Élections européennes : les propositions des candidats pour le supérieur sont-elles crédibles ?
Par Marine Dessaux, Antoine Bovio | Le | Stratégies
L’enseignement supérieur prend une place plus ou moins importante dans les programmes des candidats français en tête des intentions de vote aux élections européennes du 9 juin 2024. Quelles sont les mesures proposées et qu’impliqueraient-elles ? Sont-elles réalistes ? Analyse de Romain Pasquier, spécialiste de la gouvernance en France et en Europe, directeur de recherche au CNRS et titulaire d’une chaire à Sciences Po Rennes.
Lors de leur résidence à Rennes, du 3 au 6 juin, Campus Matin et News Tank ont demandé à Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS et titulaire de la chaire « Territoires et mutations de l’action publique » à Sciences Po Rennes, d’analyser les propositions des principaux candidats aux européennes portant sur le supérieur.
Manon Aubry (La France insoumise)
- Mettre fin à la sélection à l’université partout en Europe en remettant en cause le processus de Bologne et en réunissant une nouvelle conférence pour l’enseignement supérieur gratuit et ouvert à tous.
- Lancer une directive pour une allocation d’autonomie accessible aux jeunes de moins de 25 ans et située au-dessus du seuil de pauvreté (soit 1 158 € mensuels en France).
- Doubler le Fonds social européen et renforcer notamment les financements pour l’aide alimentaire aux plus démunis, notamment à destination des jeunes en études pour financer des initiatives de repas publics biologiques, locaux, de qualité.
- Créer un programme européen d’aides aux étudiants précaires, et faire de la lutte contre la précarité des jeunes une priorité européenne.
- Interdire les stages non rémunérés, assurer la rémunération adéquate des stagiaires et des apprentis, refuser l’abaissement du salaire minimum pour les jeunes travailleurs.
- Renforcer les programmes Erasmus en garantissant un accès à toutes et tous, notamment en lycée professionnel, alternance et apprentissage. Développer les programmes d’échanges entre personnels enseignants.
Le décryptage de Romain Pasquier : « Ce n’est pas le grand soir qui facilite toujours les avancées les plus notables »
En voulant mettre fin au processus de Bologne, qui harmonise l’organisation des parcours du cursus universitaire au format licence master doctorat, « Manon Aubry propose une révolution », estime Romain Pasquier. Il est dubitatif : « Ce n’est pas le grand soir qui facilite toujours les avancées les plus notables. Pourquoi stopper le processus Bologne, quel est le problème ? »
Quant à la fin de la sélection dans les universités, il juge cette proposition difficile à mettre en place. « Cela signifierait la fin des grandes écoles, de certaines universités comme l’Université Paris Dauphine-PSL, de la sélection dans certains masters… »
Et complexe à faire accepter aux autres pays de l’Union européenne. « La recherche et l’enseignement, ce sont des compétences partagées entre les États membres et l’Union européenne et, au sein même des États membres, entre les états nationaux et les régions. Si vous allez en Allemagne, la compétence éducation et université est partagée entre l’état fédéral et les états fédérés. Je souhaite bon courage à Manon Aubry ! »
- Voir son programme complet.
Marie Toussaint (Les Écologistes)
- Assurer l’accessibilité du programme Erasmus à tous et toutes, quels que soient leurs moyens.
- Développer la reconnaissance des diplômes et des formations d’animation volontaire d’un pays à l’autre et favoriser les échanges de pratiques entre les structures d’animation, encourager des projets multinationaux dans le cadre d’Erasmus+.
- Mettre en place un revenu européen de formation pour les jeunes de 18 à 25 ans en complément des dispositifs nationaux ou des revenus pour assurer à chaque jeune un revenu digne.
- Interdire les stages non rémunérés en Europe et s’assurer qu’aucun stagiaire ne reçoit une indemnité inférieure au seuil de pauvreté.
- Poursuivre le soutien au développement des rencontres autour du sport dans le cadre d’Erasmus+.
- Lancer un programme de financement européen des rues scolaires et de prêt de vélos pour les étudiants Erasmus.
