La lutte contre les VSS, encore très hétérogène selon les établissements
Par Enora Abry | Le | Expérience étudiante
Le mouvement « MeToo », débuté en 2017, concerne bien sûr l’enseignement supérieur et l’a touché, notamment, en février 2021 via le #Scienceporc. Le ministère a lancé en octobre dernier un plan de lutte nationale contre les violences sexistes et sexuelles dans les établissements sous sa tutelle. Où en est sa mise en place ? Qu’en pensent les chargés de mission égalité qui sont au cœur du sujet ? Campus Matin fait le point.
En 2019, deux ans après #Metoo, a éclaté le mouvement #Scienceporc lancé par une étudiante de Sciences Po Toulouse dénonçant l’inaction de l’école face aux violences sexistes et sexuelles. Effet boule de neige, les alertes et dénonciations sur les réseaux sociaux et les médias se sont multipliées depuis, concernant tous les types d’établissements. Certaines écoles, d’ingénieurs notamment, ont mené des enquêtes internes sur le sujet entraînant l’ouverture de procédures judiciaires.
En octobre 2021, le ministère de l’enseignement supérieur a réagi en présentant un plan national d’action contre les violences sexistes et sexuelles (VSS). Au total, 21 mesures pour déployer et renforcer ce qui avait déjà été amorcé par l'article 80 de loi du 6 août 2019 sur la transformation de la fonction publique, qui oblige les établissements à disposer de leur propre dispositif d’écoute et de signalement.
Au programme : des formations pour les personnels impliqués dans la prise en charge des VSS dans les établissements, un plus grand accompagnement de la part du ministère pour mettre en place un dispositif structuré… Un travail que le personnel dédié à ces questions au sein des établissements doit effectuer main dans la main avec le ministère.
Un paysage du sup’ non homogène
« Nous constatons une grande hétérogénéité dans les pratiques. Entre des universités qui disposent d’une cellule d’accueil et d’écoute des victimes depuis plusieurs années et celles qui la mettent tout juste en place suite à la loi de 2019 », expose Julie Guerreiro, chargée de mission égalité et lutte contre les VSS au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Certaines universités préfèrent externaliser la gestion de cette cellule à une association ou un organisme spécialisé, tandis que d’autres en construisent en interne, allant même jusqu’à recruter plusieurs personnes à temps plein et à s’entourer de juristes.
C’est le choix qu’a fait Sciences Po Paris en embauchant une magistrate qui dirige une cellule d’enquête, comme l’indiquait en janvier dernier le directeur de l’école Mathias Vicherat, dans une interview à News Tank (abonnés).
Toutefois, pour Julie Guerreiro, il n’y a pas une unique manière de faire qu’il faudrait privilégier. « Tout dépend des besoins de l’établissement, et surtout de sa taille. Ce qui compte est que le dispositif fonctionne. »
Quel que soit le choix, le ministère s’engage à accompagner la création de ces dispositifs, qui seront évalués par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). Celui-ci pourrait aussi les prendre en compte lors de l’évaluation des établissements. L’ensemble de ces dispositifs est recensé dans une carte réalisée par le ministère.
Un manque de chiffres pour évaluer la situation à l’échelle nationale
La déferlante médiatique, conséquence d’une libération de la parole, laissait présager une multiplication des signalements auprès des établissements, toutefois celle-ci ne peut être quantifiée. « Nous n’avons pas de chiffre au niveau national. Nous allons entamer un chantier sur ces données, pour connaître le nombre de saisines ainsi que le nombre de sanctions disciplinaires », affirme Julie Guerreiro.
Pour ce faire, le ministère s’appuiera sur l’arrêté du 7 mai 2021 prévoyant la mise en place d’un rapport social unique des établissements, comprenant notamment ce type de données.
