Le métaverse, opportunité pédagogique ou effet de mode énergivore ?
Par Marine Dessaux | Le | Équipements et systèmes d'informations
Voilà un an que le métaverse s’immisce dans l’enseignement supérieur. Les grandes écoles s’inscrivent dans cette tendance dont les usages restent encore à définir. Une opportunité pour la pédagogie à condition d’identifier les avantages et limites que développent Leïla Mörch, observatrice du phénomène pour l’Université Stanford puis l’Institut McCourt.
Métaverse : un mot inconnu il y a encore quelques années, mais sur toutes les lèvres depuis l’opération marketing de l’année : le changement de nom du groupe Facebook en Meta, le 28 octobre 2021. Un positionnement clair en faveur du développement de cette technologie … accompagné d’un investissement massif.
Dès lors, l’enseignement supérieur français et particulièrement les grandes écoles se sont emparés de ce phénomène encore à ses balbutiements. Elles faisaient d’ailleurs le point sur les initiatives et enjeux, le 6 octobre 2022, lors du colloque de la Conférence des grandes écoles.
Alors, effet de mode en contradiction avec la transition écologique prônée par les établissements ou réelle révolution à la fois dans les pratiques professionnelles et pédagogiques ? Décryptage avec une des intervenantes du colloque, Leïla Mörch, responsable programme Europe à l’Institut McCourt, travaillant sur le Project liberty qui se penche sur la façon dont internet et les réseaux sociaux pourraient être repensés par le biais d’une économie plus équitable.
Un concept qui peine encore à être clair
Il a été prononcé maintes fois depuis un an… Le métaverse - pour les uns, ou métavers pour les autres ! - est un mot qui n’est pas encore toujours utilisé correctement. Il s’agit d’un univers tridimensionnel, collectif et en ligne. Il est accessible via écran, on parle alors de « métaverse plat », ou en réalité immersive (réalité augmentée ou virtuelle).
« Les solutions de réalité immersive ont tendance à s’engouffrer dans la tendance du métaverse, prévient Leïla Mörch. Il faut bien comprendre qu’un métaverse, comme les réseaux sociaux, continue à exister après qu’on s’y déconnecte. Un espace virtuel pour s’entraîner à la prise de parole en public, qui ne serait activé que le temps d’un cours, ne coche donc pas toutes les cases. Cependant, ce genre d’espace peut exister au sein d’un métaverse. »
Rush vers le métaverse : par peur de louper le coche ?
Depuis une année, les annonces se multiplient dans les écoles d’enseignement supérieur : Sciences Po Paris, Neoma business school, ESCP… Beaucoup se lancent dans le métaverse, en créant souvent leur propre campus virtuel. Une tendance qui suscite d’ailleurs des vocations…
Cela doit entrer dans un réel projet pédagogique.
Malgré tout, les usages y sont encore limités : rentrée inaugurale pour les étudiants étrangers, cours exceptionnels, etc. « Il y a un côté fear of missing out, la peur de passer à côté de la tendance, qui se sent et qui se comprend. Mais ce serait dommage de rejoindre le mouvement parce qu’il “faut” avoir un métaverse, sans se faire accompagner par des acteurs de qualité. Cela doit entrer dans un réel projet pédagogique », analyse Leïla Mörch.
L’aspect développement durable en question
Sujet plus récemment abordé, mais qui sera bel et bien au cœur des enjeux du métaverse : la consommation énergétique liée à son fonctionnement. Un monde virtuel en temps réel, qui accueille des centaines participants, doit tourner sur des serveurs qui consomment de l’énergie. Et cela est particulièrement énergivore.
« Le métaverse apporte des avantages, mais à quel prix ? C’est un outil que l’on rajoute à nos usages et qui va coûter à la planète. Il faut voir dans quelle mesure il s’ajoute aux pratiques existantes ou en remplace certaines. Par exemple, pour les réunions professionnelles, il peut permettre des réunions plus immersives qui seraient une alternative aux déplacements en avion », estime Leïla Mörch.
D’ores et déjà, une possibilité pour les écoles est de réduire la qualité des graphismes. Une demi-mesure qui peut cependant risquer de ne pas séduire les usagers.
Des dimensions sociales et pédagogiques fortes… en immersif
« Je ne suis pas très convaincue par les métaverses plats », avoue Leïla Mörch qui en a testé plusieurs depuis qu’elle s’est penchée sur le sujet pour l'Université Stanford il y a deux ans, en tant que coordinatrice du projet de recherche au Stanford Content Policy & Society Lab.
En revanche, les métaverses immersifs, moins répandus et qui nécessitent l’usage de casques de réalité virtuelle, sont plus impressionnants, à la fois pour des pratiques professionnelles et pédagogiques. D’un côté pour organiser des réunions, de l’autre pour des cours à distance.
Dans les deux cas cependant, le métaverse présente une opportunité d’apprentissage de la gestion d’un espace public. « C’est un outil pédagogique pour travailler sur les règles d’usages propres aux réseaux sociaux, à la gestion d’un lieu d’expression virtuel qu’il faut modérer. »
Et dans ce domaine, tout reste encore à définir ! « Les enseignants ont une grande liberté dans la création des règles, avec leur classe, au sein du métaverse de leur campus. Ils peuvent ensuite participer à définir les pratiques au niveau des établissements », estime Leïla Mörch.