Pédagogie active : en cours magistral, difficile de transformer l’essai
Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie
Donner un cours magistral, une évidence pour les nouveaux maîtres de conférences ? Même s’ils sont nombreux à avoir déjà enseigné avant leur titularisation, leur prise de poste s’accompagne depuis février 2018, d’une formation à la pédagogie. L’occasion de les inciter à revoir leurs pratiques, notamment durant les cours magistraux en intégrant plus de pédagogie active. Un changement qui se heurte à des difficultés concrètes, mais aussi à des résistances de la part des enseignants.
Trois millions d’étudiants dont près de 15000 nouveaux inscrits : l’enseignement supérieur accueille des effectifs records en cette rentrée 2023. C’est dans ce contexte de massification des effectifs que l’Université Paris 1 — Panthéon Sorbonne doit former ses nouveaux maîtres de conférences (MCF) aux techniques pédagogiques.
Campus Matin a pu assister à l’atelier « Enseigner en grand groupe », début octobre au centre Pierre Mendès France à Paris (« Tolbiac » pour les initiés). Ce jour-là, pourtant, seuls trois enseignants-chercheurs sont présents sur un total de 24 nouveaux maîtres de conférences recrutés en 2023.
La thématique aurait pu attirer plus massivement : les trois universitaires qui ont franchi le pas en participant à la formation font face à des amphithéâtres allant jusqu’à 600 étudiants, en début de licence.
« Il y a une augmentation importante du nombre d’étudiants à l’Université Paris 1 — Panthéon Sorbonne ces dernières années : depuis environ cinq ans, le nombre d’étudiants en L1 a augmenté d’environ 3000. Les amphithéâtres très fournis, à 400 ou 500 personnes, ne sont malheureusement pas inédits. C’est une situation qui est classique en sciences humaines, notamment en droit, économie ou histoire », expose Soraya Messaï-Bahri, vice-présidente ressources humaines (RH) de l’établissement.
Faire de la place à la pédagogie active en cours magistral
Ingénieur pédagogique et doctorant en sciences de l’éducation, Laurent Gensbittel anime l’atelier. Le contenu de la séance ? Des bonnes pratiques et conseils issus de la recherche. La forme ? Une pédagogie active qui résonne avec celle qu’il encourage les enseignants-chercheurs à tester.
Les 3 h d’atelier commencent donc avec un temps de réflexion personnelle de dix minutes autour de trois questions. Il s’agit notamment de dresser la liste des obstacles à l’apprentissage en amphithéâtre. Un format que les enseignants se voient mal reproduire dans leurs cours magistraux : par manque de temps et de concentration en début de séance.
« Il y a comme un froid au début de chaque cours et c’est à l’enseignant de briser la glace, en revanche je pose des questions sur le contenu de l’enseignement par la suite et cela ne me dérange pas d’attendre quelques minutes pour avoir des réponses », rapporte Thomas Herrmann, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles.
Des limites matérielles…
Deuxième activité pratique : le un-quatre-tous qui consiste à travailler individuellement puis en groupe et enfin en classe entière.
D’autres activités du même type sont présentées : l’organisation d’un débat en petits groupes, le fishbowl qui propose de constituer un groupe de discussion entouré d’observateurs qui devront échanger leurs places pour prendre la parole, le one-minute paper pour demander aux étudiants en fin de cours ce qu’ils ont retenu d’essentiel pendant la séance…
Là encore, la mise en pratique peut être complexe. L’équipement des salles permet difficilement aux étudiants d’être mobiles, certains étant même assis sur des bancs qui nécessitent de faire lever toute une partie de la rangée pour se déplacer ! Mais aussi, le risque d’agitation dans l’amphi.
« Il s’agit d’une réelle contrainte à l’Université Paris 1 — Panthéon Sorbonne : des locaux avec un nombre de mètres carrés parmi les plus faibles en France, reconnait Soraya Messaï-Bahri. Une situation qui devrait en partie s’améliorer avec la livraison du campus de La Chapelle en 2025, même si les conditions resteront difficiles. »
… et un manque d’intérêt et de temps
Les étudiants préfèrent un enseignement traditionnel et pourtant ont de meilleurs résultats en actif.
Organiser un débat dans un cours magistral pour l’animer : même les étudiants doutent, comme en témoigne une étudiante dans une vidéo réalisée par Sciences Po Lyon et projetée lors de la formation. Elle juge l’initiative « gadget »… un sentiment partagé par certains enseignants présents.
