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Santé mentale étudiante : l’impact de la crise difficile à évaluer sans données

Par Enora Abry | Le | Expérience étudiante

Le 14 février 2022 se sont tenus les « Grands débats d’Université de Paris ». Ce mois-ci, les échanges se sont penchés sur la question prégnante de la santé mentale étudiante, affectée par la crise sanitaire. L’occasion de faire un bilan de l’impact psychologique de ces deux années de pandémie sur les populations étudiantes et d’esquisser des initiatives pour l’avenir. Campus Matin vous propose un tour d’horizon.

Université de Paris fait des « Grands débats » son nouveau rendez-vous mensuel  - © D.R.
Université de Paris fait des « Grands débats » son nouveau rendez-vous mensuel - © D.R.

Depuis octobre 2021, dans le cadre de l’action « sciences et société », Université de Paris a instauré un nouveau rendez-vous mensuel : les Grands Débats. À cette occasion, des chercheurs de l’établissement se réunissent pour réfléchir avec le public sur ce que sera « le monde d’après ». 

Puisque la crise sanitaire a mis en lumière la détresse psychologique et les faiblesses de l’accompagnement en santé mentale des étudiants, pour leur quatrième réunion, le 14 février dernier, les Grands Débats se penchent sur le sujet avec pour thème « La santé mentale des jeunes : les vulnérabilités révélées par la crise sanitaire ».

Pour dresser un bilan de l’impact de ces deux années de pandémie, deux enseignants-chercheurs spécialistes : Maria Melchior, épidémiologiste et directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et Grégoire Borst, professeur en psychologie du développement et neurosciences cognitives de l’éducation à Université de Paris.

Un constat préoccupant

« Depuis le début de la crise sanitaire, il y a eu un doublement des syndromes dépressifs chez les 18-24 ans. Nous avons dépassé la barre des 20 % », s’inquiète Maria Melchior. 

Les jeunes, une population à risque

Maria Melchior est spécialiste des déterminants sociaux de la santé mentale et des addictions - © D.R.
Maria Melchior est spécialiste des déterminants sociaux de la santé mentale et des addictions - © D.R.

Bien que l’entièreté de la population ait été sujette à une augmentation des troubles de santé mentale en conséquence de la crise sanitaire, les deux scientifiques insistent sur la fragilité des jeunes face ce type de situation.

Grégoire Borst l’explique : « C’est une période de la vie où le cerveau se réorganise et est particulièrement sensible à l’environnement social. Connaître un stress chronique à cet âge a par ailleurs beaucoup d’impact. » Maria Melchior ajoute : « Voilà pourquoi 70 % des troubles apparaissent avant l’âge de 25 ans. »

Entre isolement social, hausse de la précarité étudiante ou au sein du foyer familial, le stress chez les jeunes s’est accru, engendrant anxiété, troubles alimentaires et gestes suicidaires selon le rapport sur la santé mentale des Français publié en décembre 2021 par Santé publique France .

Ces psychopathologies ont pu se développer facilement en France, une particularité que pointe la directrice de recherche à l’Inserm : « La population française est la plus touchée. Nous avons déjà un niveau de problème psychologique plus élevé que dans les autres pays, notamment chez les jeunes. Ils dorment moins et ont une peur de l’échec bien plus grande. »

Nous n’avons pas su parler aux jeunes, sauf pour les stigmatiser

À tous ces facteurs s’ajoute aussi la stigmatisation que les jeunes ont subie durant la crise. « Nous n’avons pas su parler aux jeunes, sauf pour les stigmatiser. Nous leur avons dit qu’ils étaient vecteurs du virus, qu’ils allaient contaminer leurs grands-parents. Nous n’avions pas assez de psychologues dans les établissements pour faire face et s’adresser correctement à eux », regrette Grégoire Borst.

