Le casse-tête des droits d’inscription pour les étudiants étrangers
Par Marine Dessaux | Le | Stratégies
Une introduction qui braque les présidents d’université, fait monter des associations au créneau, une décision du Conseil d’État très attendue… La mise en place des droits d’inscription différenciés pour les étudiants internationaux extracommunautaires n’a pas été un long fleuve tranquille. Trois ans après leur apparition, ils n’ont toujours pas fait l’objet de délibérations dans tous les établissements concernés !
Faire payer des frais d’inscription différents aux étudiants internationaux que ceux fixés pour les Français et Européens : c’est ce que permet l’un des volets de la stratégie gouvernementale « Bienvenue en France ». Une mesure mise en place à partir de la rentrée 2019 dans certaines universités et écoles publiques.
Où en est-on aujourd’hui ? De récentes statistiques permettent d’y voir plus clair. Sur près de 140 000 étudiants étrangers extracommunautaires, c’est-à-dire ressortissants de pays hors Union européenne, Espace économique européen et Suisse, 96 600 sont soumis à des droits différenciés en 2021 (69,2 %). Ils n’étaient que 50 700 concernés en 2019, révèle une note d’information du service des études statistiques du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (Sies), publiée le 3 mars.
Beaucoup des étudiants susceptibles d’être concernés par les tarifs « plein » sont exonérés, totalement ou partiellement, selon les décisions des établissements. Une situation globalement floue sur un sujet qui ne semble plus être prioritaire politiquement. Campus Matin fait le point.
Un faux départ après une décision politique controversée
C’est en 2018 que le Premier ministre d’alors, Édouard Philippe, annonce la possibilité de fixer des droits d’inscription plus élevés pour les étudiants étrangers : 2 770 € en licence (contre 170 €) et 3 770 € en master et doctorat (contre 243 € et 380 € respectivement).
Une décision soudaine, sans concertation préalable formalisée avec les établissements — le sujet a été évoqué lors d’un dîner à l’Élysée entre Emmanuel Macron et la Conférence des présidents d’université (aujourd’hui France Universités). Même la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation de l’époque, Frédérique Vidal, semble prise au dépourvu lorsque le Premier ministre dévoile la mesure.
Le projet de loi est mal accueilli par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) qui vote très largement en sa défaveur le 11 mars 2019. Cela n’empêche pas les droits différenciés d’entrer en vigueur par arrêté le 19 avril 2019.
Mais c’est un courrier du ministère qui braque définitivement les présidences d’universités : il notifie à chaque établissement le montant prévisionnel touché au titre des droits différenciés — pour peu qu’ils soient mis en place — et souligne que cet argent permettra notamment de combler l’absence de compensation du glissement vieillesse technicité.
La symbolique choque, l’État se déchargeant sur les universités. Ces moyens nouveaux devaient permettre d’améliorer les conditions d’accueil des étudiants étrangers… pas à donner un coup de pouce au budget global des établissements. En outre, le calcul est largement surestimé, car prenant en compte tous les étudiants étrangers et non seulement les extracommunautaires.
Une saisie du Conseil d’État qui n’aboutira qu’à l’été 2020
Les associations et syndicats se mobilisent. En effet, trois jours après la publication de l’arrêté instaurant cette mesure, l’Union nationale des étudiants de France (Unef), le Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup), le Syndicat des avocats de France et cinq associations d’étudiants étrangers annoncent saisir le Conseil d’État.
Le 21 mai 2020, le juge des référés du Conseil d’État rejette cette requête en référé suspension. Mais doit encore se prononcer sur le fond. Le 11 octobre, à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité soumise par l’association étudiante Unedesep, le Conseil constitutionnel indique que « l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public ». Il ne se positionne cependant pas clairement sur la question des droits différenciés.
Une réponse qui secoue cependant assez l’Université de Lille pour qu’elle suspende ses droits différenciés pour une année dans l’attente du verdict du Conseil d’État. Une pause dans la politique amorcée « en raison de l’insécurité juridique » autour des droits différenciés, précisait-elle. Il s’agit du seul établissement à avoir fait marche arrière « sous pression des étudiants », se félicitait l’Unef.