Le décryptage de Romain Pasquier : « Il faut un principe de réalité »
Comme Manon Aubry, Marie Toussaint veut interdire les stages non rémunérés. « Il est vrai que certaines entreprises et administrations ont pu, par le passé, se servir de stagiaires non rémunérés pour accomplir des tâches de salarié », rapporte Romain Pasquier.
Il pointe qu’aujourd’hui, en France, il y a une obligation légale de rémunérer les stages, qui devraient cependant « être mieux valorisés », et l’alternance qui permet de valoriser davantage le travail d’étudiants en voie de professionnalisation. « Cela étant, il faut aussi un principe de réalité. L’Union européenne n’imposera jamais un même niveau de rémunération dans tous les pays. Il y aurait autant d’effets pervers que bénéfiques », conclut-il.
- Consulter son programme complet.
Valérie Hayer (Renaissance)
- Mettre en place un compte personnel de formation (CPF) européen pour se former partout en Europe.
- Assurer la reconnaissance mutuelle des diplômes, notamment professionnels.
- Doubler le nombre d’universités européennes, jusqu’à 100 en 2030. Chaque étudiant bénéficiera d’un diplôme commun et pourra partir étudier dans un autre pays européen.
- Développer Erasmus pour tous les jeunes.
- Pour le supérieur : après avoir déjà doublé les financements, un semestre d’échange dans toutes les formations. Pour les apprentis : le Grand Tour des Compagnons et des métiers d’excellence, grâce à une convention type entre l’apprenti, l’établissement et l’entreprise.
Le décryptage de Romain Pasquier : « Une bonne idée, mais avec quel budget ? »
Valérie Hayer veut doubler le nombre d’universités européennes pour 2030, une mesure réalisable, explique Romain Pasquier, à condition d’y mettre le prix. « Tout dépend encore une fois du cadre pluriannuel budgétaire qui sera proposé. Il y a eu l’effet pandémie et un extra budgétaire de 750 milliards d’euros qui ont permis de donner des capacités de relance différentes et plus importantes aux États. Mais le cadre pluriannuel de sept ans, c’est toujours très difficile. Les États membres ne seront pas forcément enclins à élargir fortement leur contribution au budget européen. »
Il poursuit : « C’est sans doute une bonne idée, mais avec quel budget ? Est-elle sûre d’avoir les alliés suffisants pour les implanter ? Il y aura aussi la question de comment se répartissent ces universités européennes entre les 27 États. »
La candidate Renaissance imagine également la création d’un CPF européen. « Tout ce qui accroît la mobilité et la formation des étudiants est une bonne chose. Mais le diable se loge toujours dans les détails », alerte le chercheur à Sciences Po Rennes.
« C’est dans la mise en œuvre que l’on pourrait découvrir des difficultés dans la réalisation de ce projet. La formation professionnelle, la formation continue et la formation initiale ont des cadres réglementaires différents. Dans chaque pays, ce sont des cadres réglementaires.
Donc, il faut déjà s’assurer que le cadre réglementaire permette une circulation et une validation commune. En principe, je suis favorable à une mobilité croissante des étudiants et une possibilité d’aller se former ailleurs, car c’est en se confrontant à des cultures différentes qu’on fabrique l’Europe. Mais il faudra lever sans doute certains obstacles juridiques. »
- Voir son programme complet.
Raphaël Glucksmann (PS-Place publique)
- Instaurer un Erasmus universel accessible à toutes et tous, concrétiser l’Espace européen de l’éducation par une reconnaissance mutuelle des diplômes dans tous les domaines et par la mise en place d’un mécanisme européen de protection de la liberté académique.
- Lutter contre la précarité des jeunes en mettant en place une allocation d’autonomie et en rendant obligatoire la rémunération des stages, en favorisant l’accès au logement autonome, en adoptant une stratégie européenne pour la santé mentale des jeunes.
Le décryptage de Romain Pasquier : « Une déclaration de grands principes »
Raphaël Glucksmann veut un Erasmus pour tous, mais est-ce réalisable ? « C’est une déclaration de grands principes, estime Romain Pasquier. Qui peut être contre un Erasmus universel ? Personne ne dira non, mais il est évident que dans l’opérationnalisation il y aura plein de difficultés. »
Le directeur de recherche au CNRS rappelle qu’Erasmus+ fonctionne sur la réciprocité du nombre d’étudiants envoyés et reçus. « Il faut donc des structures et des enseignements équivalents pour cela fonctionne. En France, nous avons déjà un problème puisque nous voulons envoyer beaucoup d’étudiants dans les pays anglophones pour bien parler anglais. Mais tous ceux qu’on nous envoie parlent de moins en moins français. Nous devons donc aussi développer des cours en anglais. Si cette réciprocité n’est pas tenue, le principe d’Erasmus universel ne marchera pas. »
- Consulter son programme complet.
