Numérique

Le bulletin de santé de filière edtech en 5 points

Par Isabelle Cormaty | Le | Edtechs

Chiffre d’affaires, levées de fonds, modèle économique, cibles, taille des entreprises… Une récente étude réalisée par le cabinet de conseil EY, l’association EdTech France et la Banque des Territoires dresse un état des lieux de la filière edtech française en pleine croissance. Voici les 5 enseignements à retenir concernant le marché de l’enseignement supérieur.

Le chiffre d’affaires de la filière edtech française en 2021 s’élève à 1,3 milliard d’euros. - © Pixabay
Le chiffre d’affaires de la filière edtech française en 2021 s’élève à 1,3 milliard d’euros. - © Pixabay

Après une première étude publiée en 2020 pour évaluer le poids et le marché du secteur des edtechs en 2021, l’associationEdTech France et le cabinet de conseil en stratégie EY Parthenonont réalisé une nouvelle enquête pour dresser un état des lieux de la filière française en 2021.

La Banque des Territoires s’est également associée à l’opération. Les résultats de cette étude ont été présentés le 16 mars dernier lors d’un webinaire. Quels sont les enseignements à retenir sur le marché du supérieur ? Synthèse.

1. Un chiffre d’affaires estimé à 1,3 milliard d’euros

Jérôme Fabry est associé France chez EY-Parthenon. - © D.R.
Jérôme Fabry est associé France chez EY-Parthenon. - © D.R.

« Nous estimons que le poids de la filière edtech française s’élève à 1,3 Md€. Il s’agit tous les ans d’une croissance à deux chiffres portée principalement par les 20 plus grosses entreprises du secteur », annonce Jérôme Fabry, associé France chez EY-Parthenon et auteur de l’étude.

85 % du chiffre d’affaires de la filière edtech en 2021 provient d’entreprises centrées sur la formation professionnelle. L’enseignement supérieur représente la plus faible part du marché. Seuls 3 % du chiffre d’affaires du secteur émanent de sociétés edtechs positionnées exclusivement sur ce marché.

2. Plus de 500 entreprises, dont 27 centrées sur le sup'

« Les 500 entreprises edtechs emploient plus de 10 000 employés, ce qui positionne la filière au cœur de la French Tech », affirme Jérôme Fabry. À titre de comparaison, la filière comptait 7800 employés et 430 entreprises en 2019.

Sur les 500 sociétés edtechs françaises, seules 27 se positionnent exclusivement sur le segment de l’enseignement supérieur. 202 entreprises s’adressent au marché du supérieur et à un autre marché : la formation professionnelle ou le scolaire.

« Le positionnement des edtechs tournées uniquement sur l’enseignement supérieur tend à disparaître. Les segments entre le scolaire, l’enseignement supérieur et la formation professionnelle sont de plus en plus poreux. Les entreprises n’hésitent plus à faire évoluer leurs offres pour s’adresser à plusieurs segments », complète Jérôme Fabry, spécialiste du secteur public et l’éducation chez EY.

Un marché dominé par la formation professionnelle

Si la filière compte 500 entreprises, 70 % du chiffre d’affaires du secteur est généré par une vingtaine d’entreprises, en grande majorité des acteurs de la formation professionnelle comme OpenClassrooms ou Bizness. 

Les 20 plus grosses entreprises edtechs cumulent 70 % du chiffre d’affaires de la filière. - © D.R.
Les 20 plus grosses entreprises edtechs cumulent 70 % du chiffre d’affaires de la filière. - © D.R.

De petites structures, dont la moitié créée récemment

« Cette consolidation des grands acteurs de la filière n’empêche pas une forte dynamique avec l’arrivée de nouveaux entrants », ajoute l’étude. La filière edtech comprend aujourd’hui 60 % de petites structures de dix salariés ou moins et ayant un chiffre d’affaires inférieur à 500 000 €. Elle se compose principalement de jeunes entreprises : 54 % ont été créées il y a moins de cinq ans.

« Cette vague de créations peut s’expliquer par la dynamique liée à la Covid-19, mais également par l’impact du compte de formation professionnelle et des différents plans de relance », avance l’étude.

Le modèle de marché majoritairement BtoB

78 % des edtechs françaises ont un modèle en BtoB, c’est-à-dire qu’elles s’adressent à des entreprises ou des organismes de formation par exemple et pas au grand public. 

Si les entreprises et les organismes de formations sont les principaux consommateurs de solutions edtechs en France, 47 % des entreprises du secteur affirment vendre leurs solutions aux écoles, 40 % aux universités et 39 % aux collectivités.

3. Quelles sont les spécificités du marché du supérieur ?

Hélène Grossetie est general manager de Wooclap. - © D.R.
Hélène Grossetie est general manager de Wooclap. - © D.R.

La crise sanitaire a accéléré le déploiement de solutions edtechs dans les établissements du supérieur, que ce soit dans les universités ou dans les écoles. 85 % des entreprises edtechs présentes sur le segment du supérieur travaillent à la fois pour le public et pour le privé.

« Nous travaillons avec des institutions qui ont un projet stratégique d’innovation pédagogique et de transformation numérique. Les rapprochements entre les edtechs et les établissements du supérieur se font par les réponses aux appels à projets comme Demoes. Les liens sont entérinés par les financements », souligne Hélène Grossetie, general manager de Wooclap.

Des difficultés à surmonter…

Si les différents appels à projets et appels à manifestation d’intérêt ont favorisé les collaborations entre edtechs et établissements, certains acteurs s’interrogent toutefois sur la pérennité des entreprises qui dépendent des marchés publics.