Un manque de données pour dresser le bilan

« La crise a révélé le néant des données épidémiologistes sur les enfants et les adolescents en ce qui concerne les troubles anxieux et dépressifs. Nous n’avons pas de cohorte représentative et aucune donnée transversale montrant les évolutions de ces troubles chez les jeunes. Aujourd’hui, cela bouge. Nous travaillons sur une cohorte de 30 000 enfants en milieu scolaire, de trois à onze ans, pour identifier la fréquence d’un certain nombre de troubles émotionnels », explique Maria Melchior.

Pour l’instant, ces études ne portent que sur les enfants, mais la directrice de recherche espère pouvoir étendre ces travaux aux adolescents et aux jeunes adultes dans les années à venir.

Un manque de données sur les troubles donc, mais aussi pour quantifier la baisse de la capacité d’apprentissage après le passage en distanciel. Selon Grégoire Borst, le problème est que « nous n’avons pas d’évaluation nationale sur les étudiants contrairement à ce que l’on fait en CP et CE1 ».

Grégoire Borst s’intéresse au rôle des fonctions cognitives de haut niveau dans les apprentissages scolaires  - © D.R.
Grégoire Borst s’intéresse au rôle des fonctions cognitives de haut niveau dans les apprentissages scolaires - © D.R.

Résultat : « Nous ne savons pas exactement ce que les étudiants ont perdu pendant ces cours en distanciel, quel impact cela a pu avoir sur leurs capacités à apprendre et sur leurs connaissances, rien à part le fait que le nombre de décrochages en licence 1 a augmenté. »

Une lacune problématique, sans bilan fiable les stratégies à mettre en œuvre peinent à se dessiner.

« Nous avançons les yeux fermés. Cette crise aura des impacts sur le long terme. Les symptômes se déclarent et se développent lentement. Nous ne savons pas de quoi les prochaines années seront faites », poursuit-il.

Des solutions ?

« Le point positif de cette crise est qu’elle nous a obligé à nous intéresser à la santé mentale des jeunes. Nous avons alors pu prendre des initiatives comme le pass « santé psy étudiant ». 53 universités font partie de ce dispositif et, pendant l’année 2020-2021, 18 000 étudiants ont eu accès à des consultations. Cela ne représente que 5 % des étudiants, mais c’est déjà un bon début », s’enthousiasme Maria Melchior.

Des consultations en ligne soutenue par les établissements

Selon une enquête de l’Ipsos, 54 % des étudiants déclarent ne pas se sentir suffisamment informés sur les structures disponibles en cas de problème de santé mentale. De son côté, l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) révèle que 33 % des étudiants en 2020 ont renoncé au moins une fois à des examens ou soins médicaux pour des raisons financières. L’enjeu est donc double : donner accès à des soins à moindre coût et les faire connaître.

33 % des étudiants ont déjà renoncé à des soins médicaux pour des raisons financières en 2020

Plusieurs initiatives ont été prises dans ce sens. Au-delà du pass « santé psy étudiant » accordant le remboursement total sans avancement de frais de trois séances de psychologie pour les étudiants en difficulté, l’Université PSL a mis en place un partenariat avec la plateforme de soins en ligne Qare. Les étudiants ont ainsi accès à un abonnement gratuit, financé par la CVEC.

Le système éducatif à repenser

« La psychologie est l’angle mort de l’éducation. Il faudrait enseigner la psychologie dès la maternelle », estime Grégoire Borst. 

Des initiatives ont été prises à ce sujet dans l’enseignement supérieur, à l’instar des formations aux premiers secours en santé mentale, dispensées aux étudiants dans certains établissements.

Cependant, l’enseignant-chercheur met un point d’attention sur les initiatives de formation en interne - des professeurs comme des étudiants - qui ne sont pas suffisantes pour un accompagnement adéquat. « Il faut former. Il faut alerter, mais surtout, il faut plus de référents dans l’éducation nationale. C’est n’est pas aux professeurs de diagnostiquer et de prendre en charge un étudiant au risque de se tromper. Il faut en référer au psychologue de l’éducation nationale. »