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Une journée avec… Benjamin, responsable technique du Lorraine Fab Living Lab de Nancy

Par Clémence Kerdaffrec | Le | Personnels et statuts

Immersion dans le quotidien du responsable technique du Lorraine Fab Living Lab de l’Université de Lorraine à Nancy. Après un parcours atypique, Benjamin Ennesser-Serville y occupe des fonctions assez vastes : il répartit son temps entre machines, usagers et administration. Et se définit avant tout comme un passeur de savoir-faire.

Campus Matin s’est plongé dans le quotidien du responsable technique du Lorraine Fab Living Lab. - © Laurent Dupont
Campus Matin s’est plongé dans le quotidien du responsable technique du Lorraine Fab Living Lab. - © Laurent Dupont

Fin novembre, notre rédactrice Clémence Kerdaffrec, a suivi une partie du quotidien de Benjamin Ennesser-Serville, responsable technique du fablab de l’Université de Lorraine (LF2L). Récit.

« Un mouton à cinq pattes »

À en croire ses collègues, Benjamin Ennesser-Serville est l’incarnation même du maker : agile et habile, il a un esprit vif et pratique, une capacité à segmenter son travail, à sauter en permanence d’une tâche à l’autre jamais en perdre le fil. Beaucoup de bienveillance, une grande capacité d’écoute et un intérêt sincère pour les autres, sont autant d’atouts supplémentaires qui viennent nourrir une approche passionnée du métier et une curiosité presque sans limites.  

Benjamin Ennesser-Serville participe régulièrement à des événements de diffusion scientifiques et techniques. - © LF2L
Benjamin Ennesser-Serville participe régulièrement à des événements de diffusion scientifiques et techniques. - © LF2L

Cela fait de lui un responsable technique apprécié, et à certains égards un modèle. Mais un modèle difficile à suivre. Benjamin Ennesser-Serville a en effet un parcours pour le moins atypique.

Autodidacte, il commence à travailler dans le support informatique vers l’âge de 13 ans. Sans passer par la case du baccalauréat, il intègre l’armée de terre. De retour dans le civil après un accident, il obtient un BTS de l’Afpa dans le domaine informatique, en six mois au lieu de deux ans.

Il travaille ensuite pendant huit ans en tant qu’expert en télécom avant de devenir l’administrateur du fablab Nybi (Nancy Bidouille), une association hébergée le jeudi soir dans les locaux du Lorraine Fab Living Lab. Il ne lui reste alors qu’un petit pas à faire pour intégrer l’équipe du LF2L. En 2019, il en devient le responsable technique.

« Je suis ce qu’on appelle un mouton à cinq pattes, quelqu’un qui s’imprègne de tout ce qui lui passe sous la main, qui mixe, qui restitue… Il n’y a pas de formation pour devenir quelqu’un comme moi », explique-t-il.  

Son rôle au sein du fablab

Benjamin Ennesser-Serville travaille au quotidient avec Laurent Dupont, ingénieur de recherche, co-fondateur et responsable scientifique du LF2L. - © NT
Benjamin Ennesser-Serville travaille au quotidient avec Laurent Dupont, ingénieur de recherche, co-fondateur et responsable scientifique du LF2L. - © NT

Au sein du fablab, le référent technique a au moins trois missions : accueillir et accompagner le public, s’occuper de la maintenance des machines et remplir des tâches administratives. 

Il accueille quiconque pousse la porte de son atelier : des étudiants accompagnés par leur professeur, des doctorants, des enseignants-chercheurs, des entrepreneurs avides de conseils ou encore des personnes âgées en balade très curieuses de savoir ce que l’on y fait.

Son rôle est d’accueillir toute personne ayant une idée, de comprendre son besoin et de l’orienter vers la structure la plus appropriée s’il n’est pas en mesure de l’aider dans son projet.

Benjamin Ennesser-Serville répond aux questions d’un groupe d’étudiants  - © Clémence Kerdaffrec
Benjamin Ennesser-Serville répond aux questions d’un groupe d’étudiants - © Clémence Kerdaffrec

« Bien souvent, les personnes qui viennent avec des questions repartent avec plus de questions », ajoute-t-il.

En ce sens, le fablab est véritablement un laboratoire. « C’est le principe même de la recherche que de faire naître des interrogations. C’est parce que l’on se pose des questions et que l’on rencontre des obstacles que l’on peut apprendre et progresser.Cela peut générer beaucoup de frustrations. Il faut alors faire preuve d’empathie, de compassion, pour arriver à ce qu’un individu en situation de stress soit à même de reprendre pied et continue son travail. »

« Apprendre à échouer »

« Pour les étudiants, j’ai une méthode spécifique. Je les invite surtout à apprendre à échouer. Il faut sauter le pas, faire des erreurs et en apprendre le maximum. Lorsque l’on est étudiant, on est beaucoup dans la théorie. Moi, j’incarne la réalité, la pratique. J’incarne l’erreur et le fait qu’ils vont devoir s’y confronter toute leur vie », expose Benjamin Ennesser-Serville.