Par ailleurs, « la difficulté pour les edtechs réside dans la nécessité de faire la démarche auprès de chaque établissement, ce qui nécessite un effort commercial important, et les problématiques d’interopérabilité avec les outils déjà mis en place au sein des établissements », constate l’étude.

… mais des perspectives de croissance

Au-delà de la forte demande de solutions edtechs dans les établissements du supérieur ces deux dernières années en raison de la pandémie, quid des perspectives de long terme ?

« Le secteur présente de réelles perspectives de croissance, notamment du fait du développement de cursus hybrides qui permettent d’attirer un nombre grimpant d’étudiants. Le développement du numérique permet l’atteinte de nouveaux publics », pointe l’étude. 

Des accélérateurs spécialisés pour les edtechs du supérieur

« Le segment bénéficie aussi de l’émergence d’accélérateurs spécialisés, notamment dans les écoles de commerce (Neoma EdTech, EM Lyon avec Ed Job Tech, etc.), mais aussi à l’université (CY - Educate) permettant de renforcer l’image d’innovation de l’établissement, de développer des outils en internes, et d’attirer les étudiants », souligne par ailleurs l’étude.

4. Des entreprises qui bénéficient d’un soutien public important

Autre enseignement clé de l’étude réalisée par EY, EdTech France et la Banque des Territoires : les sociétés edtechs s’appuient sur des acteurs publics au cours de leur développement. 45 % d’entre elles ont déjà bénéficié de subventions publiques, via le Programme d’investissement d’avenir (PIA) par exemple.

Passerelles a été inauguré en octobre 2021 par Mathilde Thorel, Christophe Genter et Bénédicte Robert. - © IC - Campus Matin
Passerelles a été inauguré en octobre 2021 par Mathilde Thorel, Christophe Genter et Bénédicte Robert. - © IC - Campus Matin

Par ailleurs, 45 % des répondants du secteur ont déjà participé à des programmes d’incubation ou d’accélération, d’après un sondage EY-Parthenon réalisé en 2020. La Banque des Territoires a notamment lancé en octobre 2021 un programme d’incubation, Passerelles, dédié aux entreprises à impact sur le segment du scolaire et opéré par Makesense qui est un organisme qui accompagne individus, organisations et entrepreneurs dans la réalisation de leur projet pour l’environnement.

Des aides concentrées en Île-de-France

56 % des adhérents d’EdTech France sont basés en Île-de-France. « Au niveau local, le manque d’aide au développement (accélérateur/incubateur) et au financement des edtechs peut expliquer une concentration en région Île-de-France », avance l’étude.

Des associations régionales rassemblant des entreprises edtechs se constituent toutefois dans plusieurs régions, notamment autour de Lyon, dans le Grand Ouest, sur la Côte d’Azur ou encore dans les Hauts-de-France.

5. La filière européenne derrière les États-Unis et l’Inde

Trois milliards de dollars ont été investis en Europe en 2021. - © D.R.
Trois milliards de dollars ont été investis en Europe en 2021. - © D.R.

En 2021, « plus de 20 milliards de dollars ont été investis dans la edtech au niveau mondial, dont plus de trois milliards en Europe », souligne la cofondatrice d’Educapital, Litzie Maarek le 15 mars, lors du lancement d’Educapital 2, un fonds d’investissement de 100 millions d’euros dédié aux edtechs françaises et européennes.

Les montants levés en Europe sont trois fois plus importants en 2021 par rapport à 2020. Toutefois, le marché européen est devancé par les États-Unis (8,3 milliards de dollars investis en 2021) et l'Inde (3,8 milliards).

« Ce retard s’explique notamment par des initiatives fortes de ces gouvernements engagés dans l’éducation numérique. À titre illustratif, le gouvernement indien a lancé des initiatives afin de favoriser l’apprentissage en ligne et a mis en place une plateforme nationale de MOOC [Massive open online course*] », détaille l’étude.

À l’échelle européenne, la France se place derrière le Royaume-Uni. 487 millions de dollars ont été investis dans les entreprises edtechs françaises contre 609 millions outre-Manche. 

Le marché chinois pénalisé par sa législation

Au-delà du vieux continent, les investissements ont fortement diminué sur le marché edtech chinois. Ils ont été divisés par quatre entre 2020 et 2021 « du fait de l’évolution récente de la législation qui a conduit à nationaliser un certain nombre d’entreprises edtechs », précise l’étude. 

100 millions d’euros pour le fonds Educapital 2

Educapital a annoncé le 15 mars le lancement d’un second fonds d’investissement doté de 100 millions d’euros. « Notre stratégie d’investissement a fait ses preuves. Nous visons à la prochaine rentrée scolaire un fonds de 150 millions d’euros, ce qui fera de nous le plus important fonds edtech européen et spécialisé dans le “future of work” », explique Litzie Maarek, cofondatrice d’Educapital.

Educapital 2 financera une vingtaine d’entreprises, dont la moitié en France et l’autre moitié en Europe ou en Israël. Ont notamment participé à ce “closing“ BpiFrance, l’État, Hachette Livre, Bayard, Education for the Many, Les Éditions Fabrice Lefebvre, la fondation Jacobs, l’Union Mutualiste Retraite…

En 2017, Educapital avait créé un premier fonds d’investissement doté de 47 millions d’euros. Depuis, l’entreprise fondée par Marie-Christine Levet et Litzie Maarek a investi dans 22 sociétés européennes. Parmi elles, deuxsorties ont été réalisées avec le rachat de Lalilo par le groupe américain Renaissance en mars 2021 et celui d’AppScho par la société canadienne Ready Education en décembre 2021.

*cours en ligne ouvert et massif