Innover dans l’enseignement supérieur : le cas (très) pratique des fablabs
Par Clémence Kerdaffrec | Le | Pédagogie
Les fablabs, pour fabrication laboratory, se multiplient dans les établissements du supérieur. Dans un cadre sur mesure, ils expérimentent de nouvelles manières d’apprendre et de créer. Campus Matin est parti à la découverte d’un univers de machines bien plus humain qu’il n’y paraît.
Le modèle du fablab, créé en 2001 au Massachusetts Institute of Technology (MIT) s’est répandu en France à partir de 2009. Éprouvé en dehors du monde académique, il se fait progressivement une place dans les établissements du supérieur au nom de l’innovation pédagogique et des progrès de la recherche.
Certains d’entre eux sont répertoriés sur la plateforme des lieux inspirants du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) créée afin de donner une visibilité aux espaces et lieux favorisant l’innovation en termes de pédagogie ou d’usages.
Campus Matin en a sélectionné deux dans cette liste : Agrilab, le fablab de l’école d’ingénieurs Unilasalle et le Fab Living Lab de l’Université de Lorraine (plateforme ERPI-ENSGSI) et le Minilab de l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé) de Lille.
À chaque fois, nos hôtes ont insisté sur les particularités de leurs espaces, de leurs dispositifs et de leurs missions. « Nous ne sommes pas un fablab classique », lance Laurent Dupont, ingénieur de recherche, co-fondateur et responsable scientifique du Lorraine Fab Living Lab (LF2L).
Chacun des responsables interrogés a ainsi tenu à souligner le caractère original, voire unique de ses installations. Le constat ayant été répété, il nous a fallu conclure qu’un fablab n’est jamais « comme les autres ».
« Fablab », une étiquette qui recouvre plusieurs réalités
Le terme de « fablab » fait donc office d’étiquette commode pour des lieux qui ont à cœur de développer un apprentissage par le faire en offrant à leurs usagers un espace où se partagent librement machines, compétences et savoirs.
La définition officielle du fablab, énoncée par son créateur le MIT, est cependant beaucoup plus précise, rappelle Luc Hanneuse, l’ingénieur fab manager d’Agrilab. « Pour pouvoir s’autolabelliser “fablab”, il faut s’engager à respecter la charte des fablabs et s’autoévaluer sur quatre critères :
- l’accessibilité ;
- l’engagement envers la charte des fablabs du MIT (qui doit être affichée) ;
- la mise à disposition de certains outils et processus dont une découpe laser, une imprimante 3D et une fraiseuse numérique ;
- la collaboration avec d’autres fablabs du réseau. »
Si Agrilab et le LF2L cochent toutes ces cases, d’autres utilisent la dénomination sans pour autant remplir tous les critères. C’est le cas du Minilab de l’Inspé de Lille qui n’est sur le papier ouvert qu’à sa propre communauté. « Nous nous revendiquons comme fablab parce que nous avons une compréhension différente de l’ouverture », explique Olivier Lemort, responsable du service innovations pédagogiques et de la formation des formateurs de l’Inspé de Lille.
Il poursuit : « Nous n’accueillons certes pas tous les publics, mais notre attachement à la notion d’inclusion et nos missions d’innovation pédagogique et de transmission supposent une certaine ouverture. Par ailleurs, nous nous éloignons parfois de notre cœur de mission en accueillant des personnes extérieures aux Inspé lorsque leurs projets correspondent à ce que nous faisons ici. Nous sommes donc en réalité beaucoup plus ouverts que nous ne devrions l’être en théorie ».
Que le Minilab ait droit ou non à l’étiquette de fablab importe finalement assez peu, selon Laurent Dupont et Luc Hanneuse qui ne voudraient pas eux-mêmes se laisser enfermer dans le cadre trop strict et artificiel d’une définition.
« Les machines à elles seules ne font pas un fablab »
Lorsque l’on pense fablab, on imagine d’abord une multitude de machines. L’imprimante 3D est la grande favorite du public, l’incarnation du fablab dans l’imaginaire du plus grand nombre.
Cette « starification » de l’imprimante 3D agace Luc Hanneuse. Elle est selon lui largement surcotée : « C’est magique, dit-on, mais c’est la moins bonne des technologies dont nous disposons. » La machine impressionne, mais ses réalisations ne sont pas de la meilleure qualité. Il ne s’agit donc pas d’en faire l’alpha et l’oméga du fablab. L’ingénieur fab manager prend l’exemple des visières de protection fabriquées pendant la crise sanitaire : « Dans beaucoup de fablabs, les gens se sont mis à les imprimer en 3D. Cela prend beaucoup de temps. Ici, nous les avons simplement découpées. La solution la plus simple est souvent la meilleure ».
Pour s’en rendre compte, il faut parfois savoir prendre du recul et oublier un peu la technique pour se replonger dans le réel et échanger avec les autres. C’est tout l’intérêt d’un fablab. « Ici, on peut croiser aussi bien étudiants et ingénieurs qu’agriculteurs ou curieux. »
C’est souvent ainsi, selon Luc Hanneuse, que naissent les meilleures idées. « Nous avons réussi à démontrer que si l’on apprend à tout le monde comment s’approprier même des briques très simples de technologie de manière à ce que les gens soient en confiance et qu’ils puissent essayer des choses, faire des erreurs, recommencer, travailler à plusieurs, ils arrivent dans certains cas à des solutions plus intéressantes que des spécialistes des technologies employées dont ce n’est pas le domaine ».
L’imprimante 3D pour quoi faire ?
« Tous les objets fabriqués avec une imprimante 3D n’ont pas forcément un grand intérêt. On bascule facilement dans le gadget », alerte Luc Hanneuse. Il faut bien choisir ses usages.
Au LF2L, l’imprimante 3D est au service de la recherche. On y découvre entre autres une imprimante à crème (cosmétiques) employée pour des travaux de recherche en science des matériaux.
Plus impressionnante est la Gigabot X, une imprimante américaine de grande taille utilisée dans le cadre du projet européen Inedit (open INnovation Ecosystems for Do It Together process) qui explore les possibilités de concevoir et de fabriquer du mobilier sur mesure, en circuit court, avec du plastique recyclé.
« Je suis l’huile dans les rouages »
La technologie n’est pas un gadget, elle ne se suffit pas à elle-même.
Rien de tout cela ne serait possible sans le responsable des lieux. Pour faire vivre un fablab il faut des machines et des visiteurs, mais surtout des compétences. « Cela peut sembler évident, mais certains ont tendance à l’oublier, raconte Laurent Dupont. Il y a des gens qui nous imitent, ils mettent des tables, des chaises et des machines puis ils viennent nous voir pour nous dire que ça ne marche pas, que personne ne vient. Nous leur répondons que c’est normal, qu’ils n’ont pas besoin de machines, mais de compétences. »
Il ne suffit pas d’acheter des machines, il faut employer des techniciens qui vont jouer un rôle de formateur, d’accompagnateur et de facilitateur. Ces professionnels sont essentiels au bon fonctionnement du lieu. « Je suis l’huile dans les rouages, explique Benjamin Ennesser-Serville, référent technique du LF2L. La technologie n’est pas un gadget, elle ne se suffit pas à elle-même. Il faut de l’humain. »
En tant que référent technique, il accueille les usagers et les accompagne dans la réalisation de leurs projets. Il est sans cesse sollicité pour répondre à des questions. Le rôle du « fab manager » ne se limite d’ailleurs pas à celui de conseiller technique. Il lui appartient de faire vivre son fablab, de créer du lien avec et entre les individus sans mettre personne à l’écart.