Le Conseil d’État finit par rejeter le recours des associations, le 1er juillet 2020, entérinant ainsi cette nouvelle possibilité.
L’impact de la crise sanitaire
Durant l’année universitaire 2020-2021, la pandémie a provoqué un recul de la mobilité internationale (- 12 200 étudiants entre les rentrées 2019 et 2020), rappelle le Sies. Un contexte sanitaire qui fait disparaitre la question des droits différenciés du débat public : le sujet n’est plus porté politiquement.
En parallèle, les pays à forts droits d’inscription, à l’instar de l’Australie, souffrent de la chute de leurs effectifs d’étudiants internationaux. Ce qui renforce les arguments des réfractaires considérant les droits différenciés comme une manœuvre risquée.
De plus en plus d’étudiants soumis aux droits différenciés
La rentrée 2021 marque un rebond des effectifs d’étudiants internationaux dépassant leur niveau de 2019-2020 (+ 4 %). Et petit à petit, les établissements délibèrent sur la mise en place ou l’exonération totale des droits différenciés — certains plus lentement que d’autres.
En octobre 2021, ils sont 98 à avoir pris des délibérations spécifiques : 55 ont opté pour que les frais de scolarité restent les mêmes pour tous contre 34 qui appliquent la mesure.
Le nombre d’étudiants soumis au tarif plein des droits différenciés est, lui, multiplié par cinq en deux ans, passant de 1 200 étudiants en 2019-2020 à 3 200 en 2020-2021 et 5 900 en 2021-2022.
Mais avec de nombreuses exonérations partielles
Les universités qui appliquent les droits différenciés exercent très peu le « tarif plein » et misent beaucoup sur des exonérations partielles. Ainsi, selon l’enquête du Sies, parmi l’ensemble des étudiants internationaux concernés en 2021, 77,1 % bénéficient d’exonérations partielles, 6,1 % d’entre eux doivent s’acquitter d’un tarif plein et 16,8 % sont totalement exonérés.
Ainsi, à l’Université de Lille, la venue de futurs doctorants est encouragée via l’exonération de droits différenciés dès le master, décidée à la rentrée 2020.
Quels enjeux pour les établissements ?
Une granularité difficile à obtenir…
Un chantier de taille pour les services ! En effet, déterminer quels profils sont concernés par une exonération partielle ou totale est particulièrement technique. Certains établissements ont fait le choix d’une grande granularité, en déterminant les exonérations selon les pays, les partenariats, etc. C’est le cas de l’Université Rennes 1.
Un travail de dentelle qui peut s’avérer très — voire trop — complexe. En particulier lorsqu’il s’agit de prendre en compte la situation sociale. Une ambition qui nécessiterait de recueillir et vérifier les documents de tous les candidats.
Sans oublier un calcul prévisionnel assez fin de façon à ne pas dépasser les 10 % d’étudiants totalement exonérés de droits différenciés, comme le préconise le décret relatif aux modalités d’exonération des droits d’inscription des étudiants étrangers !
… et une lisibilité difficile à établir
Comment communiquer sur les études supérieures en France quand chaque établissement a sa propre règle ? C’est le casse-tête que Campus France, l’agence de promotion du supérieur tricolore, doit résoudre. Elle propose d’ores et déjà la liste mise à jour des décisions des établissements sur son site.
Côté politique, le ministère de l’ESR n’a pas abordé la question depuis la nomination de Sylvie Retailleau à sa tête en mai 2022. Quid des répercussions pour les établissements qui ne respectent pas les fameux 10 % d’exonération totale ?
Une intervention de la ministre pourrait également pousser les établissements à tous délibérer enfin. Au moment de la publication de cet article, plusieurs positions ne sont pas encore connues, notamment dans de grandes universités telles que CY Cergy Paris Université, Sorbonne Université, les universités de Bretagne Occidentale, Grenoble Alpes, Toulouse Capitole et Toulouse Jaurès…
Un sujet épineux pour les présidents et présidentes des établissements qui ne sont pas sûrs d’obtenir le soutien de leur conseil d’administration et qui ne veulent pas risquer le débat dans un contexte particulièrement tendu, en pleine réforme des retraites et, bientôt, des bourses étudiantes.
Concepts clés et définitions : #Cneser ou Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche