Quel avenir pour les services de santé universitaires ?
Par Théo Haberbusch | Le | Expérience étudiante
Les services de santé universitaires ont repoussé leurs limites pour répondre à la détresse psychologique et aux enjeux de santé. La crise passée, la question de leurs moyens, de leur organisation et celle, très politique, de leur rattachement, est posée.
Des services « qui ne peuvent aller plus loin »
Il faut sauver les soldats « SSU » ! Les services de santé universitaires sortent d’une année éprouvante, où ils ont été en première ligne pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire sur les campus. Une période marquée par des difficultés d’accès aux soins (42 % des étudiants y ont renoncé l’an dernier) et la détresse psychologique, qui concerne 30 % des étudiants, selon l’Observatoire de la vie étudiante.
Face aux besoins, les services des universités ont basculé leur activité à 89 % en téléconsultation et augmenté leur offre de soins de psychologues. Les établissements ont mobilisé une partie des moyens de la Contribution vie étudiante et de campus (CVEC) pour leur venir en aide.
Mais, alors que le front du combat sanitaire semble enfin s’éclaircir, le constat est partagé : le système de santé sur les campus doit être reconstruit. Les services spécialisés souffrent de problèmes de recrutement, en particulier de médecins, relève ainsi le président de la Conférence des présidents d’université, Manuel Tunon de Lara, dans un courrier révélé par News Tank (abonnés).
Laurent Gerbaud, emblématique président de l’Association des directeurs de SSU (ADSSU), pointait l’absence d’une « vraie politique de santé des étudiants », des services surchargés, ne touchant pas l’ensemble des publics concernés et un maillage territorial insuffisant, lors d’une audition au Sénat, en mars 2021.
« Ces services ont poussé leur adaptabilité au maximum, ils ne peuvent pas aller plus loin. La reconstruction des SSU doit se faire en lien avec l’ensemble des acteurs concernés par la santé des étudiants, c’est-à-dire les mutuelles étudiantes, mais aussi tous ceux qui contribuent à la sociabilité des universités, en incluant le sport et la culture », proclamait celui qui dirige le SSU de l’Université Clermont Auvergne.
Des missions lancées par le ministère
Deux missions sont en cours sur l’avenir des services de santé, initiées par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Un premier rapport, encore confidentiel, a été demandé à Laurent Gerbaud, épaulé de l’inspecteur général Pierre Viala. Le second est une « mission flash » confiée à un autre inspecteur (Inspection générale de l’Éducation, du sport et de la recherche), Philippe Bézagu.
L’objectif affiché :« Redimensionner les missions des services de santé universitaires et revoir leurs modalités de gouvernance », écrit le directeur de cabinet de Frédérique Vidal, Ali Saïb, dans une note dévoilée par News Tank début avril. Il mentionne également au passage l’hypothèse d’un rattachement des SSU aux Crous, ce qui n’a pas manqué de susciter des réactions.
Mathias Bernard, président de l'Université Clermont Auvergne, y voit une idée contradictoire avec l’autonomie des universités. Tandis que, dans son courrier à Laurent Gerbaud, Manuel Tunon de Lara, président de la CPU, martèle que les services de santé universitaires « doivent être situés au sein des universités ».
Rattachement aux Crous ?
Les SSU pourraient-ils sortir du giron des universités ? Peu probable, estime une source proche du dossier, sollicitée par Campus Matin.
« Les SSU réclament plus de moyens (ce que toutes les universités ne leur accordent pas toujours) et une plus grande autonomie, mais ils veulent rester dans le giron universitaire et ne veulent absolument pas être rattachés aux Crous. Ils veulent avoir un statut proche des IUT sans avoir de compte à rendre à quelqu’un d’autre qu’au président et éventuellement au ministère. »
Sollicité par l’agence News Tank, le ministère précisait, en avril, « explorer toutes les pistes, mais ne pas avoir de matière pour prendre une décision sur un modèle privilégié ».
Du côté des Crous, la demande de devenir pilote n’est pas formulée, même si la présidente du Cnous, Dominique Marchand, est une ancienne directrice d’Agence régionale de santé (ARS), très sensible à ce sujet, et que l’idée de rassembler les services santé et sociaux fait son chemin.
De nombreux acteurs à coordonner
Surtout, d’autres acteurs doivent être réunis pour une vision globale de la question de la santé étudiante : agences régionales de santé, CHU, CPAM, collectivités… et les autres professionnels de santé.
La CPU tente de répondre à cet enjeu en proposant à l’ADSSU la mise en place d’un groupe de travail chargé de rédiger une « charte » définissant des « objectifs communs » pour la santé étudiante.
« Réfléchie avec l’ensemble des parties prenantes, cette charte pourrait être déclinée au sein de chaque université par un schéma directeur de santé étudiante, annexé au contrat d’établissement et accompagné de moyens en adéquation avec ses objectifs », suggère Manuel Tunon de Lara.
Une façon de positionner le sujet dans la stratégie des universités, qui n’ont pas encore toutes structuré de véritables services de santé pluridisciplinaires, et de s’assurer qu’elles disposent des soutiens adéquats de la part des autres acteurs concernés.
Les effets négatifs de la fin de la sécurité sociale étudiante
La fin du régime étudiant de sécurité sociale en 2018 a eu des effets négatifs sur l’accès aux soins des étudiants, selon deux représentants des mutuelles étudiantes auditionnés dans le cadre de la mission d’information du Sénat sur les conditions de vie étudiante.
« Cela a provoqué une chute du taux de couverture complémentaire des étudiants — de 85 % à 65 % selon nos enquêtes —, avec des impacts dans l’accès aux soins. Cela a rendu plus délicate une partie des actions de prévention menée par les mutuelles étudiantes dans les universités et les lycées, et entraîné la disparition d’un interlocuteur dédié pour les étudiants », selon Pierre-Édouard Magnan, président du réseau de mutuelles EmeVia.
Même constat pour Abdoulaye Diarra, président de la LMDE : « Nous avions des acteurs spécialisés et, avec la fin du régime étudiant de sécurité sociale, ces acteurs ont été écartés des établissements universitaires. Ils n’ont pas été remplacés dans l’accompagnement des étudiants. Désormais, les questions de santé passent à la trappe et, à la fin des années d’études, on observe une hausse de la consommation de santé, liée à un rattrapage de plusieurs années de non-recours aux soins. »