Quand étudiants étrangers et établissements font face ensemble aux galères administratives
Par Clémence Kerdaffrec | Le | Expérience étudiante
Les procédures administratives et en particulier les démarches en préfecture, occupent, inquiètent et égarent nombre d’étudiants internationaux. Face aux lourdeurs qui peuvent entraver la réussite de leurs étudiants, les établissements du supérieur se mobilisent. Mais leur champ d’action est restreint.
« Tous les ans, en pleine période d’examens, c’était le stress. Et pas qu’à cause des partiels. Plutôt à cause des papiers. » Maryam, ancienne étudiante algérienne de l’Université Paris-Saclay, témoigne de son rapport à l’administration française. Parmi les difficultés rencontrées par les étudiants étrangers en France, les soucis d’ordre administratif figurent en bonne place.
Pour Ali Mousli, le directeur adjoint de la stratégie immobilière, du développement et de la vie des campus de la Comue Université de Lyon, il s’agit même du premier motif de contact du Student welcome desk (SWD), un dispositif d’accueil et d’accompagnement des étudiants internationaux ouvert de septembre à novembre.
« Des problèmes de compréhension, liés à la barrière de la langue ou à la complexité administrative, les empêchent parfois de remplir correctement un dossier ou de demander les aides auxquelles ils ont droit », explique Ali Mousli.
Des étudiants internationaux en manque de repères
Même constat à l’Université Bordeaux Montaigne où l’international welcome desk, ouvert toute l’année, voit arriver des étudiants en manque de repères. « Il y a parfois une méconnaissance du système universitaire, mais aussi de la société française et de ses particularités administratives », remarque Ines Frighetto, chargée du bureau d’accueil des étudiants internationaux.
« Les étudiants viennent souvent nous voir pour poser des questions par rapport aux démarches de type CAF, CPAM ou à l’obtention de logements ».
Des difficultés administratives qui influent sur la scolarité
Les démarches liées au titre de séjour et au renouvellement de l’accès aux droits amènent toutefois un nombre encore plus grand d’étudiants et suscitent de profondes inquiétudes. En cause notamment, des longueurs administratives qui peuvent perturber la scolarité des étudiants.
« Nous avons des étudiants qui se retrouvent en échec à cause de leur situation administrative, lorsqu’ils sont, par exemple, dans des formations où il y a un stage obligatoire ou une alternance et qu’ils ne peuvent pas le faire parce que leur titre de séjour n’a pas été délivré à temps », regrette Kevin Dagneau, directeur de cabinet de l’Université Bordeaux Montaigne.
« C’est très courant », déplore Maé Bouteille, vice-présidente de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) en charge des politiques de jeunesse.
Pour l’étudiante lyonnaise, il existe une « précarité administrative qui touche quasiment tous les étudiants étrangers. Les démarches pour accéder à un titre de séjour sont extrêmement chronophages. Il y a énormément de procédures administratives et parfois on demande aux étudiants des documents qu’ils ne peuvent même pas avoir en leur possession parce que dans leur pays d’origine, ce ne sont pas des documents qui existent. »
La préparation des dossiers et le dépôt des demandes de renouvellement des titres coïncident généralement avec les périodes de stage ou d’examens. Pour aider leurs étudiants à naviguer dans les eaux administratives, la plupart des établissements du supérieur mettent en place des dispositifs qui permettent de les accompagner à travers les différentes étapes de leurs démarches : avant le départ, à l’arrivée et à chaque fin d’année administrative.
Anticiper et informer
Pour réussir son intégration dans l’enseignement supérieur en France, mieux vaut être bien préparé. « On observe des disparités dans l’information des étudiants internationaux. La préparation est très variable selon le pays d’origine et la situation », remarque Kevin Dagneau.
Parmi les étudiants étrangers, il faut en effet distinguer :
- les étudiants européens (dont Erasmus) en mobilité libre,
- les étudiants extraeuropéens en mobilité diplômante ou en échange,
- et les étudiants en exil. Ces derniers, mobilité forcée oblige, n’ont généralement pas eu beaucoup de temps pour préparer leur arrivée en France et leur poursuite d’étude.
