Le campus sans tabac se diffuse timidement dans l’enseignement supérieur français
Depuis sa mise en place au printemps 2018 à l’EHESP de Rennes, le campus sans tabac peine à se diffuser dans d’autres établissements d’enseignement supérieur. Dans le cadre du projet de recherche Prodevcampus, la sensibilisation est renforcée depuis 2021 et des facultés de médecine devraient rejoindre le mouvement dans les prochains mois.

Sur le campus de Rennes de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), interdire la cigarette en extérieur est envisagé dès 2015. C’est finalement le 31 mai 2018, lors de la journée mondiale sans tabac, que ce projet est lancé.
Abris pour fumeurs en périphérie du campus, panneaux signalétiques et affiches préventives, étudiants ambassadeurs, accompagnement pour le sevrage… Les premiers outils sont mis en place grâce aux financements de l’université, de l’ARS Bretagne et de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.
En 2020, Campus Matin vous partageait un premier retour du campus sans tabac et l’un de ses enjeux phares : diffuser le dispositif dans l’enseignement supérieur. Où en est cet objectif, à sept ans du lancement ?
Diffuser le campus sans tabac
Le 25 mars, l’EHESP organisait une journée sur les campus promoteurs de santé, l’opportunité de faire venir des institutionnels, comme le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de la santé, ainsi que des associations impliquées dans les lieux sans tabac. Mais aussi d’évoquer les questions communes aux campus souhaitant adopter le dispositif.
Car, plus encore avec le lancement du projet de recherche Prodevcampus (soutenu notamment par l’Institut national contre le cancer, l’ARS Bretagne et la Ligue contre le cancer pour la période 2021 à 2025), l’École des hautes études en santé publique veut convaincre d’autres établissements d’enseignement supérieur, et en particulier ceux liés à la santé, d’adopter le dispositif campus sans tabac.
« Nous sommes très régulièrement sollicités pour obtenir des renseignements et des conseils. Dans le cadre de Prodevcampus, nous avons fait des présentations devant des conseils de facultés, des réseaux de lieux d’enseignement supérieur, des écoles, nous avons organisé des webinaires méthodologiques à destination des facultés de médecine, etc. », retrace Karine Gallopel-Morvan, professeure des universités en marketing social et responsable scientifique du projet Prodevcampus.
Les personnels les plus réticents à ce dispositif
Si de nombreux établissements sont curieux, pourquoi ne sont-ils pas davantage à rejoindre le mouvement ? Plusieurs freins l’expliquent, à commencer par une réticence chez une partie des personnels.
D’après les enquêtes menées par l’EHESP, le dispositif est très apprécié des étudiants : « Plus de 96 % d’entre eux y sont favorables, dont plus de 90 % des fumeurs qui ont répondu », chiffre Karine Gallopel-Morvan qui est également co-cheffe de projet campus sans tabac. L’adhésion des personnels n’était, elle, qu’à 30 % lors de la première édition de l’enquête.
Deux raisons d’être optimistes cependant : l’appréciation augmente avec les années, passant à 60 % quatre ans après la mise en place du campus sans tabac, et, dans certains cas, ce sont les personnels qui suscitent une réflexion sur la mise en place d’un campus sans tabac — parce que la fumée entre dans leurs bureaux, par exemple.
Autres freins : le manque de moyens et le temps, car la mise en place des dispositifs sans tabac nécessite souvent plusieurs années.
Des campus sans tabac déjà engagés et d’autres en cours
Depuis novembre 2021, à Strasbourg, l’Unistra a mis en place des zones non-fumeurs aux entrées de plusieurs bâtiments emblématiques et des points fumeurs. L’Université de Lille a, elle, entrepris un projet campus sans tabac en septembre 2022, coordonné par l’UFR3S-Pharmacie et financé pour trois ans par l’ARS des Hauts-de-France, avec des zones de tolérance temporaires éloignées des entrées et des fenêtres. L’Université de Reims Champagne-Ardenne a lancé le campus sans tabac en novembre 2024 pour son campus santé et souhaite l’étendre plus largement à l’avenir.
Deux facultés de médecine ont entamé la phase de réflexion et devraient se lancer dans les prochains mois : celles de Rennes et Bordeaux.
Boîte à outils, thèses… Les autres évolutions du campus sans tabac
Prodevcampus a également pour objectif de « partir de la littérature scientifique et de l’expérience de l’EHESP pour mettre en œuvre un campus sans tabac “optimal” pour la santé des étudiants et des salariés », indique Karine Gallopel-Morvan.
Dans ce cadre, l’école a lancé un site internet dédié, une « boîte à outils », en libre accès. On y trouve des fiches pratiques répondant à des questions concrètes : quel budget prévoir pour un campus sans tabac ? Comment l’évaluer ? Quels arguments mobiliser pour convaincre en interne ?
