6 étapes pour lancer un podcast dans l’enseignement supérieur et la recherche
Par Marine Dessaux | Le | Relations extérieures
Rien qu’en janvier 2023, 151 millions de podcasts en français ont été écoutés ou téléchargés en France. L’enseignement supérieur et la recherche s’inscrivent dans la tendance et utilisent ce nouveau format pour faire de la vulgarisation scientifique ou raconter la vie des établissements et de leurs acteurs. Mais pour s’insérer sur un créneau saturé, un bon contenu ne suffit plus et c’est toute une stratégie qui doit se construire autour du podcast. Conseils et retours d’expérience.
« Le tout n’est pas de capter le son, mais de faire en sorte que le podcast trouve son public », exposait Manuel Canévet, directeur de Canévet et Associés, lords d’un webinaire de l’agence de conseil en communication, le 2 février dernier. Pour concocter un bon format sonore et faire naître cette alchimie, l’éditeur et diffuseur de podcasts qui a accompagné plusieurs établissements d’ESR, Binge Audio, partageait ses conseils.
1. Établir le brief
Avant de lancer un podcast, établir un brief permet de poser les bonnes bases. Pour cela, il faut se demander : Quel est l’objectif ? Comment connecter cet objet au reste de la stratégie de l’établissement ? Quelles sont les cibles ?
« Il s’agit de raccrocher le sujet du moment à une stratégie plus globale. L’ESR foisonne de communautés et une multitude d’angles sont possibles. Cela peut parfois créer la confusion », observe Manuel Canévet.
Pour définir le public cible, « de plus en plus de données sur qui écoute des podcasts » sont disponibles, note le consultant. Il est ainsi possible d’anticiper les habitudes d’écoute, la durée optimale, la voix à mettre en avant…
Le CEA, pour La cerise dans le labo !, a établi un brief s’adressant à un large public : « Dans un univers des sciences dures qui reste majoritairement masculin, nous voulions parler aux femmes de tous âges afin d’inspirer des vocations par des témoignages de femmes scientifiques très en visibilité », explique Marie-Ange Folacci, directrice de la communication du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à l’initiative du podcast. Un projet qui s’inscrit dans la stratégie de l’organisme qui voit la parité progresser parmi ses effectifs de chercheurs et au sein de son comité exécutif.
La cerise dans le labo !
Lancé le 11 février à l’occasion de la journée internationale des femmes et des filles de science, La cerise dans le labo ! est un podcast qui donne la parole à treize femmes scientifiques reconnues dans leur domaine. Elles s’expriment sur les enjeux d’aujourd’hui (climat, vaccin, nucléaire…), leurs inspirations et défis de chercheuses. À retrouver chaque samedi sur Spotify, Deezer, iTunes, Podcast addict et sur la chaîne YouTube @CEAscience.
Le podcast a été décliné en une BD réalisée en collaboration avec la scénariste Lucie le Moine et 13 illustratrices. Préfacé par la spationaute et femme politique française, Claudie Haigneré, l’ouvrage paraîtra le 2 mars, en amont de la journée internationale des droits des femmes.
2. Travailler l’éditorialisation
Deuxième étape, une fois le sujet dégrossi : éditorialiser le podcast. Cela passe par le choix de l’animateur qui impactera la façon dont sera transmis le contenu.
« L’hôte incarne le podcast, c’est quelqu’un en qui on a confiance, qui va nous accompagner dans notre mobilité, au bureau, etc. », explique Soraya Kerchaoui-Matignon, directrice du pôle création de Binge Audio. Dans l’ESR, le choix est vaste : étudiants, enseignants-chercheurs, personnels, alumni…
Pour le Serment d’Augusta, podcast réalisé avec la faculté de médecine de Sorbonne Université, le choix a été fait d’une double incarnation : par une professeure de neurologie et une autrice de podcast et réalisatrice.