Le formateur, Laurent Gensbittel, explique que ces réactions sont à prendre avec des pincettes : « Les étudiants sont conditionnés par ce qu’ils connaissent : ils préfèrent l’enseignement traditionnel descendant et pourtant ont de meilleurs résultats en actif. »
Et puis, la gestion du temps reste un obstacle. « Enseigner la procédure pénale en 33 heures, c’est déjà trop court, témoigne Thomas Herrmann. C’est d’ailleurs un sujet de réflexion à l’École de droit de la Sorbonne : faut-il passer à la trimestrialisation, étaler les cours différemment ? Aujourd’hui, si je dédiais le tiers de ma séance à la pédagogie active, ce serait autant de temps en moins pour aborder les savoirs théoriques. Les étudiants maîtriseront peut-être mieux ce qu’ils auront vu, mais ils seront loin d’avoir vu l’ensemble du programme… »
Quels sont les obstacles récurrents pour l’enseignement en grands groupes ?
Lors de l’atelier, plusieurs facteurs externes sont soulevés : le bruit (bois qui craque, fenêtres qui donnent sur la rue, couloirs…), la distance physique entre l’enseignant et l’étudiant (qui lorsqu’ils sont trop proches ne parlent pas assez fort pour que la classe suive les échanges), les ordinateurs et téléphones portables.
D’autres obstacles sont propres à l’enseignant : une mauvaise performance, un décalage entre cours et TD, la gestion du contenu du PowerPoint (qui peut prendre le dessus sur le discours de l’enseignant s’il est trop rempli).
Une vision du cours magistral qui ne rencontre pas l’adhésion
Pour conclure l’atelier, Laurent Gensbittel demande aux participants de construire une séance adaptée à leur enseignement en faisant appel à un ou plusieurs exercices de pédagogie active. Mais les participants sont réticents…
« L’apprentissage actif est contradictoire avec un cours d’amphithéâtre. Le seul moyen que j’ai de rendre un cours magistral plus actif est de poser des questions, peut-être organiser un débat de 30 minutes si j’en ai le temps… », remarque Thomas Herrmann.
« La distinction même entre cours magistral et travaux dirigés implique que l’enseignement est divisé entre une partie de transmission de la part de l’enseignant et une partie plus pratique et interactive. En sortir, c’est trahir la dénomination même. Bien sûr on peut remettre cela en cause, mais il faudrait alors tout repenser », poursuit-il.
Faut-il alors repenser cette division ou renoncer à transformer les cours magistraux ? Pour la vice-présidente Soraya Messaï-Bahri, « la vérité est moins tranchée : dans un groupe plus restreint, la pédagogie active sera plus accessible, mais cela ne veut pas dire que nous devons exclure toute pédagogie active en grand groupe. Le cours magistral peut être repensé avec le numérique, notamment. Cela passe également par de petites choses comme la possibilité pour les étudiants de poser des questions, de nouer un court dialogue. »
Une certaine frustration chez des enseignants-chercheurs confirmés qui redeviennent « stagiaires »
Au cours de l’atelier, le formateur fait face à la réticence de certains participants. Le statut de maîtres de conférences « stagiaire », pour une durée d’un an après leur nomination, n’est pas toujours bien perçu par les intéressés qui ont obtenu un doctorat et, souvent, ont subi une période de précarité à enchainer postdoctorat ou vacations.
Une formation qui intervient après une longue expérience d’enseignement
Certains participants de l’atelier pointent leur expérience de plus de dix ans en tant qu’enseignants. « Depuis le décret du 9 mai 2017 rendant obligatoire la formation en pédagogie des maîtres de conférences, tous sont concernés, qu’ils soient anciens ou nouveaux dans leurs carrières. Et dans les faits, ils sont souvent expérimentés », confirme Soraya Messaï-Bahri.
La formation devrait-elle intervenir plus tôt ? Paris 1 propose déjà des sessions aux chargés de TD, quel que soit leur statut (doctorant contractuel, attaché temporaire de recherche, vacataire). Ces derniers ont donc la possibilité d’être formés plus tôt dans leur carrière, même si les ateliers restent optionnels.
« Si les maîtres de conférences ont le sentiment d’être experts, quand on leur pose la question, beaucoup ont appris sur le tas », observe Laurent Gensbittel. D’où l’intérêt d’une formation qui propose de revenir sur les outils pédagogiques préconisés par les recherches en sciences de l’éducation.
