Projet de loi immigration : touche pas à mon étudiant étranger !
Par Théo Haberbusch | Le ( mis à jour le ) | Stratégies
Le réveil est tardif, mais d’une intensité rare. Le vote du projet de loi immigration dans une version dure, comportant des mesures pénalisantes pour les étudiants étrangers, a suscité une levée de boucliers des universités et écoles. Sylvie Retailleau a présenté sa démission… qui a été refusée. Déjà, la mise en œuvre d’une caution préalable semble sur la sellette. Mais les dégâts symboliques sont bien là.
Et soudain, l’unanimité s’est faite. L’enseignement supérieur, plutôt connu pour ses chapelles et ses silos, s’est soudé depuis quelques jours face aux dispositions du projet de loi sur l’immigration. Les mesures relatives aux étudiants étrangers sont « innaceptables » lançait France Universités, dimanche 17 décembre, à la veille d’une commission mixte paritaire (CMP) chargée de trouver un compromis à partir d’une version du texte durcie par le groupe Les Républicains (LR) au Sénat.
Car parmi les mesures de ce texte gouvernemental, profondément remanié par les sénateurs LR début novembre, figure le dépôt préalable d’une « caution retour » pour les étudiantes et étudiants étrangers désireux de poursuivre leurs études en France.
Des alertes insuffisantes ?
La semonce des présidents d’université à la veille du dernier examen du texte n’était pourtant pas la première alerte. Donatienne Hissard, directrice générale de Campus France, sortant du langage diplomatique, avait souligné les dangers du texte issu du Sénat lors des Rencontres Campus France, le 14 novembre, à la Cité internationale universitaire de Paris, en présence de Sylvie Retailleau (comme relaté par News Tank, dans cet article réservé aux abonnés).
Elle était à l’époque bien seule à s’en alarmer. Le sujet n’était pas jugé prioritaire par les conférences d’établissements : elles ne l’ont par exemple par évoqué lors du dîner en petit comité avec Emmanuel Macron, le même jour. Au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, on esquivait aussi.
La discussion sur les moyens et la réorganisation de l’ESR a pris le pas sur les mesures problématiques de ce texte, dont beaucoup imaginaient qu’elles ne passeraient pas le cap du Sénat. Il n’en a pas non plus été question dans les discours de décembre du président de la République consacré à la recherche.
Les mesures adoptées
Mais lundi 18 décembre, la CMP a bien validé plusieurs mesures en direction des étudiants étrangers : caution préalable pour la délivrance d’un titre de séjour pour suivre des études donc, mais aussi :
- la majoration généralisée des droits différenciés pour les étudiants étrangers extracommunautaires, sans possibilité d’exonération ;
- le contrôle « du caractère réel et sérieux des études » pour la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans.
Un point très critiqué n’a toutefois pas passé le filtre de la négociation parlementaire : les aides pour le logement (APL) pour les détenteurs d’un visa étudiant sont maintenues.
18 présidents sonnent la mobilisation
Dans les heures qui ont suivi la CMP, les acteurs de l’ESR se sont dressés contre ces mesures. Une séquence qui rappelle celle de 2019 et l’annonce de la mise en place de frais d’inscription différenciés pour les étudiants étrangers.
Mais à l’époque les présidents d’université étaient partagés. Certains se réjouissaient, au moins officieusement, de cette mesure ; pour les autres, la possibilité d’exonération jusqu’à 10 % revenait bien souvent à ne pas avoir à la mettre en place. Et c’était de leurs communautés qu’était montée l’opposition.
Cette fois, l’unanimité est de mise. À l’initiative de Christine Neau-Leduc (Paris 1 Panthéon Sorbonne) et de Daniel Mouchard (Sorbonne Nouvelle), 18 présidents d’université publient une tribune dénonçant des « mesures indignes de notre pays [qui] mettent en danger la stratégie d’attractivité de l’enseignement supérieur et de la recherche française ». Plus de 40 autres signataires se sont depuis ajoutés.
Au même moment les directeurs des trois premières écoles de management (HEC, Essec, ESCP) font de même dans le Parisien.
Le rôle de Sylvie Retailleau : elle a présenté sa démission
Dans la soirée du mardi 19 décembre, avant l’adoption du texte par le Sénat et l’Assemblée nationale, la presse nationale (AFP, Le Monde) cite Sylvie Retailleau, ministre de l’ESR comme possible démissionnaire du gouvernement. Une information qui n’a été confirmée à aucun moment ce soir là par l’entourage de l’ancienne présidente d’université. Au plus fort des tensions, une source bien informée évoque une « grogne très forte », mais pas de démission à ce stade.
Le message passe de la rue Descartes à Matignon. La Première ministre évoque sur France Inter, le 20 décembre au matin, l’idée que la caution prévue soit minimale.
Maisn en marge du conseil des ministres le même jour, Sylvie Retailleau présente sa démission. Celle-ci est… refusée par le président de la République, qui lui donne des garanties.
Son entourage confirme la scène à News Tank : « Constatant que la démission reposait notamment sur la question des étudiants internationaux, le président a refusé la démission. Emmanuel Macron lui a renouvelé sa confiance pour porter les chantiers d’avenir qu’il lui a confiés. Le président et la Première ministre considèrent en effet eux-mêmes que c’est une mesure qui ne leur convient pas. »
Et en effet Emmanuel Macron juge sur France 5 le soir-même que cette caution « n’est pas une bonne idée » :
« Je vous le dis en toute sincérité, parce que je pense qu’on a besoin de continuer à attirer des talents, des étudiants du monde entier. C’est une force de la France, ça fait partie de notre modèle. Dire “parce que vous êtes étranger, on vous demande une caution”, ce n’est pas le message de la France. Ça peut se retravailler. »
L’élargissement de la mobilisation
Mercredi 20 décembre, les universités poursuivent les appels contre le texte. L’Université Paris Panthéon-Assas vote à l’unanimité une motion de son conseil d’administration pointant, entre autres, « une atteinte majeure à l’autonomie des universités ». Romain Huret, historien et président de l’EHESS, monte au créneau alertant sur les « graves conséquences » des mesures sur les sciences sociales.
Présidents et présidentes d’université écrivent aussi à leurs députés, à l’image d’Hélène Boulanger (Université de Lorraine) ou de Lamri Adoui (Université Caen Normandie).
« Je veux pouvoir rester fier de présider une université ouverte sur le monde », lance Pascal Olivard (Université de Bretagne occidentale) qui a connu tous les combats et polémiques des universités depuis la loi LRU de 2007.
De son côté, France Universités fait savoir qu’elle recevra les syndicats étudiants, façon de montrer à la fois le potentiel d’embrasement des campus et son souci d’y garder le calme en prenant en compte l’émotion des étudiants — certains se sont rassemblés aux Invalides mardi soir.
Ce jeudi 21 décembre, les réactions se multiplient et plusieurs blocages d’établissements d’enseignement supérieur débutent, notamment sur le site Monod de l’ENS de Lyon, et sur le campus de Saint-Denis de l’Université Paris 8.
Des inquiétudes pour les personnels étrangers
Les syndicats ne sont pas en reste. « Le législateur prive d’allocations familiales ainsi que d’autres prestations sociales, pendant 30 mois, les collègues étrangers nouvellement recrutés comme fonctionnaires (ingénieurs d’études, ingénieurs de recherche, chercheurs et enseignants-chercheurs) », prévient le SNPTES Unsa.
« Ces dispositions sont incompatibles avec la volonté exprimée par le Président de la République que la France reste une grande nation scientifique », pointe Sup’Recherche Unsa.
« En organisant le repli sur soi, elle prive les universités de l’enrichissement par le mélange des cultures que permettait l’accueil d’étudiants et des collègues de toutes les nationalités », ajoute le Snesup-FSU.
« Il est clair que les étudiants étrangers font les frais de la radicalisation de notre pays », lâche un président d’université qui espère maintenant que les décrets d’application permettront d’atténuer ou de revenir sur la mesure la plus controversée.
Attractivité : le décrochage français en chiffres
Malgré la stratégie d’attractivité Bienvenue en France, mise en place à partir de 2019, la France décroche en matière d’attractivité internationale.
Les derniers chiffres disponibles font état de 400 026 étudiants étrangers en France en 2021-2022. Si la croissance est de mise (+8 %), ce chiffre place la France à la 6e place mondiale (elle gagne un rang du fait de la disparition de la Russie). Ce rang honorable masque une baisse tendancielle dans la hiérarchie mondiale, puisque l’hexagone était 4e pays d’accueil depuis 2016. En 2018-2019, elle a vu l’Allemagne la dépasser.
La situation est particulièrement inquiétante s’agissant des doctorants. Le rang français est bon, à la 4e place mondiale. La France accueille 5 % des doctorants en mobilité internationale dans le monde, soit 25035 en 2020.
Mais l’évolution entre 2015 et 2020 est négative (-9 %), tandis qu’elle augmente fortement en Allemagne (+136 %), en Corée du Sud (+108 %) et en Espagne (+107 %).