Pour les autres étudiants extraeuropéens « il y a un parcours du combattant à franchir avant d’arriver avec toutes les procédures Campus France et les obtentions de visas », explique Ines Frighetto. L’accompagnement peut commencer dès ce moment. Il s’agit avant tout d’informer.
Répondre à toutes les questions
Chaque année, au mois de juin, l’Université de Bordeaux Montaigne organise un webinaire de préparation à l’arrivée. 400 des 1 800 étudiants internationaux inscrits s’y sont connectés en 2023. Les étudiants sont notamment incités à préparer les documents dont ils auront besoin, et surtout à poser leurs questions. Des conseils pratiques y sont aussi dispensés.
« Les étudiants ont énormément de questions avant d’arriver », explique Michel Legault, directeur des relations internationales de l’Université de technologie de Troyes (UTT), qui souhaite offrir « un accompagnement personnalisé à chacun de ses étudiants étrangers avant, pendant et après les études ».
Emilie Richard, chargée de missions internationales à l’UTT insiste : « Nos étudiants ne sont pas anonymes. Nous échangeons avec eux avant leur arrivée, nous allons les chercher à l’aéroport et nous leur trouvons un logement à l’avance. Pour ce qui est de l’administratif, nous avons une plateforme en ligne où tout est expliqué en plusieurs langues et nous avons mis en place des tutoriels pour à peu près tout. S’ils n’y arrivent pas avec les tutoriels, ils viennent au bureau et nous faisons avec eux. »
Une lecture différente des dossiers des étudiants
Sur la question cruciale des titres de séjour, il importe aussi de renseigner sur le fonctionnement du dispositif préfectoral. Pour ce faire, la Comue de Lyon organise des sessions d’informations avec des agents qui viennent renseigner les assistantes sociales et les référents relations internationales sur leur façon de lire les dossiers.
« La préfecture a une lecture de ce en quoi consistent des études en France qui n’est pas forcément la nôtre », admet Ali Mousli, le directeur adjoint de la stratégie immobilière, du développement et de la vie des campus de la Comue Université de Lyon. Volume d’heures de formation, nombre de redoublements autorisés… L’administration contrôle en effet seule le « caractère réel et sérieux des études ».
« Une violation de la liberté académique, estime Rudy Osman, président de l’Union des étudiants exilés (UEE). Elle ne tient pas toujours compte de ce que l’étudiant a vécu avant d’arriver en France et des difficultés particulières qu’il peut rencontrer. S’il a par exemple des traumas psychologiques, des problèmes de santé qui l’ont empêché de passer l’examen… »
Dans ces cas de figure, les bonnes relations des établissements du supérieur avec les préfectures sont précieuses pour apporter un soutien institutionnel aux étudiants et défendre leurs dossiers en cas de problème.
« Nous n’avons pas de droit de regard sur les dossiers, mais nous pouvons alerter la préfecture sur certaines situations et parfois fournir des informations complémentaires pour les clarifier. J’écris beaucoup de courriers pour expliquer les raisons d’un redoublement », illustre Kevin Dagneau.
Des partenariats pour fluidifier les procédures
Pour faciliter le dialogue, certaines universités ont conclu des accords avec l’administration préfectorale. « C’est dans l’intérêt de tout le monde », précise Ali Mousli. Le partenariat de la Comue de Lyon avec sa préfecture permet d’accélérer et de personnaliser davantage le traitement des dossiers.
« En général, quand les étudiants nous appellent ou viennent nous voir, c’est parce qu’ils sont dans un cas particulier. Ils ont une situation qui fait qu’ils n’entrent pas dans les cases du logiciel préfecture. Dans ce cas, nous prenons la demande, l’instruisons et avons ensuite un échange avec la préfecture ce qui permet soit de mettre en place une prolongation d’instruction afin que l’étudiant dispose de deux ou trois mois supplémentaires pour fournir les bonnes pièces, soit de résoudre directement le problème, par exemple en cas de redoublement. En fait, avec nos rendez-vous, nous déblayons le terrain pour que la préfecture ait plus de facilité à traiter l’entièreté des demandes ».
Quel que soit le cas de figure, le pouvoir d’action des établissements est très limité, et il tend à se réduire depuis 2020 avec la généralisation des démarches dématérialisées, comme l’explique Cédric Guern, responsable du pôle support aux étudiants et chercheurs internationaux à l’Université Caen Normandie.