Du côté de La cerise dans le labo !, c’est un format interview qui a été privilégié, avec des entretiens menés par Sybille Buloup, une journaliste scientifique. Face à elle, des personnalités féminines de la recherche, telles que Nathalie Besson, cheffe du département de physique des particules du CEA, pour le premier épisode ou encore Valérie Masson-Delmotte, chercheuse en sciences du climat et coprésidente du groupe de travail n° 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).
Miser sur l’originalité
La scénarisation du sujet ne doit pas non plus être négligée. Au-delà de la restitution classique d’information, le podcast invite à la créativité : récit de fiction ou non, témoignages… « La narration va susciter la curiosité : on peut mettre du suspens dans de la fiction, mais aussi du témoignage », souligne Soraya Kerchaoui-Matignon. Elle encourage à choisir l’axe le plus original, « un moment assez difficile pour l’institution qui sort de ce qu’elle a l’habitude de faire ».
3. Ne pas négliger la production et diffusion
« L’offre est trop riche pour ne pas faire d’effort de médiatisation ! » Joel Ronez, président et cofondateur de Binge Audio, est définitif : créer un contenu de qualité ne suffit plus à ce qu’un podcast se fasse connaître. Le rôle d’un producteur, qui peut être un prestataire externe, est d’accompagner tous les « à-côtés ».
Cela signifie notamment définir l’identité sonore, créer une charte graphique (illustration du podcast, éléments de communication), parfois mettre à disposition un studio d’enregistrement, mais aussi poster le contenu. Joel Ronez privilégie une distribution multicanal : sur YouTube, Deezer, Apple Podcast, Spotify… « Il faut être disponible sur tous les canaux pour être plus écouté », conseille-t-il.
4. Mettre en place une stratégie de promotion
La promotion est un passage obligatoire. Elle peut se faire sur les réseaux sociaux, via la création d’un support vidéo pour mettre en avant le podcast de façon différente ou encore par la publicité payante.
Pour l’heure, le CEA mise, lui, sur le référencement naturel. « Même si nous ne sommes pas fermés à la sponsorisation dans certains cas de figure, ce sera toujours sur de petites sommes, pas plus de quelques milliers d’euros annuels sur l’ensemble de nos projets. Dans le cas de ce podcast, l’organique apporte une audience très qualitative », dit Marie-Ange Folacci.
La communication prend néanmoins plusieurs formes : via les réseaux sociaux, notamment Instagram et son public plus féminin, mais aussi sur LinkedIn où l’organisme bénéficie déjà d’une certaine visibilité.
Il peut également miser sur un intérêt en interne, avec sept centres en France, et se projette sur « des actions de proximité avec des lycées ». En outre, il peut compter sur une présence événementielle « dans plusieurs lieux drainant des publics hétérogènes, comme les Utopiales à Nantes, qui invitent chercheurs et auteurs à la transmission autour du thème de la science-fiction », ajoute Marie-Ange Folacci.
Des séances d’écoute collective
Le lancement du podcast peut aussi être l’occasion d’organiser un événement en interne. Joel Ronez décrit un de ces moments de partage autour du programme :
« À Sorbonne Université, 250 étudiants étaient réunis par le lancement du Serment d’Augusta, une séance d’écoute avec des casques permet aux auditeurs de déambuler et de voir les réactions collectives. Elle a été suivie d’une table ronde avec un débat sur les questions d’éthique. »
Cela peut également être l’occasion d’organiser un évènement plus solennel avec « vos invités VIP [entreprises, collectivités, NDLR] en fonction de vos objectifs », complète Soraya Kerchaoui-Matignon.
5. Fixer le budget
« Avant tout, le podcast c’est une dépense », préfère prévenir Joel Ronez. Ce média répond à des enjeux d’image ou encore de médiation scientifique, mais ne permet pas d’espérer un retour sur investissement.