Et cela vaut pour tout le monde. « Je n’ai pas le temps de faire un cours magistral alors je laisse la personne se lancer… et se planter, tout en faisant respecter les consignes de sécurité et les conditions acceptables de mise en œuvre. »

Une lourde charge administrative

L’administratif c’est 80 % de brassage pour un résultat modeste.

Ce rôle d’accompagnateur qui est au cœur de sa mission, Benjamin Ennesser-Serville n’y consacre que 20 % de son temps. Cadre universitaire oblige, la majeure partie de ses journées est occupée par des tâches administratives.

Afin de réaliser les achats nécessaires aux projets du fablab, il lui faut passer par des procédures de mise en concurrence, beaucoup de négociations et autant de justifications.

Le LF2L s’étend sur près de 400m2. Selon le référent technique, l’espace commence toutefois à manquer.  - © Clémence Kerdaffrec
Le LF2L s’étend sur près de 400m2. Selon le référent technique, l’espace commence toutefois à manquer. - © Clémence Kerdaffrec

« Pour obtenir notre atelier électronique, il nous a fallu trois ans. Il s’agit de transformer des masses financières en un usage qui pourrait combler les besoins éventuels de tous les projets qui passent par chez nous. Si nous raisonnons par projet, ce n’est pas tenable. Pour arriver à un résultat acceptable, nous devons offrir à nos dirigeants une vision suffisamment précise et en même temps nous ménager une certaine marge quant à l’exécution ».

Ce genre de délai n’est pas compatible avec tous les types de projets. Il peut notamment rendre difficile l’accompagnement d’une start-up.

Tirer sur la corde…

Ces tâches administratives, le responsable technique les réalise au fil de l’eau. De temps à autre, sa montre connectée le rappelle derrière son bureau où s’engagent des échanges très codés. Il en ressort bientôt pour accueillir un groupe d’étudiants, mais voilà que le téléphone sonne à nouveau, qu’un doctorant l’interpelle ou qu’une machine demande à être inspectée, réparée… Le référent technique ne s’arrête jamais.

Il faut avoir de l’endurance et accepter de se sacrifier. 

Son existence est une course sans fin, un « parcours d’athlète », selon ses propres mots. Et cela va bien au-delà du temps imparti au travail par quelques règlement ou contrat : la journée est consacrée aux œuvres matérielles, les soirées et les nuits à la veille technologique.

Dans le cadre d’un projet de médiation culturelle, le LF2L a réalisé des reproductions d’oeuvres d’art en impression 3D par liage de poudre.  - © Laurent Dupont
Dans le cadre d’un projet de médiation culturelle, le LF2L a réalisé des reproductions d’oeuvres d’art en impression 3D par liage de poudre. - © Laurent Dupont

« Il faut avoir de l’endurance et accepter de se sacrifier. » Ce sacrifice tout le monde n’est pas prêt à le faire. Depuis trois ans, LF2L essaye en vain de recruter un nouveau technicien qui pourrait soulager Benjamin Ennesser-Serville d’une partie de sa charge de travail. Mais les conditions ne sont pas très attractives. « Les profils qui pourraient correspondre au poste ont des compétences rares et peuvent facilement trouver des emplois deux à trois fois mieux payés dans le privé. »

Résultat, seul aux commandes, il « tire sur la corde ». S’il l’accepte, c’est que le fablab n’est pas pour lui un projet de carrière, mais un projet de vie qui se continuera à l’heure de la retraite : « Je rêve d’avoir un lieu ou une activité professionnelle où je puisse trouver des gens qui réfléchissent à ce que sera demain et se posent des questions sur comment améliorer, réparer, ce que l’on a mis en œuvre dans la précipitation. »

Un questionnement particulier

Le plus gros problème, c’est le manque de temps.

« Ce qui me plaît dans le LF2L c’est l’implication dans le territoire, c’est l’ouverture, c’est le fait que des personnes aient la mission de remettre en question toutes les actions menées jusqu’ici dans le domaine de l’industrie ou plus largement dans notre environnement. Il y a beaucoup de valeurs qui émergent de ces pratiques et un questionnement qui, dans le privé, m’avait un peu échappé. Il y a une véritable prise en compte de l’individu et des impacts que peuvent avoir les décisions que nous prenons, que ce soit au niveau logique, économique ou sociétal. Le tout dans un contexte ouvert où on se nourrit du passage et des échanges avec des personnes très différentes. »

La situation n’est toutefois pas idéale. « Le plus gros problème, c’est le manque de temps et cela se répercute sur tous les aspects de la vie du fablab », confie le référent technique.

« À mon sens, ce lieu devrait être ouvert de 8 h à 22 h, sept jours sur sept pour faire en sorte que nos usagers potentiels aient l’opportunité de venir et que nos étudiants n’aient pas à se restreindre aux actions pédagogiques. C’est essentiel pour rentrer dans la démarche du fablab, car le moteur c’est l’envie et que celle-ci s’exprime rarement sous la contrainte ».