François-Xavier Bellamy (Les Républicains)
- Étendre le programme Erasmus vers de nouveaux publics pour faciliter la mobilité des jeunes générations et la découverte de nos cultures nationales et de notre culture européenne commune.
- Créer un Erasmus de la protection civile.
Le décryptage de Romain Pasquier : « Cela nécessite des financements supplémentaires »
À propos de l’Erasmus de la protection civile, Romain Pasquier déclare : « Pourquoi pas ? Le programme Leonardo l’a fait pour les apprentis. Mais là aussi cela nécessite des financements supplémentaires. »
- Consulter son programme complet.
Marion Maréchal (Reconquête)
- Réserver Erasmus aux jeunes Européens et introduire un coût financier avantageux pour les familles nombreuses.
Le décryptage de Romain Pasquier : « Une jurisprudence très importante par la Cour de justice européenne sur les valeurs de non-discrimination »
Marion Maréchal veut limiter Erasmus aux « jeunes Européens », qu’est-ce que cela recouvre ? « Il faudrait déjà lui poser la question : qu’est-ce qu’un Européen pour elle ? Est-ce que c’est quelqu’un qui a la nationalité d’un État membre et qui bénéficie d’une forme de citoyenneté de l’Union européenne ? Est-ce que des étudiants de pays tiers seront acceptés dans les universités européennes ? », s’interroge Romain Pasquier.
Quoi qu’il en soit, ce projet apparait peu réalisable. « Il y a une jurisprudence très importante en Europe par la Cour de justice sur les valeurs de non-discrimination. Je pense que cela s’y heurtera si elle veut aller vers une sélectivité trop forte. »
- Consulter son programme complet.
Jordan Bardella (Rassemblement national)
- Mener des coopérations politiques : notamment avec Erasmus pour les étudiants et apprentis.
Le décryptage de Romain Pasquier : « L’enseignement supérieur n’est pas au cœur des préoccupations du Rassemblement national »
Marion Maréchal et Jordon Bardella n’ont tous deux qu’une proposition dans leur programme en lien avec le supérieur. Pourquoi un si faible intérêt des deux candidats d’extrême droite qui comptent pourtant des jeunes parmi leurs électeurs ?
« Je ne pense pas que l’enseignement supérieur et la recherche soient au cœur des préoccupations du Rassemblement national ou de la liste Zemmour. Jordan Bardella n’a pas fait beaucoup d’études. Son électorat est jeune, mais fait plutôt partie des classes populaires et petites classes moyennes qui n’ont pas forcément bénéficié de ce fameux espace européen de la recherche. Or, le projet européen, c’est un projet qui parle plus aux CSP+, comme en témoignent les eurobaromètres. Il faut aussi noter que le premier parti des jeunes, c’est l’abstention. »
- Consulter son programme complet.
Des sujets aux abonnés absents
Romain Pasquier regrette que certains sujets ne soient pas abordés. À commencer par celui du logement étudiant. « Ce n’est certes pas de la compétence de l’Union européenne, mais c’est un vrai problème en Europe de l’Ouest. Se positionner sur le logement étudiant, je pense que cela aurait du sens. Ça a été un peu fait par Manon Aubry, en intégrant la précarité étudiante », détaille-t-il.
L’attractivité de l’Europe vis-à-vis de l’Afrique est aussi un enjeu selon le directeur de recherche au CNRS. « Je pense qu’il faut absolument être beaucoup plus souple pour les étudiants qui viennent d’Afrique. Je trouve un peu malheureux que la France soit si rigoureuse vis-à-vis de tous les étudiants d’une ancienne aire culturelle qu’on appelait l’Afrique francophone. Il ne faut pas s’étonner ensuite que l’influence française et européenne recule fortement en Afrique. »