Commission IA : les recommandations pour l’enseignement supérieur et la recherche
Par Marine Dessaux | Le | Équipements et systèmes d'informations
Pour établir sa feuille de route afin de préserver la souveraineté et renforcer la position de la France en matière d’intelligence artificielle, le Gouvernement a missionné une Commission IA. Elle dévoile ses 25 recommandations dans un rapport remis au président de la République le 13 mars 2024. Celui-ci encourage notamment à tripler les formations dans ce domaine d’ici 2030.
Renforcer les formations pour développer davantage de talents en intelligence artificielle (IA), investir pour favoriser l’innovation et définir une régulation dans différents secteurs contre les dérives : tels étaient les trois défis sur lesquels le Comité interministériel sur l’intelligence artificielle générative, lancé le 19 septembre 2023, devait formuler des propositions.
Six mois, 600 auditions, 25 sessions plénières et une consultation auprès de 7000 citoyens plus tard, celle qui est renommée « Commission IA » a remis son rapport au président de la République. Il contient 25 recommandations pour « faire de la France un acteur majeur de la révolution technologique de l’IA ».
« Une mobilisation collective, massive, sans délai et au long cours est impérative », souligne la commission qui chiffre l’investissement public annuel nécessaire à d’environ cinq milliards d’euros pendant cinq ans, soit 0,3 % des dépenses publiques totales et impact financier estimé à 27 milliards d’euros. Une partie des conclusions concernent l’enseignement supérieur et la recherche. Synthèse.
Tripler les formations dédiées à l’IA d’ici 2030
L’ESR français ne comptait, en 2021, que 16687 places dans des formations spécialisées en IA en master ou en doctorat, selon une synthèse de la Cour des comptes d’avril 2023. Un chiffre en augmentation de 35 % par rapport à 2020, mais qui ne suffit pas : pour la commission, il doit tripler au cours de la décennie à venir.
L’instance consultative évalue les besoins à 56000 postes par an en développement d’IA, et à 25000 postes par an en déploiement dans d’autres secteurs. Cela reviendrait à former, chaque année, environ 1,5 % des étudiants du supérieur, « soit par la création de filières spécifiques, soit par la création d’un module IA avancé au sein des différentes filières ».
La commission suggère par ailleurs d’augmenter de 25 % les inscrits en filière ingénieur informatique et SI (systèmes d’information) afin d’atteindre 20000 étudiants d’ici 2030. Un profil « indirectement lié à l’IA, mais nécessaire à son déploiement au sein des entreprises ».
En outre, la commission recommande de généraliser le déploiement de l’IA dans toutes les formations d’enseignement supérieur.
Les formations créées par les AMI « IA clusters » et « CMA » jugées insuffisantes
L’État a encouragé les établissements d’enseignement supérieur à développer des formations IA avec les appels à manifestation d’intérêt (AMI) « Compétences et métiers d’avenir » (dans le cadre de France 2030) et « IA Cluster » (dans le cadre stratégie nationale pour l’intelligence artificielle, lancée en 2018 suite aux recommandations du rapport Villani).
La commission estime néanmoins que ces formations présentent des limites : une inégale répartition sur le territoire et un manque de formateurs spécialisés en IA. « Une évaluation à trois ans des résultats de ces AMI sera nécessaire pour vérifier la réalité de la montée en puissance », avance-t-elle.
Sensibiliser en amont du supérieur
« Pour s’assurer que les formations proposées attirent suffisamment d’étudiants, il est nécessaire d’agir en amont de l’enseignement supérieur pour acculturer les élèves aux enjeux de l’IA au fur et à mesure de leur scolarité », soutient également la commission.
Bien que certains programmes scolaires incluent déjà des apprentissages explicites de l’IA, les rapporteurs regrettent que tous les élèves ne soient pas touchés, notamment dans la voie professionnelle et technologique. Une réflexion doit encore être menée dans ce sens et devra identifier la contribution de chaque discipline.
Attirer plus de femmes dans les filières en lien avec l’IA
Cette sensibilisation des jeunes générations, mais aussi celle des adultes, devra porter une attention particulière à convaincre les femmes.
En effet, « la faible part des femmes au sein des diplômés des filières science, technologies, ingénierie et mathématiques (31 % en 2019), mais plus encore au sein de la filière “informatique et sciences informatiques” (19 % des inscrits en 2023) soulève de forts enjeux en termes d’emploi et d’inégalités de rémunération entre hommes et femmes en parallèle de la diffusion de l’IA. »
Afin de toucher un public le plus large possible, des pistes peuvent être envisagées « via notamment le partage de cours en ligne ou encore par un plan de formation ambitieux d’enseignants-chercheurs de toutes les disciplines ». La commission recommande par ailleurs de « s’appuyer plus largement sur les professionnels du secteur ».
Côté recherche, assumer une « exception IA »
C’est l’une des six grandes lignes d’action proposées par la commission : instaurer une expérimentation dans la recherche publique en IA pour en renforcer l’attractivité. En d’autres termes, assumer le principe d’une « exception IA ».
Concrètement, cela signifierait la libération des chercheurs des contraintes administratives, une revalorisation de leur rémunération et un doublement des moyens de la recherche publique spécialisée en IA pour rejoindre le top 5 mondial en termes de production et de publication.
Cinq autres lignes d’action sont soumises :
- réorienter structurellement l’épargne vers l’innovation et créer, à court terme, un fonds « France & IA » de 10 milliards d’euros ;
- lancer immédiatement un plan de sensibilisation et de formation de la nation ;
- faire de la France un pôle majeur de la puissance de calcul;
- faciliter l’accès aux données ;
- promouvoir une gouvernance mondiale de l’IA.
Qui a contribue à la Commission IA ?
La Commission IA est présidée par Philippe Aghion, professeur au Collège de France et Anne Bouverot, présidente du conseil d’administration de l’ENS-PSL.
Elle compte 13 membres, notamment issus de grandes entreprises internationales et françaises : Google, Meta, Dassault Systèmes et Mistral (ChatGPT français). Mais aussi des chercheurs de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) et du Paris artificial intelligence research institute. Et enfin des représentants d’institutions : la Commission européenne, le Conseil national du numérique, Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, l’organisation internationale Open governement partership.
Deux experts et une syndicaliste ont aussi participé :
• Cédric O, ancien secrétaire d’État au numérique aujourd’hui consultant;
• Luc Julia, expert en intelligence artificielle générative ;
• et Franca Salis-Madinier, secrétaire nationale de la CFDT Cadres en charge de l’Europe, du numérique, de l’intelligence artificielle et de la protection des lanceurs d’alerte.