Il existe bien une piste pour en tirer quelques revenus, mais elle est marginale : transformer le podcast en livre, qui sera publié par un éditeur, et dont les bénéfices reviendront aux parties prenantes de la création (établissement et, si impliqué, producteur). C’est le choix qu’a fait le CEA avec l’adaptation en bande dessinée de La cerise dans le labo, tirée à 5 000 exemplaires pour une distribution dans les librairies. Néanmoins, dans ce cas de figure, « le CEA ne touchera pas de droits d’auteur, partagés entre la scénariste et les illustratrices », indique Marie-Ange Folacci.
Des prix professionnels à partir de 5 000 euros par épisode
Binge Audio donne des fourchettes de prix, en fonction du format :
- Contenus embarqués, hors-série : il faut compter 7 à 9 000 euros hors taxe (HT) pour produire un podcast qui s’intégrera dans la ligne éditoriale de la série « Programme B » de Binge Audio et bénéficier d’une audience acquise en quatre ans d’existence.
- Format « talk » ou interview : réalisation en studio avec une réalisation moins présente qu’en narratif. Pour six épisodes, compter entre 30 et 35 000 euros HT.
- Narratif ou reportage : entre 38 et 55 000 euros HT selon le travail d’écriture et de réalisation, toujours pour six épisodes.
- Fiction : commence à 60 000 euros HT jusqu’à des montants qui peuvent aller « très loin selon le casting et scénariste », dit Soraya Kerchaoui-Matignon.
Un coût justifié par la diversité de métiers employés pour une réalisation professionnelle. « Le producteur emploie des chargés de production, auteurs, monteurs, chargés de son, graphistes… », liste Joel Ronez.
Du fait maison très petit budget
C’est une production 100 % maison qui a été choisie par le CEA. Ce dernier a mobilisé ses propres ressources, en l’occurrence une alternante en journalisme au sein de l’organisme. « C’était permettre à une jeune femme de réaliser ce beau projet. Tout a été fait avec un très petit budget et l’équipement interne », rapporte Marie-Ange Folacci. En revanche, il a fallu s’y prendre tôt : un an avant la publication du premier épisode.
6. Viser un objectif réaliste
Malgré un secteur porteur, et un budget souvent important pour une réalisation léchée, les podcasts dans l’enseignement supérieur ne culminent pas à des centaines de milliers d’écoutes. « Souvent, de très bons programmes font 300 écoutes, ce n’est pas facile derrière de justifier les efforts », expose Joel Ronez. Comme c’est le cas d’autres contenus chronophages et qualitatifs de l’ESR, observe Manuel Canévet. À l’instar des vidéos, livres blancs ou rapports d’activité.
Ainsi, le ratio investissement/écoutes oblige à prendre le temps de considérer les objectifs et lancer le projet en connaissance de cause.
Pas d’objectif chiffré du côté du CEA même si « à ce stade, nous avons envie d’être ambitieux et d’atteindre le plus grand nombre d’auditrices et d’auditeurs possible », espère Marie-Ange Folacci. Cependant, « in fine, nous ne jugerons pas de la réussite du podcast par le nombre d’écoutes, notre objectif est avant tout de porter un message », relativise Marie-Ange Folacci.
Le nombre de lectures, bon indicateur de réussite du podcast ?
Binge Audio révèle un nombre d’écoutes allant de 4 à 8 000 écoutes par épisode pour 7e Science de Sorbonne Université et de plus de 77 000 écoutes pour les six épisodes (ainsi que le prologue et bonus) du Serment d’Augusta.
« Le critère le plus important pour juger du succès d’un podcast n’est pas le nombre d’écoutes, mais le taux de complétion », estime Soraya Kerchaoui-Matignon. En effet, cette donnée correspond au pourcentage d’écoute moyen d’un épisode : plus elle est élevée, plus le podcast intéresse les auditeurs qui décident d’écouter jusqu’au bout. Pour le Serment d’Augusta, cela s’élève à 80 % et à 88 % pour 7e Science.
Malgré de premiers ordres de grandeur donnés, Manuel Canévet constate qu’il y a « peu de plateformes de podcast où le nombre d’écoutes s’affiche » et qu’il est donc difficile de se comparer. Il invite donc les établissements à jouer le jeu de la transparence.