Quand une compétition de robots amplifie la recherche et la pédagogie
Par Marine Dessaux | Le | Relations extérieures
Compétition mondiale entre chercheurs en robotique et IA, la RoboCup a été organisée par l’Université de Bordeaux pour son édition 2023. Campus Matin s’y est rendu le 5 juillet, alors que les équipes bouclaient les derniers préparatifs. L’occasion de constater l’intérêt d’un tel événement pour la recherche, mais aussi pour la pédagogie.
2 500 participants de 42 pays : la RoboCup, organisée du 4 au 10 juillet à Bordeaux a rassemblé chercheurs, étudiants et élèves à l’international autour de compétitions entre robots. Une thématique accrocheuse qui vise à sensibiliser le grand public aux enjeux de la recherche en robotique et en intelligence artificielle. Après une édition à Paris en 1997, cet événement né au Japon prend à nouveau des couleurs tricolores.
Surtout connu pour ses matchs de foot entre robots, la Robocup propose d’autres compétitions : « rescue » (sauvetage en français) où les robots doivent aller porter secours à des personnes en détresse de façon autonome, « at home » pour les robots de service utilisés à domicile ou pour communiquer et « industry » pour les compétitions dédiées aux entreprises.
Cette année, les équipes françaises se sont distinguées en l’emportant dans la catégorie at home avec l’équipe australo-brestoise, RoboBreizh, fondée à l’École Nationale d’Ingénieurs de Brest (Enib) et menée par Cédric Buche, ainsi qu’en football humanoïde, via l’équipe bordelaise co-fondée par Olivier Ly, Robhan, qui remporte ainsi sa cinquième étoile.
Une thématique développée dans l’Université de Bordeaux depuis 10 ans
Accueillir la RoboCup, c’est un pari lancé par Olivier Ly, professeur des universités spécialisé en robotique humanoïde, et soutenu par l’Université de Bordeaux. « L’université étant l’organisatrice, toute la responsabilité de l’événement repose sur elle », souligne l’enseignant-chercheur.
Dans beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche, les équipes de RoboCup sont portées par des passionnés, souvent chercheurs dans une science en lien avec la robotique, qui sont à l’origine de la création d’une équipe et embarquent avec eux étudiants et doctorants. C’est le cas à l’Université de Bordeaux où Olivier Ly emmène Robhan depuis dix années.
« Notre équipe de recherche, du Laboratoire bordelais de recherche en informatique (Labri), y est très investie », rapporte-t-il.
L’événement, qui devait originellement se tenir en 2020, mais a été repoussé à cause de la crise Covid, a également pu compter sur les financements de la métropole, la région Nouvelle-Aquitaine, le rectorat, la fédération RoboCup, mais aussi des sponsors privés. Deux millions d’euros ont ainsi été levés.
Donnant à voir les technologies de pointe en matière de robotique, la Robocup s’est avérée être un « étendard qui a rassemblé », se réjouit Olivier Ly. Dominique Duhaut, professeur à l’Université Bretagne Sud et co-organisateur de l’événement, renchérit :
« La Robocup fait rêver un certain nombre de personnes… Des machines complètement autonomes, quand on les voit jouer on ne peut qu’avoir la bouche ouverte ! »
Développer l’engouement autour de la robotique
Déambuler dans le Parc des expositions de Bordeaux, même une journée avant l’ouverture au grand public, permet de prendre la mesure de l’ampleur de la RoboCup !
Un hall entier est dédié aux catégories « majors », composées principalement de chercheurs — les experts les plus en pointe en robotique. Ici, une seule caméra régit l’activité de tous les robots qui se déplacent sans contrôle à distance. C’est dans un second bâtiment que se trouvent notamment les juniors, qui viennent du collège ou du lycée. Ces deux catégories pourraient s’agrandir : « Nous sommes en train de réfléchir à une ligue intermédiaire pour les doctorants entre 22 et 25 ans environ », dit Dominique Duhaut.
« L’organisation de la RoboCup a permis de développer les équipes françaises, ajoute Olivier Ly. En junior, nous sommes passés à 500 équipes et à 10 en major. Tout l’écosystème de recherche bordelais a été porté par cette dynamique. Un réseau régional de recherche en robotique (R4) Nouvelle-Aquitaine a vu le jour. De même, le forum Naia.R (pour les professionnels et chercheurs sur l’IA et la robotique, organisé par Sud-Ouest et Suez) a bénéficié de l’organisation d’un tel événement. »
Un événement majeur pour la recherche
Aujourd’hui, la recherche en robotique se développe en France. « Le groupe de recherche robotique du CNRS et les journées nationales de recherche de la robotique prennent en importance. Des problèmes très différents sont traités : dans le domaine de l’aviation, la santé… Les sujets sont essentiellement étudiés sous l’angle de la théorie, les chercheurs sont plus frileux pour construire, une activité souvent associée au statut d’ingénieur », remarque Dominique Duhaut.
Dans le cadre de la RoboCup, un symposium a été organisé. Il a permis de rassembler les chercheurs au sein de l’Université de Bordeaux afin d’aborder les nouvelles méthodes scientifiques utilisées en robotique et IA. « Cette année, le taux de sélection des papiers a été élevé, seuls 15 % des 48 articles scientifiques soumis ont été retenus », rapporte Cédric Buche, participant des compétitions et organisateur du symposium. Un moment « très stimulant, qui permet de rencontrer d’autres scientifiques », pour Dominique Duhaut.
Quelle place de l’IA ?
