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Sciences humaines et sociales : des carrières aux institutions, chantier à tous les étages

Par Théo Haberbusch | Le | Personnels et statuts

C’est un véritable plan en faveur des SHS qui se met en place du côté du ministère et du CNRS, avec l’annonce d’une hausse des congés pour recherches ou conversions thématiques et des accueils en délégation. L’ambition affichée : donner plus de temps de recherche aux enseignants-chercheurs. Mais les grandes manoeuvres ne s’arrêtent pas là et concernent aussi les institutions.

Les nouveaux bâtiments du Campus Condorcet qui entend jouer un rôle de fédérateur des SHS. - © Vincent Bourdon
Les nouveaux bâtiments du Campus Condorcet qui entend jouer un rôle de fédérateur des SHS. - © Vincent Bourdon

Donner plus de temps aux enseignants-chercheurs pour leurs travaux scientifiques, particulièrement en sciences humaines et sociales. C’est l’un des engagements qui figure dans la Loi de programmation pour la recherche (LPR) et que le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Mesri) cherche désormais à mettre en œuvre.

Des congés pour recherches ou conversions thématiques en hausse 

Une campagne supplémentaire de CRCT va être lancée avant l’été - © Comue UBFC
Une campagne supplémentaire de CRCT va être lancée avant l’été - © Comue UBFC

La polémique sur l’islamo-gauchisme à l’université relancée par Frédérique Vidal a médiatiquement tout balayé sur son passage, et masque en particulier les efforts de la rue Descartes* pour soutenir les sciences humaines.

Et pourtant, fin mars, les présidences et directions d’établissements ont reçu une circulaire leur annonçant de bonnes nouvelles. En l’occurrence, une forte hausse des congés pour recherches ou conversions thématiques (CRCT) : dès cette année le Mesri va en effet financer 374 semestres supplémentaires pour un investissement de deux millions d’euros.

« Cela représente une multiplication par quatre du nombre de CRCT qui passent par le CNU (Conseil national des universités) », fait valoir le directeur général de la recherche par intérim, Nicolas Chaillet, dans un entretien à News Tank (abonnés).

La circulaire du ministère précise aux établissements de privilégier les projets de CRCT s’inscrivant dans un contexte international, visant à préparer une candidature à l’ERC (Conseil européen de la recherche), ou à effectuer une mobilité internationale. Il leur est aussi demandé de « favoriser le pluralisme des recherches en SHS ».

Les établissements doivent maintenant prévenir leurs enseignants-chercheurs et lancer une campagne supplémentaire de CRCT. Les lauréats seront sélectionnés par les chefs d’établissements après avis du conseil académique restreint. 

Le CNRS va doubler ses accueils en délégation

 François Joseph Ruggiu souligne que les accueils en délégation CNRS sont très appréciés des enseignants-chercheurs en SHS - © CNRS
François Joseph Ruggiu souligne que les accueils en délégation CNRS sont très appréciés des enseignants-chercheurs en SHS - © CNRS

Le CNRS est également appelé en renfort par le Mesri. Alors que l’essentiel des bataillons en SHS sont composés d’enseignants-chercheurs - 27 000 personnes dans les sections SHS du CNU, selon les chiffres 2019, auxquels on peut ajouter les 13 000 du domaine droit-éco-gestion, soit presque 50 % de la totalité des enseignants-chercheurs - l’organisme de recherche national s’engage à augmenter le nombre de délégations permettant de rejoindre le CNRS pour un à deux ans.  

« En 2019, 194 personnes ont été accueillies en délégation  et, en 2021, 277 personnes pourront l’être », soit +50 %, se félicite François-Joseph Ruggiu, directeur de l’Institut national des SHS du CNRS.

« Avec cette augmentation du nombre des accueils, nous dépasserons les 80 % de réussite et nous espérons aussi plus de candidatures en 2021-2022. »

Comprendre les procédures

La demande de CRCT

Les enseignants-chercheurs déposent un dossier demandant une année ou un semestre. Des tickets sont disponibles par section CNU qui retiennent les candidats avant que l’université n’accorde le CRCT. Celle-ci finance le CRCT via des heures complémentaires ou des vacations et peut en accorder davantage.

L’accueil en délégation

Elle repose sur une campagne annuelle qui se déroule à l’automne, gérée sur le portail Galaxie. Les accueils en délégation sont ouverts à des enseignants-chercheurs affectés dans des unités mixtes de recherche, mais aussi à ceux affectés dans des unités de recherche dont le CNRS n’est pas co-tutelle.     