« Nous sommes à la croisée entre projet de recherche, vie de campus et politique institutionnelle de l’école. C’est très motivant pour les équipes », souligne Marion Ganivet, directrice des ressources humaines adjointe et co-cheffe du projet campus sans tabac.
Grâce à ce programme, l’école a en effet pu renforcer son dispositif, intégrer les dernières données scientifiques issues de plus de 100 publications et rebooster l’implication des équipes. Il a aussi permis le recrutement d’ingénieurs d’études et de doctorants.
L’une d’entre elles, Diane Geindreau, a soutenu en décembre 2024 une thèse sur le rôle des leaders d’opinion dans la dénormalisation du tabac en France appliquée aux campus sans tabac et aux hausses de taxes.
Bien que rares, des sanctions nécessaires
« La question des sanctions est délicate, car elle est mal perçue, mais indispensable », reconnaît Karine Gallopel-Morvan. Une case obligatoire pour dissuader les récidivistes quand la pédagogie échoue. Une possibilité rarement utilisée : seulement deux fois à Rennes depuis 2018.
« La politique de sanctions doit être affichée clairement, sur le site internet par exemple, d’un lieu d’enseignement supérieur », conseille la responsable scientifique de Prodevcampus.
Marion Ganivet précise : « C’est le régime de sanctions classique qui s’applique, mais il y a d’abord un premier rappel à l’ordre par le responsable de formation, puis par la direction des ressources humaines en cas de récidive. Il n’y a pas de régime spécifique pour les agents. »
Formation des ambassadeurs étudiants
Le dispositif s’appuie également sur des étudiants ambassadeurs, en binômes. « Nous faisons des rondes sur le campus, plutôt pendant les temps de pause. Nous approchons les personnes qui ne sont pas dans les abris pour leur expliquer le dispositif et leur demander de fumer là-bas. Nous les informons aussi sur les aides à l’arrêt du tabac », raconte Lina Favé, étudiante en master 1 de santé publique à l’EHESP et ambassadrice campus sans tabac.
Cette année, une formation spécifique leur a été proposée via Prodevcampus, notamment pour apprendre à gérer les personnes réticentes. « C’est parfois délicat de venir déranger quelqu’un pendant sa pause, même en dehors des abris », souligne-t-elle.
Les ambassadrices portent un gilet bleu pour être identifiables. « Cela leur donne une légitimité, ce qui n’est pas toujours évident. Le public à l’école est très varié et, notamment en formation continue, il y a parfois des personnes en fin de carrière, dans une tranche d’âge différente », observe Marion Ganivet.
Depuis cette année, les ambassadrices sont présentées lors de l’accueil des nouvelles promotions : directeurs d’hôpitaux, étudiantes et étudiants internationaux, etc. L’objectif ? Montrer que le projet est soutenu par l’institution.
Aides à l’arrêt du tabac : des dispositifs encore peu connus
Pour les usagers fumeurs, des consultations gratuites avec une infirmière addictologue sont proposées chaque semaine sur rendez-vous. Des ateliers de sophrologie sont également organisés pour aider à mieux gérer le stress. Ces aides et services sont gratuits, mais restent peu connus et sous-utilisés, regrette Marion Ganivet.
Faire évoluer la loi : la solution pour généraliser les campus sans tabac ?
Depuis le décret du 15 novembre 2006 relatif à l’interdiction de fumer dans les lieux publics à usages collectifs, la cigarette est bannie dans l’enceinte des écoles, des collèges et des lycées. Sur les campus, seul l’intérieur des bâtiments est concerné. Une loi qui pourrait être étendue à l’extérieur ? C’est du moins ce pour quoi œuvrent des associations dans le cadre du plan national sans tabac 2023-2027, qui prévoit de favoriser les environnements sans tabac dans les lieux d’enseignement.
Une interdiction qui ne consisterait pour autant pas une solution miracle : la sensibilisation et s’assurer du respect de cette interdiction seront toujours nécessaires, d’après l’expérience de nos interlocutrices.
Faut-il interdire aussi le vapotage ?
Pour l’heure, la cigarette électronique est interdite à l’intérieur des bâtiments, mais reste autorisée à l’extérieur à l’EHESP. Cette décision a été prise en 2018, « car d’une part le pourcentage de vapoteurs était beaucoup plus faible qu’aujourd’hui. D’autre part, des fumeurs interrogés et membres du comité de pilotage encourageaient à promouvoir la réduction des risques avec le vapotage ».
La question de l’interdiction de l’e-cigarette sur un campus sans tabac se pose néanmoins aujourd’hui. En effet, la littérature scientifique sur les campus sans tabac montre qu’ils atteignent d’autant plus leurs objectifs (inciter à arrêter, à réduire, améliorer la qualité de l’air, etc.) qu’un campus est sans tabac et sans vapotage.