Même si elle est peu visible au premier coup d’œil, « l’IA est essentielle : c’est elle qui est à l’origine de la perception des robots, elle est aussi dans la motricité », expose Dominique Duhaut. Son utilisation, particulièrement pour les robots d’aide à domicile, pose des questions de légitimité. C’est le cas par exemple pour un robot qui veille sur une personne malade : jusqu’à quel point l’IA peut-elle inciter le patient à prendre ses médicaments ? Un sujet d’éthique au cœur de six vidéos projetées lors de la RoboCup. Partenaire de l’événement, la filiale IA de Google, Deep mind, était également de la partie pour le symposium.
Des retombées sociales et de carrières
Au-delà de renforcer l’intérêt pour la robotique et l’IA, la RoboCup permet des évolutions concrètes. « Ces événements permettent des retombées sociales : les drones permettent de tailler des arbres en hauteur, de porter secours à des civils… Tout cela c’est grâce au travail des chercheurs qui a notamment permis de stabiliser le vol », observe Dominique Duhaut.
Plus immédiat encore pour les doctorants et les chercheurs qui souhaitent évoluer dans leur carrière : « Les recruteurs récupèrent des CV : les meilleurs de la discipline sont là ! » Dans les carrières académiques, « finir premier atteste d’un certain niveau, confirme Olivier Ly. Les problématiques travaillées sont au cœur de nos recherches, la question de la marche bipède parmi elles. »
Le retour d’expérience de RoboBreizh et son équipe de doctorants
Crée en 2019, le projet RoboBreizh est porté par Cédric Buche, professeur à l’école d’ingénieur Enib aujourd’hui en détachement auprès du CNRS en Australie. Assez vite l’équipe son premier prix international : en 2022, à Bangkok.
Une telle performance, c’est une dizaine de personnes mobilisées autour de l’enseignant-chercheur qui lui-même consacre la moitié de son temps à la RoboCup : deux ingénieurs CNRS à plein temps, des stagiaires et des doctorants rattachés à l’Enib ou les universités australiennes d’Adelaide et Flinders, où Cédric Buche est professeur invité.
« La RoboCup est un cadre applicatif intéressant pour un doctorant, ce travail est intégré dans la thèse. En outre, la performance est notée par un comité d’évaluation indépendant, ce qui permet de se positionner en termes de niveau », relate Cédric Buche.
Une telle implication n’est pas sans coûts : « Le budget annuel est d’environ 140 000 euros, sans compter le prix des robots, cet argent permet de financer les déplacements, les salaires, etc. » Le professeur a trouvé les fonds : via « un dépôt de dossier auprès de la région Bretagne et grâce à des excédents sur des contrats de recherche ».
Au moment où rencontrons RoboBreizh, la concentration est extrême : à quelques heures du premier passage devant le jury, dix minutes peuvent faire la différence ! « On oublie de mettre une virgule et ça peut tout faire rater », dit Cédric Buche.
Les enjeux à venir pour l’équipe ? Ils sont doubles : « Notre cadre est applicatif, l’objectif est de faire de mieux en mieux chaque année. Il s’agit également de pérenniser l’équipe autant que possible : cette année, seules trois personnes sur dix étaient présentes l’an dernier. »
Une place grandissante pour la pédagogie
La RoboCup est également une « source illimitée de projets pour la pédagogie », estime Cédric Buche. En effet, les étudiants peuvent acquérir des compétences techniques en travaillant sur les robots, mais aussi des soft skills.
« Nous avons appris un nouveau langage informatique, à travailler de façon plus autonome en faisant des choix pour bien mener le projet. Cela permet de faire un pas vers la vie active et donne envie de continuer dans la robotique ! », témoigne Jocelin Gautier, étudiant à l’IUT de Bordeaux et membre de l’équipe Nouvelle-Aquitaine mécatronique club (Namec), lancée en 2017 avec le soutien du Labri, avec pour ambition de porter une pédagogie innovante.
Étienne Schmitz, encadre les étudiants bénévolement. « La robotique est un outil pédagogique qui permet un apprentissage en groupe et le développement de compétences managériales », remarque cet ingénieur en robotique freelance et enseignant à école d’ingénieurs Enseirb-Matmeca et à l’IUT de Bordeaux.
Créer des vocations pour la thèse, dès le collège
Patrick Félix, enseignant-chercheur à l’IUT de Bordeaux, est passionné par la RoboCup qu’il découvre, un peu par hasard, en 2016, en Allemagne. Bien que la robotique soit éloignée de son sujet de spécialité, l’informatique, il s’implique auprès de l’équipe Namec, car il estime que cela fait partie de sa mission d’orientation.
« Avec la RoboCup, on est en plein dans le continuum bac-3 bac+3. Les juniors commencent principalement au lycée et peuvent continuer en IUT ou école d’ingénieurs. Cela permet de créer de la motivation pour des métiers en tension. On pourrait même envisager d’aller plus loin : du bac-8 au bac+8 ! Ce qui rejoint ce que font déjà les sportifs de haut niveau en commençant leur discipline très jeunes. Je voudrais pouvoir amener des jeunes de quinze ans jusqu’en thèse ! »
Quelle pérennité pour la suite ?
Initialement, Namec devait réunir pour la compétition de small size soccer (avec de petits robots qui se passent une balle de golf) des étudiants de Bordeaux INP, l’Université de Limoges et l’IUT de Bordeaux. Finalement, seul ce dernier établissement a réussi à fédérer des étudiants pour cette édition. Pourtant, « la mixité des publics, c’est mon rêve », déclare Patrick Félix. Un objectif à approfondir pour la suite donc.
D’autant qu’il s’agira de « consolider un noyau fort autour de l’équipe », pour participer en 2024 à la prochaine RoboCup qui se tiendra à Eindhoven aux Pays-Bas, mais aussi apprendre à fonctionner alors que le soutien de la région pour ce projet arrive à échéance en 2025.