« Mettre à disposition ces données serait aussi un plus pour les établissements, ajoute-t-elle. Ils pourraient voir si les signalements augmentent à certaines périodes de l’année et évaluer l’efficacité de leur système de communication. »
Le ministère, un accompagnateur et non pas un décisionnaire
Le ministère accompagne, conseille, mais ne peut être sollicité pour prendre des décisions à la place des établissements, rappelle Julie Guerreiro. « Assez régulièrement, certains cas nous sont remontés, mais nous renvoyons toujours à des dispositifs locaux, car ce n’est pas à nous de prendre ce type de décision. »
Une autre distinction sur laquelle la chargée de mission au MESR insiste est celle entre les enquêtes internes aux établissements et les procédures judiciaires.
« Nous le rappelons dès que nous le pouvons. Ces procédures sont indépendantes et n’ont pas les mêmes enjeux. Voilà pourquoi avec le plan de lutte contre les VSS, nous avons mis en place des formations pour les membres des dispositifs de signalement et ceux de la commission disciplinaire afin qu’ils puissent avoir les clefs pour effectuer cela en interne. »
Ces formations auprès des établissements sont assurées par Jurisup, l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AFVT) et VSS-Formation. 27 sessions ont été effectuées depuis le lancement du plan, soit environ 550 personnes formées, à Paris et en région.
Au ministère, de multiples projets
Le ministère n’en est qu’au début de son plan et évoque d’autres actions à mettre en place. Entre autres :
• Une mise à jour de la circulaire de 2015 sur la prévention et le traitement du harcèlement sexuel dans les établissements scolaires, du supérieur et de la recherche, « afin que celle-ci corresponde mieux aux besoins des établissements. Ce renouveau se fera à l’issue de l’analyse des données que nous pourrons obtenir », précise Julie Guerreiro.
• Le lancement d’une campagne de communication nationale sur le consentement en partenariat avec l’association Sexe & consentement avant la fin de l’année 2022.
• La diffusion d’un Mooc sur les VSS en lien avec l’IMT Atlantique.
Pour les établissements, des dispositifs à pérenniser
En fonction des besoins et moyens des établissements, les cellules de signalement et d’écoute prennent forme. À Aix-Marseille Université, un service dédié emploie trois personnes à temps plein : un psychologue, un juriste et un travailleur social. Une exception !
La plupart du temps, le dispositif est géré et animé par une personne, qui cumule les activités d’enseignant-chercheur avec celle de vice-président ou de chargé de mission égalité. Un champ d’action qui regroupe souvent la lutte contre les VSS, le racisme, l’antisémitisme ou encore la LGBTphobie.
Une réalité complexe selon Philippe Liotard, président de la Conférence permanente des chargés de mission égalité et diversité du sup’ et de la recherche (CPED).
« Le problème n’est pas foncièrement les fonds, car nous en avons par la contribution vie étudiante et de campus (CVEC) ou via les appels à projets du gouvernement. Mais c’est une question de moyens humains. Monter un projet à l’échelle de l’établissement, si on est seul, c’est impossible ! »
Car le chargé de mission doit agir en coordination avec les services des ressources humaines, la commission disciplinaire ou encore le service de santé de l’établissement. Un travail de gestion qui demande du temps ainsi que des connaissances pour des personnels qui ne sont pas toujours formés à ces questions spécifiques.
« La raison de l’existence de la CPED est de faire en sorte que les chargés de mission ou les vice-présidents se sentent moins seuls quand ils arrivent à leur poste. Nous partageons nos pratiques, nous les tournons vers les formations du ministère. Nous réfléchissons même à mettre en place nos propres formations », avance Philippe Liotard.
Un financement historique, mais une répartition qui fait débat
Pour ce plan d’action national sur quatre ans, de 2021 à 2025, le ministère a mis sur la table une enveloppe de 1,7 million d’euros, répartis via un appel à projets annuel. 700 000 euros ont été partagés entre une cinquantaine d’établissements sélectionnés en 2020 en fonction de la nature du projet, parmi les 90 dossiers reçus.
Cette année, le nombre de projets reçus et soutenus est le même, pour un budget de 800 000 euros. Un financement bien supérieur aux 200 000 euros par an accordés aux sujets relatifs à la diversité et l’égalité avant le plan de lutte contre les VSS.
Toutefois cette manière de distribuer les fonds fragilise la pérennité des dispositifs, chaque établissement ne pouvant être sûr de retrouver son enveloppe l’année suivante et par conséquent de conserver tout le personnel dédié.
