl, nécessite de « connaître le milieu de l’enseignement supérieur et d’appréhender sa dimension européenne, de comprendre le rôle de l’internationalisation, et d’avoir des contacts dans des pays européens ».
Particulièrement dans un contexte où l’objectif de la République tchèque est d’internationaliser son système d’éducation. Dès lors, Erasmus+ s’avère un levier important.
« Notre vision c’est qu’un jour chaque élève aura un contact avec l’étranger pendant son cursus. Et nous voulons appréhender cette mission dans le contexte européen, afin de rendre concret l’Europe, de faire comprendre pourquoi on est plus fort ensemble et différents », expose le directeur d’agence nationale Erasmus+.
En Roumanie, une directrice ancienne prof de maths
Rattachée à l’organisation au doux acronyme d’« ANPCDEFP* », ce qui est aujourd’hui l’agence nationale Erasmus+ en Roumanie a évolué au gré des années et des relations avec l’UE.
À la barre, Monica Calota est une ancienne professeure de maths. Elle explique avoir toujours eu un intérêt pour la coopération internationale, renforcé par une année passée à enseigner en France, en 1995, par le biais d’un programme du ministère des affaires extérieures pour promouvoir la langue française en Roumanie. Pendant quatre ans, elle s’implique dans la réforme de l’éducation en Roumanie et suit une formation en management de l’éducation.
En 1999, elle devient directrice adjointe de l’agence Socrates, qui deviendra l’agence nationale Erasmus+ lors de l’adhésion du pays à l’Union européenne, en 2007. En 2005, l’agence connait une réorganisation importante alors qu’elle rejoint le programme de mobilité pour la formation professionnelle, Leonardo Da Vinci, aujourd’hui englobé par Erasmus+. C’est cette même année que Monica Calota devient directrice de l’agence.
« J’ai pu voir toutes les transitions d’un programme à un autre, les échanges que chaque nouvelle génération a apportés, témoigne-t-elle. Les changements n’ont pas été faciles, il fallait s’adapter aux nouvelles règles qui décidaient quels types de projets nous pouvions financer. Néanmoins, nous avons réussi à construire une stabilité par nos effectifs : une partie du personnel est présent depuis plus de quinze ans. »
Une agence au large réseau
« C’est l’un des accomplissements de notre agence : un large réseau avec lequel travailler », s’enthousiasme Monica Calota. Parmi ces interlocuteurs :
- un réseau d’inspecteurs du projet européen dans chaque inspectorat scolaire, l’équivalent des directions régionales académiques à la recherche et à l’innovation en France ;
- des bureaux Erasmus dans les universités ;
- un réseau d’ambassadeurs qui sont des alumni Erasmus ;
- Eurodesk, un réseau de professionnels, soutenu par la Commission européenne, visant à informer au mieux les jeunes sur la mobilité européenne.
En Espagne, un directeur inspiré par sa propre expérience Erasmus
Deux agences nationales Erasmus+ existent en Espagne, à Madrid : l’une dédiée à la jeunesse et la seconde à l’enseignement supérieur, le scolaire et la formation continue. Alfonso Gentil Álvarez-Ossorio dirige cette deuxième organisation au sein du service pour la promotion de l’éducation en Espagne (Sepie).
Au sein de la haute fonction publique, il est d’abord conseiller technique pour le ministère de la Culture de 2007 à 2009, avant de se spécialiser. Pendant six ans, au sein du ministère de l’Éducation, il sera directeur adjoint de la coopération internationale puis conseiller senior pour les affaires internationales.
De 2015 à 2018, il dirige l’unité dédiée à l’internationalisation au sein de la Sepie qu’il rejoindra à nouveau en 2021 en tant que directeur. Entre-temps, il est brièvement consultant puis directeur adjoint des relations internationales et européennes du ministère de la Culture.
À l’origine de son intérêt pour l’Europe, Alfonso Gentil Álvarez-Ossorio garde en mémoire son expérience Erasmus : « C’est lors de mon année d’étudiant aux Pays-Bas, en 2003, que j’ai fait l’expérience concrète d’une Europe construite à plusieurs avec un objectif commun. C’est ce genre de contact, que je peux avoir avec mes collègues lors des réunions annuelles des directeurs d’agences nationales, que je cherche à retrouver depuis. »
« Négocier les budgets »
Il résume ses missions : « Je coordonne le travail de l’agence. Nous communiquons sur les mesures phares d’Erasmus+ et essayons de négocier avec le personnel sur la façon dont seront gérés les budgets. »
Un travail qui se fait en lien avec plusieurs ministères en Espagne, notamment celui des finances et des affaires étrangères.
Journée type et qualités d’un directeur d’agence nationale Erasmus+
Michal Uhl décrit un lundi type, jour particulièrement chargé contrairement au vendredi qui permet d’avoir un « travail plus concentré » :
« Je commence à 9 heures par un rendez-vous avec mon cabinet, à 9 h 30 nous discutons des éléments clés pour la semaine avec une dizaine de personnes de l’agence, de 11 à 12 h, j’échange avec les directeurs des départements de l’agence. Ensuite, il y a régulièrement des rencontres avec les ministères ou des groupes de travail. »
Pour lui, les qualités à avoir dans un tel poste sont : « être organisé, avoir une vision, être européen dans l’âme, avoir un esprit ouvert et l’envie de coopérer avec les collègues, être médiateur ».
*Agenția Națională pentru Programe Comunitare în Domeniul Educației și Formării Profesionale, ou en français l’Agence nationale des programmes communautaires dans le domaine de l’enseignement et de la formation professionnelle.