Sorb’Rising, une école interne des compétences
L’Université Paris 1 — Panthéon Sorbonne travaille à la création d’une école interne des compétences, dans le cadre du projet « Sorb’Rising », lauréat du Programme d’investissements d’avenir (PIA) 4. Cette structure proposera une offre de formation dédiée à l’ensemble des personnels administratifs, chargés d’enseignement et des enseignants-chercheurs.
« L’objectif est d’aboutir à un catalogue de formation co-construit avec la communauté, qui inclura notamment des ateliers de partage de connaissances et d’échanges d’expérience avec des universitaires plus expérimentés. Ces formations pourraient ainsi être proposées aux jeunes enseignants débutant leur carrière en tant que chargés de cours ou de travaux dirigés avant qu’ils ne soient recrutés comme maître de conférences », précise la VP CA et RH.
Une décharge horaire qui n’est pas toujours estimée suffisante
Les nouveaux maîtres de conférences bénéficient de décharge d’enseignement pour leurs 32 heures de formation. Une mesure qui peut être perçue comme généreuse pour les uns, puisqu’une heure d’enseignement équivaut à bien plus de préparation. Ou comme une contrainte alors que cela exige des déplacements entre sites universitaires parfois très chronophages.
« C’est une deuxième contrainte de Paris 1 : l’université est répartie sur 25 sites, et la formation a souvent lieu sur le même site », indique Soraya Messaï-Bahri. Pour remédier à cette complexité, des ateliers pédagogiques en visioconférence sont aussi proposés.
Une légitimité des ingénieurs pédagogiques et des études présentées remises en doute
S’il n’a pas affaire à des amphithéâtres surchargés, Laurent Gensbittel est loin d’avoir une mission aisée face à certains de ses « élèves » du jour qui l’interrogent : les études ne sont-elles pas biaisées ? Les conditions matérielles ne sont-elles pas trop différentes pour estimer que les conclusions de recherche s’appliquent à Paris 1 ?
« Il y a un débat entre les disciplines, les études présentées sont remises en cause », regrette l’ingénieur pédagogique qui veut faire évoluer sa formation de façon à ne plus présenter des activités difficilement réalisables.
Comment, en n’étant pas enseignant-chercheur lui-même, peut-il convaincre ? « Les formations sont appuyées sur des études sérieuses, nous nous rendons dans des conférences pédagogiques, rappelle-t-il. Nous travaillons aussi à identifier des enseignants-chercheurs confirmés qui acceptent d’intervenir, nous en avons identifié trois, reste maintenant à gérer la question de la décharge d’enseignement — ou autre forme de compensation — à leur fournir en échange de leur participation. »
Des savoirs théoriques qui permettent une mise en perspective du champs des possibles.
Soraya Messaï-Bahri défend l’expertise de l’intéressé : « Les ingénieurs pédagogiques ont un rôle important. Ils délivrent des savoirs théoriques en pédagogie, qui permettent une mise en perspective du champ des possibles. Il reste important d’avoir cette base pour ensuite l’adapter à son enseignement. »
Pour des échanges plus pratiques et didactiques, l’université organise des ateliers où sont conviés des collègues enseignants avec plus d’ancienneté. « Nous réfléchissons également à mettre en place un mentorat, qui permettrait de répondre aux problématiques disciplinaires en pédagogie », ajoute la VP RH.
Des stratégies adaptées aux groupes de TD conséquents
Malgré les limites pointées, Thomas Herrmann estime qu’apprendre l’existence de différents formats d’activités en groupe aura été utile pour un usage en travaux dirigés. Avec souvent une trentaine d’étudiants ou plus, ils deviennent eux aussi des enseignements en grands groupes.
Soraya Messaï-Bahri acquiesce : « Si la pédagogie active est compliquée à mettre en place en cours magistral, elle est tout à fait possible en TD. Il faut faire preuve de beaucoup d’ingéniosité en tant qu’enseignant. »
Comment sont choisies les thématiques des ateliers pour la formation pédagogique des MCF ?
À l’Université Paris 1 — Panthéon Sorbonne, pour valider leurs 32 heures de formations obligatoires, les nouveaux maîtres de conférences doivent notamment choisir six ateliers : trois sur des thématiques de pédagogie classique et trois en pédagogie numérique.
Des sujets « discutés entre les équipes du service des usages numériques et la gouvernance, chaque année à l’issue de l’année de formation. Nous tenons compte des fiches d’évaluation des maîtres de conférences ayant suivi la formation, pour faire évoluer l’offre. Elle est ensuite présentée au conseil académique en formation restreinte pour avis », indique Soraya Messaï-Bahri.