« Avant, nous intervenions dans le traitement des dépôts de dossiers. Depuis la dématérialisation, nous n’avons de visibilité sur les démarches de nos étudiants que quand ils viennent nous voir parce qu’ils ne reçoivent pas de réponse. Et nous ne pouvons pas faire grand-chose », regrette-t-il.
Une dématérialisation à double tranchant
Selon l’Union des étudiants exilés, la dématérialisation « déshumanise les procédures, invisibilise et accroît les difficultés des plus précaires ». Cédric Guern commente : « Cela a du bon et du mauvais. Pour quelqu’un qui parle bien français et qui rentre dans les cases, cela permet de fluidifier les démarches, mais pour les autres, cela crée parfois des problèmes qu’un simple contact humain aurait pu résoudre. »
C’est pourquoi l’Université Caen Normandie s’efforce de maintenir une présence physique sur les campus. L’établissement a créé un espace d’accueil et d’accompagnement des publics internationaux de 400 m2 doté d’une salle informatique avec un point d’impression.
Un équipement essentiel quand on sait que « les étudiants étrangers sont les plus touchés par la précarité numérique », affirme Maé Bouteille.
Pour la vice-présidente de la Fage, cela s’explique par la précarisation générale de ces publics comme en témoignent les chiffres du Crous. En 2023, 59 % des bourses d’urgence des centres régionaux ont ainsi été délivrées à des étudiants étrangers, une augmentation de 4 % depuis 2021.
Depuis la crise Covid-19, révélatrice de la fracture numérique estudiantine, ils bénéficient, au même titre que leurs camarades français, des services de prêts d’outils informatiques mis en place par les établissements. À Bordeaux Montaigne, ce sont 200 ordinateurs qui sont prêtés chaque année. « Les étudiants internationaux sont particulièrement demandeurs », observe Kevin Dagneau.
Parmi eux, des étudiants sans papiers, qui ne peuvent, du fait de leur situation, compter sur des bourses ou trouver un emploi déclaré pour subvenir à leurs besoins. Qu’ils aient perdu leur droit au séjour ou ne l’aient jamais obtenu, ces étudiants, dont le nombre est estimé à plusieurs milliers en France par Rudy Osman, tendent à passer sous les radars et sont par conséquent encore plus difficiles à aider.
La raison d’être de l’université
En France, tout le monde a le droit de faire des études. « Nous ne demandons pas de titre de séjour lors de l’inscription donc nous ne savons rien du statut administratif des étudiants à moins qu’ils ne nous en parlent », indique Cédric Guern.
Lorsque leur situation est connue, ils sont plutôt orientés vers des associations spécialisées dans l’accompagnement des étrangers comme la Cimade ou l’UEE.
Mais les établissements peuvent aussi tenter d’obtenir la régularisation de certains de leurs étudiants. « Il y a des universités parisiennes qui ont des accords bilatéraux avec les préfectures et peuvent présenter chaque année entre 20 et 30 dossiers », indique Rudy Osman.
Un nombre « insuffisant » qui traduit selon Maé Bouteille, « une volonté politique de maintenir les étudiants étrangers dans l’illégalité » et même de « fabriquer des sans-papiers ». D’après elle, « on provoque l’échec des étudiants étrangers en France en créant une surcharge administrative pour des personnes qui viennent seulement apprendre et partager leurs connaissances et leurs cultures, ce qui est quand même la raison d’être de l’université. »
Une raison d’être que défendent certains établissements en s’assurant notamment qu’aucune différence ne soit faite entre les étudiants français et les étudiants internationaux. Pour l’Université Bordeaux Montaigne comme pour 57 % des universités publiques françaises, cela implique par exemple de refuser d’appliquer aux étudiants extracommunautaires, les frais d’inscription différenciés mis en place en 2019 par le plan Bienvenue en France.
Malgré ce changement politique très diversement appliqué et ses lourdes contraintes administratives, la France attire chaque année davantage. Selon Campus France, ils étaient 400 000 en 2021-2022 contre 300 000 en 2014-2015. Ce qui en fait le sixième pays d’accueil des étudiants internationaux.