« Nous sommes bien conscients que cela engendre une compétition entre les établissements, déclare Julie Guerreiro, mais cela nous permet de faire un état des lieux sur le nombre d’établissements véritablement engagés dans cette lutte et nous sommes heureux du résultat. En plus, cela nous permet de voir naître de beaux projets. »
De bonnes idées à La Rochelle Université
La Rochelle Université a été l’un des établissements à bénéficier de l’appel à projets 2021, à hauteur de 12 500 euros, soit la totalité de la somme demandée. La vice-présidente égalité de l’établissement, Élodie Chazalon y a vu une opportunité de mettre en place des événements en plus de la cellule d’écoute existant depuis 2018.
« À l’aide d’un groupe de travail composé d’étudiants, nous avons mis en place notre évènement phare « Égalité sur le campus ». C’est une demi-journée dédiée à ces problématiques », explique la vice-présidente égalité.
À l’occasion de l’édition 2022, les étudiants ont pu assister à des tables rondes organisées en partenariat avec le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles, à des ateliers tenus par des associations parmi lesquels Oser le féminisme et Nous Toutes, et en fin de soirée, à une projection du film Les Chatouilles en présence des réalisateurs Andréa Bescond et Éric Métayer.
Pour encourager l’engagement des étudiants, ceux-ci pouvaient participer à un jeu-concours en créant des affiches et des vidéos sur le thème de l’année « les violences intrafamiliales », les résultats étant annoncés avant la projection du film.
« Cette journée a été extrêmement bénéfique, témoigne Élodie Chazalon. Cela a permis de mieux faire connaître notre dispositif, de sensibiliser les élèves à ces enjeux, mais également de créer de nouveaux partenariats. »
Un travail en réseau avec toute la communauté locale
La Rochelle Université ne se contente pas d’événements pour ses étudiants, mais entreprend aussi de créer des liens avec son territoire. En juin dernier, elle rassemblait par exemple dans ses locaux des personnels de la mairie, de la police nationale, de la préfecture, et des membres du monde professionnel comme la multinationale spécialisée dans le secteur des transports, Alstom, pour discuter de la problématique des VSS.
Ces rapprochements ont été fructueux pour l’établissement. En octobre dernier, la gendarmerie de Charente a eu lancé « Libra » : dans les toilettes de l’université, des stickers avec un QR code permettent de connecter la victime avec une cellule d’écoute en une trentaine de secondes.
Les policiers ou gendarmes, spécialisés sur ces questions peuvent en fonction des situations inciter la victime à se rendre à la gendarmerie où une plainte sera enregistrée. Un accompagnement gratuit, l’impression des stickers étant prise en charge par l’établissement.
« Le dispositif a été lancé en novembre et ça a très bien marché, raconte Sébastien Letellier, chef d’escadron et officier adjoint au commandement à La Rochelle. Il a été mis dans les toilettes du stade rochelais puis à l’université et depuis, une dizaine de départements sont rattachés à la démarche et un bon nombre d’établissements de nuit disposent de ces stickers. »
Pour la vice-présidente, cette idée vient compléter la cellule d’écoute de l’université puisque ce dernier fonctionne de jour comme de nuit. Sa présence visible dans l’établissement peut aussi avoir un effet dissuasif pour les agresseurs.
Des efforts à poursuivre
Encouragés par le MESR, certains établissements ont lancé des enquêtes internes et anonymes pour connaître le nombre de victimes de VSS au sein de leurs murs. Parmi eux, CentraleSupélec, l’École Polytechnique, AgroParisTech et l’Insa Rennes. Les résultats, révélant des faits graves, ont dû être signalés au procureur de la République.
Pour Vincent Brunie, directeur de l’Insa Rennes qui a dévoilé une partie des résultats le 7 juillet 2022 dans un communiqué de presse, « l’enquête confirme que nous devons poursuivre ce travail et le renforcer afin de faire cesser ces agissements inadmissibles dans un établissement d’enseignement supérieur. Les résultats confirment que le sujet des violences sexistes et sexuelles est toujours et plus que jamais d’actualité. »