[Vidéo] Mandarins 2.0 : le supérieur en Chine | JF Fiorina x Alessia Lefébure
Par Marine Dessaux | Le | Relations extérieures
Expert du sup’ et passionné de géopolitique, Jean-François Fiorina réalise pour Campus Matin des entretiens en visioconférence. En ce mois de mai 2022, retrouvez le témoignage d’Alessia Lefébure, autrice de Mandarins 2.0, ouvrage dans lequel elle donne les clés de compréhension du supérieur en Chine où elle a enseigné plusieurs années.
Plongez-vous dans un nouvel épisode des interviews vidéos signées Jean-François Fiorina en partenariat avec Campus Matin ! Cette fois, le spécialiste du sup’ et directeur général adjoint de Grenoble école de management interroge une personnalité au parcours éclectique et international, Alessia Lefébure, directrice de l'Institut Agro Rennes-Angers depuis juillet 2021. Son fil rouge ? « L’interculturel et les initiatives permettant l’ouverture, le dialogue, les transitions », définit-elle.
Celle qui se qualifie comme un « pur produit de la mondialisation de l’enseignement supérieur », est italienne d’origine et est passée par la France, les États-Unis, mais aussi la Chine. Une expérience qui lui a valu des apprentissages qu’elle partage dans un livre.
Des établissements du supérieur qui reviennent de loin
Publié en 2020 aux presses de Sciences Po, Les mandarins 2.0 propose une perspective historique et les clés de compréhension du supérieur en Chine. « Aujourd’hui, le danger, c’est de nous laisser prendre par le court terme », résume Alessia Lefébure des enjeux.
L’autrice, qui a vécu en Chine pendant plus de quatre ans en tant que directrice exécutive de l’Université de Tsinghua puis comme professeure associée, revient sur l’évolution de l’enseignement supérieur depuis les années 80.
Réduit à « un champ de ruine » suite au régime imposé par Mao, l’enseignement supérieur devient une priorité suite à la révolution culturelle de 1976. « L’enseignement supérieur doit pratiquement repartir de zéro : l’élite intellectuelle a été persécutée et cela prive le pays d’une classe d’âge qui aurait pu transmettre son savoir », expose Alessia Lefébure.
La Chine décide d’assouplir sa politique pour permettre aux étudiants de suivre des cursus à l’étranger. Au niveau national, les universités doivent « s’accroître quantitativement et qualitativement », souligne la directrice de l’Institut Agro Rennes-Angers.
On assiste ainsi à un transfert de savoir-faire dans une Chine où l’enseignement supérieur est devenu central dans le projet de développement économique du pays qui passe par l’innovation scientifique.
Un pays de plus en plus attractif
Aujourd’hui, la Chine a gagné son pari sur l’excellence scientifique de ses établissements puisqu’elle attire les étudiants internationaux. « Les étudiants comprennent l’importance géopolitique de la Chine et vont étudier là-bas », indique Alessia Lefébure.
Une influence géopolitique à ne pas négliger que partage Jean-François Fiorina : « La Chine est un incontournable dans le monde, or ce n’est pas un sujet considéré par tous. La question en tant que dirigeant d’une business school, c’est comment intégrer ce pays dans mon modèle académique international. »
Des standards imposés par le biais des classements
En 2003, l’initiative d’un groupe de chercheurs à Shanghai qui donnera naissance au classement dit « de Shanghai », vise en premier lieu à étudier de près les établissements du supérieur via différents critères. Mais très vite, il s’impose comme une alternative aux rankings connus : celui du Times Higher Education ou encore celui du QS (Quacquarelli Symonds).
« Ce classement note la production de publications de recherche, les médailles, les investissements financiers… mais pas le prestige, la liberté académique ou encore la vie de campus. En imposant ses standards, la Chine se retrouve avec des universités parmi les mieux classées du monde alors qu’elles étaient inconnues à l’international il y a encore une trentaine d’années. »
Ainsi, la politique volontariste de la Chine fait recette : en privilégiant un élitisme dans certaines filières très subventionnées au sein de quelques universités d’envergure, elle développe son potentiel pour devenir championne mondiale dans ces domaines.
« C’est ce mouvement que suit la France avec 10 ans de retard. La bataille mondiale se joue par l’innovation et cela passe par la science et donc la recherche », commente Alessia Lefébure.
La liberté académique impactée par le régime autoritaire
Mais la réalité de l’enseignement supérieur en Chine est loin d’être rose malgré l’excellence académique. Depuis 2012 et la prise de pouvoir de Xi Jinping, le pays connait un tournant autoritaire. « Quand je vivais en Chine entre 2002 et 2006, il y avait une relative liberté de parole privée. Dans l’enseignement, il était possible de s’exprimer dès lors que c’était cadré, dans des études de cas, on parlait de situations réelles en prétendant faire de la fiction et il était possible de discuter, entre fonctionnaires, cadres du parti, enseignants », raconte Alessia Lefébure.
Dans chaque université, un double management
Aujourd’hui, cependant, la liberté académique n’existe plus, indique celle qui a été enseignante-chercheuse, et les enseignants sont très contraints. « Dans chaque université, il y a un double management : une gouvernance administrative et politique avec des binômes à tous les échelons. Il y a de la délation et beaucoup d’autocensure. »
Un constat qui pose question : « En dépit du fait que la liberté académique n’existe pas, la Chine obtient de bons résultats dans la recherche », remarque Alessia Lefébure.
Pour autant, elle qualifie le pays de « géant aux pieds d’argile », car s’il se distingue à l’international pour les études supérieures, il n’attire pas les cerveaux du fait de son régime autoritaire. Ce qui est la force des États-Unis ou du Canada : leur pouvoir d’attraction pour des chercheurs du monde entier.