Suppression de la qualification pour devenir professeur d’université : quels impacts sur la HDR ?
Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Personnels et statuts
Depuis début janvier, la loi de programmation pour la recherche (LPR) a entériné la suppression de la qualification pour les maîtres de conférences candidats aux postes de professeurs d’université. Quels sont les impacts de cette nouvelle donne sur l’habilitation à diriger des recherches (HDR), seule étape désormais obligatoire dans ce parcours ?
Alors que le ministère ouvre le chantier des procédures de recrutement des enseignants-chercheurs, Campus Matin dresse un état des lieux avec Jean-Laurent Gardarein, MCF en physique des transferts à l’université d’Aix-Marseille, élu SNTPES au comité technique ministériel, et Gaétane Wielgosz-Collin, MCF en chimie à l’université de Nantes.
Campus Matin vous en a déjà parlé, la loi de programmation de la recherche (LPR) prévoit dans son article 5 que pour le recrutement des professeurs d’université (PR), la qualification par le Conseil national des universités (CNU) n’est plus requise lorsque le candidat est maître de conférences (MCF) titulaire.
L’habilitation à diriger des recherches (HDR) étant désormais, pour ces profils, la seule validation obligatoire à passer pour les candidats à la fonction de professeur. Plus haut diplôme de l’enseignement supérieur français, la HDR est aussi gage d’une reconnaissance du niveau scientifique et sésame pour encadrer de jeunes chercheurs.
Une mesure entrée en vigueur début janvier dernier, et immédiatement répercutée sur le terrain. À la surprise, souvent, des principaux intéressés. Et au grand regret de la CP-CNU qui demande un cadrage national.
« J’ai soutenu le 7 janvier ma HDR, je m’apprêtais à finaliser mon dossier de qualification et le 8, j’ai reçu un mail du ministère envoyé sur Galaxie à tous les MCF titulaires candidats aux fonctions de PR, nous informant que nous étions qualifiés d’office », témoigne Jean-Laurent Gardarein, MCF en transfert thermique à l’Université d’Aix-Marseille et élu SNTPES au comité technique ministériel.
Une suppression qui ouvre un chantier sur le recrutement des enseignants-chercheurs
La suppression de la qualification a été vivement critiquée, car décidée en catimini et en dernière minute lors des discussions au Sénat sur la LPR. Sur le fond, les avis sont plus nuancés.
« Pour les recrutements des MCF, la qualification - toujours massivement de rigueur, hormis quelques expérimentations locales - revêt une double utilité : effectuer un préfiltrage et distinguer les candidats ayant déjà une expérience de l’enseignement, car cette activité n’est pas obligatoire dans une thèse », explique Jean-Laurent Gardarein.
« Mais pour celui des PR, la procédure, très lourde et contraignante, apparaissait de plus en plus redondante avec celle de l’obtention de l’HDR qui la précédait », poursuit-il.
Cette nouvelle donne ouvre toutefois un certain nombre de questions sur l’avenir de la HDR et plus largement sur le recrutement des enseignants-chercheurs, comme l’a pointé la ministre Frédérique Vidal, qui vient de lancer une concertation, notamment sur ce sujet (voir encadré).
Frédérique Vidal lance une concertation sur le recrutement des enseignants-chercheurs
« Le débat qui traverse actuellement la communauté universitaire a soulevé un grand nombre de questions relatives à la valeur du doctorat, à la place de l’habilitation à diriger des recherches, au fonctionnement des comités de sélection dans les établissements » : c’est ce qu’écrit Frédérique Vidal à trois rapporteurs missionnés pour conduire la concertation prévue par la LPR sur l’évolution de la qualification.
Alors que l’article 5 de la loi prévoit cette concertation pour affiner la manière dont des établissements pourront recruter, de manière dérogatoire, des maîtres de conférences sans passer par la qualification, la ministre entend élargir le sujet.
Elle a donc demandé à Fabienne Blaise, rectrice déléguée Esri du Grand Est, Patrick Gilli, ancien président de l’Université Montpellier 3, et Pierre Desbiolles, Igésr, de conduire une concertation sur le recrutement des enseignants-chercheurs au sens large. Ils doivent lui remettre leurs conclusions et propositions « au plus tard à la fin du mois de mars ».
La HDR devient-elle le « Graal » pour tous les candidats aux fonctions de PR ?
Certaines disciplines tirent tout particulièrement leur épingle du jeu de cette suppression. C’est le cas, notamment, pour les MCF en pharmacie, qui devaient, en sus de leur dossier administratif, présenter en trois heures une leçon tirée au sort. Ainsi que de ceux relevant des sciences humaines et sociales (SHS).
« Du fait de moindres financements de leurs thèses, ainsi que du caractère moins facilement quantifiable de leurs travaux, ces MCF pouvaient avoir davantage de difficultés à décrocher la qualification, relève Jean-Laurent Gardarein. Ce qui les décourageait parfois de présenter la HDR, en amont de celle-ci. »
Selon lui, il est possible que les années à venir voient une augmentation des candidats en SHS à la HDR, du fait de la suppression de l’épée de Damoclès de la qualification. De longue date, la HDR semble détenir une valeur ajoutée particulière pour les maîtres de conférences dans ces disciplines, où le temps de recherche et de rédaction est encore plus conséquent qu’en sciences dures.
Passer une HDR permet aux candidats à des postes de PR de monter en compétences.
« Dans ces disciplines, passer une HDR permet aux candidats à des postes de PR de monter en compétences et de bien valider les connaissances académiques, épistémologiques et théoriques », précise-t-on au Sgen-CFDT.