Plusieurs étapes jalonnent l’examen du dossier : un avis donné par les comités scientifiques des établissements d’origine, un avis des sections du CoNRS, un avis de l’Institut de rattachement des unités mixtes de recherche demandées, un accord de l’établissement d’origine, et, enfin, une décision du CNRS.

Les accueils sont accordés pour une année et peuvent être renouvelés pour 6 mois ou une année pleine. Une personne qui demande un accueil en délégation sait donc qu’elle va disposer d’un an, d’un an et demi, voire de deux ans pour mener à bien son projet, tandis que le CRCT dure en général un semestre.

L’enjeu des appels à projets

Le plan du Mesri pour les SHS, qui n’a pas fait l’objet d’une présentation d’ensemble, se veut plus large que ces deux initiatives liées à la LPR. La participation des enseignants-chercheurs aux appels à projets de l’Agence nationale de la recherche (ANR), mais aussi de l’ERC au niveau européen, constitue un autre volet important.

La réflexion pour faire évoluer les conditions de participation à l’ANR a été conduite fin 2020 pour toutes les disciplines, l’agence étant en pleine préparation de son nouveau plan triennal 2022-2024.

« Le domaine qui va être amené à évoluer le plus, ce sont les SHS, annonce Nicolas Chaillet. Nous ouvrons beaucoup plus le champ des sciences humaines et sociales pour envoyer un message clair à la communauté : déposez des projets, vous êtes éligibles, notamment les humanités, à ce jour moins représentées dans les dépôts de projet et les projets sélectionnés. »

Il faut dire que la manière dont l’appel à projets générique de l’ANR était calibré depuis 2014 défavorisait les humanités. « Les SHS étaient amenées à répondre dans le cadre de quatre grands comités thématiques (inégalités et discriminations, innovation et travail, culture et patrimoine, éducation et cognition) », retrace François-Joseph Ruggiu. Conséquence : « Des communautés entières ne se retrouvaient pas dans ces thèmes, en particulier les humanités. »

Pour l’avenir, se dessine une organisation de l’appel à projets de l’ANR en sept panels « thématico-disciplinaires », dont la liste sera définitivement fixée d’ici quelques semaines, très proches de l’organisation de l’ERC, afin de servir de tremplin aux scientifiques vers l’Europe.

Il faut dire que l’internationalisation des SHS est une préoccupation récurrente. En 2016-2017, Thierry Mandon, alors secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, avait élaboré son plan, et commandé un rapport au sociologue Michel Wieviorka.

Des enjeux de gouvernance

La Maison des chercheurs du Campus Condorcet - © Campus Condorcet
La Maison des chercheurs du Campus Condorcet - © Campus Condorcet

Les institutions SHS sont très éclatées en France, avec des universités restées en dehors des grands mouvements de regroupements au sein d’établissements pluridisciplinaires, par exemple à Bordeaux, Montpellier, Lyon et bien sûr Paris.

La capitale, où le Campus Condorcet (situé précisément à Aubervilliers) entend jouer un rôle fédérateur, sans toutefois avoir encore fait ses preuves. Présidé par Jean-François Balaudé, ancien président de l’Université Paris-Nanterre, ce « Harvard des SHS », essaie de rassembler des institutions qui sont parfois des soeurs ennemies, comme l’École des hautes études en sciences sociales et la Fondation Maison des sciences de l’Homme (FMSH). 

Cette même FMSH a fait l’objet de toutes les attentions du ministère en 2020, qui a repris la main en obtenant la démission de Michel Wieviorka, critiqué pour sa gestion, notamment par la Cour des comptes, et ce malgré ses dénégations.

Refondation de l’alliance Athéna

Sur le plan de la recherche, une alliance thématique, Athéna, est censée mettre les forces françaises (écoles, universités et CNRS) en ordre de marche. Mais la Cour des comptes vient de lui adresser un carton rouge estimant qu’elle ne fonctionnait toujours pas correctement. En réaction, Frédérique Vidal a annoncé une refondation de la structure, désormais présidée par Antoine Petit, P-DG du CNRS.

Dans sa réponse à la Cour des comptes, la ministre annonce aussi faire des infrastructures de recherche une priorité.

À un an de la fin du quinquennat, le sujet des SHS est donc loin d’être clos, et ce alors que les enjeux et les besoins sont unanimement soulignés. « Nous n’avons jamais eu autant besoin de cette recherche pour éclairer le futur, c’est une nécessité absolue et une question essentielle, nous en sommes convaincus », résume en conclusion le DGRI par intérim, Nicolas Chaillet.

*La rue Descartes se réfère au Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.