« Il y a dans certains fablabs des effets de communauté qui peuvent mettre les nouveaux usagers mal à l’aise. C’est un vrai problème dans la mesure où il faut beaucoup fréquenter un fablab pour s’intégrer à une communauté bien installée et être dans de bonnes dispositions pour créer », témoigne Maxime Mellard, maître de conférences à l’Institut d’administration des entreprises de Lille, rencontré au Minilab.
Le fab manager a donc notamment pour mission de rassurer les nouveaux arrivants et de les aider à s’intégrer. Ce qui passe par un accompagnement personnalisé.
S’ouvrir à tous : un idéal difficile à atteindre
Même s’ils prônent l’ouverture, il n’est pas toujours facile de franchir le seuil d’un fablab. « La technique peut faire peur, et plus particulièrement le numérique », confie Olivier Lemort.
« Nous commençons toujours par montrer aux gens que la maîtrise des outils numériques n’est pas si difficile. En deux heures on peut apprendre à utiliser certaines machines », explique Luc Hanneuse.
« Le problème c’est que nous ne pouvons agir que sur les gens qui sont déjà dans le fablab. Ce n’est pas parce que l’on est ouvert à tout le monde que tout le monde va venir. »
Pour faire connaître ou démystifier les fablabs, la solution la plus efficace n’est pas de présenter les réalisations, parfois intimidantes, qui en sortent, mais d’expliquer comment elles ont été créées et surtout de faire participer le novice. Difficile dans ces conditions d’atteindre un public extérieur. Mais pas impossible. Le Lorraine fab living lab et le Minilab ont tous deux imaginés des solutions pour aller à la rencontre des potentiels usagers. « Si vous ne pouvez pas venir au fablab, c’est le fablab qui viendra à vous », s’amuse Olivier Lemort.
Comment ? Grâce à des fablabs mobiles prenant la forme de “flycases“ pour le Minilab et d’un camion aménagé, le Nomad’lab, pour LF2L.
Tout cela a un coût : les fablabs en kits du Minilab (encore en phase de test) coûtent entre 15 et 20 000 euros, le Nomad’lab a été financé en 2014 par la région Grand Est, l’Université de Lorraine, l’ENSGSI et la CPME pour un budget de 52 705 € TTC.
Des frais d’adhésion faibles ou nuls
Si les machines dont sont équipés les fablabs affichent pour la plupart un coût important (entre plusieurs centaines et plusieurs milliers d’euros selon les modèles), les frais d’adhésion ne constituent pas, selon Luc Hanneuse, un frein à l’accessibilité.
« Tous ceux qui le souhaitent peuvent adhérer à Agrilab moyennant une contribution de 20 € par mois (tarif réduit) ou de 54 € par mois (tarif plein). Pour les étudiants et personnels d’UniLasalle, l’adhésion est gratuite, seuls les consommables doivent être achetés ».
Au Minilab, la gratuité est totale. L’Université de Lille prend en charge tous les frais. Il en va de même à Nancy avec toutefois une différence notable puisque les personnes extérieures à l’Université de Lorraine et à l’Erpi sont généralement réorientées vers l’association Nybi (Nancy Bidouille) hébergée dans les locaux du LF2L en dehors de ses horaires d’ouverture. La cotisation de base pour adhérer à l’association est fixée à 120 € pour une année.
« Un fablab est à perte, mais crée de la valeur publique »
Si les frais d’adhésion sont si peu chers, indique Luc Hanneuse, c’est que l’objectif premier du fablab n’est pas de créer une valeur immédiate, de générer un revenu en vendant un service, mais de former des apprenants par le « faire » et de permettre à des publics différents de se rencontrer pour que puissent émerger des idées nouvelles. Sa vocation n’est pas commerciale, mais pédagogique.
La rentabilité n’est d’ailleurs pas au rendez-vous : « Un fablab est à perte, mais crée de la valeur publique », explique Luc Hanneuse.
Pour couvrir néanmoins les frais de fonctionnement sans réduire son accessibilité, le recours aux subventions publiques et aux mécènes ou l’ouverture aux sphères industrielles et entrepreneuriales s’imposent parfois.