Mais, de manière générale, la HDR ne devrait pas prendre plus de poids avec la suppression de la qualification : « Elle reste, pour la majorité des MCF, un simple prérequis pour devenir prof », estime Jean-Laurent Gardarein.
Qui plus est, la suppression généralisée de la qualification demeure limitée aux seuls MCF titulaires. Cela ne change rien, en tous cas, pour les profils déjà sujets à dérogation à l’obligation de détenir la HDR pour décrocher un poste de PR : entre autres, les MCF relevant des disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion (pour lesquelles le recrutement des PR peut aussi passer par la voie de l’agrégation) ou les MCF habilités, mais dispensés de qualification s’ils peuvent justifier, au 1er janvier de l’année du concours, de dix années de service dans un établissement d’enseignement supérieur d’un Etat membre de l’Union européenne.
La qualification et l’HDR restent de mise pour les autres candidats, ceux justifiant de cinq années d’activité professionnelle autre que d’enseignement et de recherche (hors Museum) ; les MCF associés à temps plein ou détachés ; les candidats appartenant à un corps de chercheurs (chargés ou directeurs de recherche)…
La HDR risque-t-elle d’être davantage sélective ?
À ce jour, le taux de recalés à la HDR est faible. Les écoles doctorales de chaque discipline font le premier filtre entre les candidats. Après, il y a très peu d’échec.
« Sur quatre ans, au niveau de la commission recherche de mon université, dont je fais partie, sur une centaine de dossiers, on a relevé un dossier refusé car jugé trop juste, plus une petite poignée à qui on a demandé de revenir l’année suivante pour le peaufiner », informe Gaétane Wielgosz-Collin, MCF en chimie à l’Université de Nantes.
Autant de garanties qui font que selon elle, a priori, la sélectivité de la HDR ne risque pas de grimper pour le moment.
Risque-t-on davantage de nominations de PR par copinage ?
La qualification étant une procédure nationale et la HDR, un diplôme d’université, peut se poser la question d’un éventuel risque d’endogamie. En clair : les dés seront-ils davantage pipés, au profit de certains MCF au réseau bien implanté dans leur établissement ?
Pour les spécialistes, cette crainte n’a pas lieu d’être : pas plus, en tous cas, qu’elle n’avait cours dans le cadre de la qualification.
« Dans certaines sections du CNU, le nombre de personnes qualifiées était strictement égal au nombre de postes de PR ouverts dans l’année, ce qui posait la question de la transparence de la procédure », commente Jean-Laurent Gardarein.
Au Sgen-CFDT, on ajoute : « De manière générale, ces rumeurs de “copinage » sont colportées par ceux qui veulent démonétiser la valeur de ces étapes. Mais nous voyons plus de thèses de complaisance que d’HDR de complaisance. »
Pour Gaétane Wielgosz-Collin, les garde-fous mis en place sont suffisants pour pallier la plupart de ces risques de favoritisme.
Si les règles diffèrent d’une école doctorale à une autre, les jurys de HDR sont très contraints au niveau de la composition
« Si les règles diffèrent d’une école doctorale à une autre, les jurys de HDR sont très contraints au niveau de la composition, évoque-t-elle. Ils doivent comprendre pour moitié des personnes externes à l’université et être validés plusieurs mois à l’avance par les instances de l’université, justement pour éviter tout risque de copinage. Par exemple, on n’a pas le droit d’avoir comme rapporteur pour sa HDR quelqu’un avec qui l’on a passé sa thèse ou avec qui l’on collabore fréquemment. »
Des risques encore plus limités, selon elle, dans les disciplines relevant des sciences dures, où les candidats sont évalués sur des données plus facilement quantifiables (résultats chiffrés, publications internationales…) qu’en SHS.
La HDR : une procédure d’attribution lourde et chronophage
La procédure d’obtention de la HDR demeure éminemment longue et chronophage.
• La HDR étant un diplôme d’université, il faut se réinscrire en tant qu’étudiant, frais de scolarité à l’appui (environ 380€) pour avoir le droit de la passer.
• Elle nécessite la rédaction d’un document scientifique d’une centaine de pages, avec en annexe un CV très détaillé avec toutes les fonctions occupées depuis une dizaine d’années : thésards co-encadrés, publications nationales et internationales, responsabilités occupées en laboratoire, financements obtenus pour ses recherches… « C’est un peu « moi, mon œuvre, mon projet » : ça demande du temps de l’écrire mais ça reste un exercice intéressant qui permet de se poser et oblige à prendre du recul sur ses recherches », estime Gaétane Wielgosz-Collin.
• Il faut se trouver un PR tuteur dans l’université, qui rédige un rapport donnant le feu vert pour s’inscrire à l’HDR
• Le dossier passe ensuite en conseil académique restreint, lequel désigne un rapporteur interne à l’université à qui il faut envoyer le manuscrit, et qui va ensuite donner lui-même son vert.
• Après le feu vert du rapporteur interne, il faut choisir un jury et envoyer le manuscrit à trois rapporteurs externes, qui vont rédiger un rapport détaillé autorisant ou pas le candidat à soutenir son HDR. Ils doivent rendre ce rapport un mois avant la date de soutenance prévue.
« Au final, cela peut prendre une année pour préparer le document scientifique, et la procédure ultérieure dure en moyenne 7 mois. Soit un an et demi à Aix-Marseille pour passer son HDR, par exemple », précise Jean-Laurent Gardarein.