La crise, un laboratoire d’expérimentation pour les services universitaires de pédagogie
Par Marc Guiraud | Le | Pédagogie
La crise, c’est comme un laboratoire d’expérimentation de ce qui sera peut-être la normalité l’an prochain ! C’est Nathalie Issenmann qui le dit. Elle dirige le service universitaire d’ingénierie et d’innovation pédagogique de l’Université de Lorraine, et préside le Réseau des SUP (33 services universitaires de pédagogie).
Elle répond à Campus Matin avec Ophélie Carreras, trésorière de l’association et responsable du service interuniversitaire de pédagogique de l’Université Fédérale de Toulouse Midi-Pyrénées.
Nathalie Issenmann et Ophélie Carreras répondent à Campus Matin
Comment vont les SUP en cette période de confinement ?
Nathalie Issenmann : Si le rythme de travail s’est densifié, à ma connaissance aucun service ne s’est retrouvé submergé. Nous avions anticipé le confinement dès la fin février, avant même que les enseignants nous sollicitent.
Par ailleurs, depuis la mi-mars, tout un pan de notre activité habituelle, axée sur l’animation, comme la formation en présentiel, l’organisation de séminaires et d’ateliers, a tourné court. De fait, notre activité s’est fortement concentrée sur la production de contenus à distance : webinaires, visioconférences, capsules vidéos, guides méthodologiques…
Ophélie Carreras : Les services SUP gèrent la montée en charge du soutien à la prise en main des plateformes distancielles. D’autant plus qu’à cela s’ajoute, pour tous, la poursuite de certains de nos projets au long cours : conception de nouveaux modules, suivi des plans d’investissements d’avenir…
Comment se sont organisés les services ?
N.I : Nous avons partagé ce que chacun mettait en place à destination des enseignants. Puis nous nous sommes appuyés sur nos réseaux internes dans les établissements, ainsi que sur nos listes de diffusion, pour présenter cette offre aux enseignants et aux directeurs de composantes.
O.C : Chacun de ces services a dû faire preuve d’une forte réactivité et d’une importante agilité afin de réorganiser les équipes en distanciel. Mais aussi pour accompagner et documenter les enseignants, très inégalement familiers et partisans de l’enseignement à distance.
Quelles ont été les demandes des enseignants ?
N.I : La demande première touchait à l’adaptation pédagogique. Sans face à face, comment s’organiser pour le suivi des étudiants, en petite ou en grande cohorte ? Comment revoir sa pratique et comment conserver le lien ? Puis, dans un second temps, quels outils utiliser pour continuer à enseigner ?
O.C : Nous avons dû trouver les outils les plus appropriés au regard du contexte pédagogique de chaque enseignant : comment organiser les séquences d’enseignement, que proposer comme activités aux étudiants, etc. Ce qui a nécessité une importante conception de ressources (guides, documents, vidéos)…
Cette nouvelle donne a-t-elle provoqué des remises en question ?
Nous avons été rapidement confrontés à des difficultés techniques
N.I : Effectivement. Cela a conduit à faire réfléchir les enseignants sur leurs pratiques pédagogiques. Ainsi, au début, un certain nombre d’entre eux s’étaient spontanément orientés sur l’idée de remplacer les classes en présentiel par des classes virtuelles. Mais nous avons été rapidement confrontés à des difficultés techniques et au fait que ce n’était pas forcément la modalité la plus pertinente.
O.C : En discutant avec eux, ils ont pris conscience qu’il existait d’autres manières de travailler à distance, en asynchrone avec les étudiants. Par exemple, sur le modèle de la classe inversée, il est possible de construire des supports vidéo pointés vers une ressource, en demandant aux étudiants de travailler le thème en amont, puis en proposant des temps d’enseignement synchrones, par tchat ou autre.
L’enseignement actuel est-il déjà plus innovant qu’avant la crise ?
On note une vraie émulation
N.I : La pédagogie menée actuellement dans nos universités foisonne de nombreux outils récemment développés et d’échanges de pratiques. Si innover, c’est bousculer une norme, alors oui, ces enseignements sont innovants, car ces pratiques, bien qu’elles s’appuient sur des technologies existantes, vont bousculer l’enseignement supérieur, où jusqu’ici elles faisaient encore figure d’exception. On note une vraie émulation, la création de dynamiques par composantes ou équipes pédagogiques.
O.C : Actuellement, ce qui tourne beaucoup, c’est toute la question de l’évaluation à distance, sur les plans quantitatif et qualitatif. On nous a demandé, globalement, de faire moins d’évaluations, en les regroupant par UE et en en neutralisant certaines. La réflexion porte aussi sur d’autres types d’évaluations intéressantes pour les étudiants. Par exemple, s’appuyer sur un peu plus de réflexion, avec des documents, et non sur du par-cœur.
Quelles perspectives pour les pratiques pédagogiques ?
Un champ des possibles qui n’avait pas été exploré
N.I. La période ouvre un champ des possibles qui n’avait pas été exploré en tant que tel sur la formation à distance à l’université. Cela va peut-être susciter des vocations plus technologiques. Avec la possibilité d’entrevoir de nouvelles modalités, tout aussi performantes, comme l’hybridation des formations, avec des temps d’enseignement synchrones et asynchrones.
Cela va laisser des traces positives sur la façon d’enseigner à partir de septembre. Car il me semble incertain de pouvoir envisager des amphis limités à 500 étudiants et il sera impossible de démultiplier les groupes en présentiel. En ce sens, la crise s’apparente à un laboratoire de réflexion et d’expérimentation de ce qui va peut-être être la normalité l’an prochain.