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Pédagogie et transition : « L’Art Thinking nous invite à voir le monde différemment »

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

S’inspirer des artistes pour penser autrement : telle est l’ambition de l’Art Thinking, une méthode pédagogique qui séduit de plus en plus d’écoles de management et d’universités, en France comme à l’international. En poussant les étudiants à questionner leur cadre de pensée, cette approche promet d’ouvrir la voie à des pratiques plus durables et responsables.

Les séminaires d’Art Thinking se concluent par un vernissage d’art.  - © Kedge
Les séminaires d’Art Thinking se concluent par un vernissage d’art. - © Kedge

Fiammetta Cascioli Karivalis, professeure de management à Kedge business school, où elle dirige le master of science (MSc) business transformation for sustainability, dans le cadre duquel est proposé le dispositif d’Art Thinking, et Nil Samar, professeur affilié à ESCP business school, entrepreneur, artiste et médiateur, répondent à Campus Matin.

Qu’est-ce que l’Art Thinking ?

Fiammetta Cascioli Karivalis : L’Art Thinking nous invite à voir le monde différemment. Nous vivons au sein d’un monde géré par des conventions visibles et invisibles. Nous amenons les participants des séminaires à développer une vision différente de leur place dans le monde.

Nil Samar est professeur affilié à ESCP, mais aussi entrepreneur, artiste et médiateur. - © D.R.
Nil Samar est professeur affilié à ESCP, mais aussi entrepreneur, artiste et médiateur. - © D.R.

Nil Samar : Le fondement principal de cette méthode repose sur l’application des méthodes issues du monde de l’art dans différents contextes comme l’éducation, la recherche ou le commerce. Une des notions clés est la subversion, qui implique de questionner son cadre et réfléchir à comment nous faisons ce que nous faisons. Cela signifie aussi questionner la croissance sous l’angle de la durabilité.

Concrètement, les séminaires sont organisés en une partie théorique avec des savoirs descendants et de la pratique artistique. L’objectif est de proposer un vernissage à la fin où les participants présenteront leur œuvre.

Au centre de cette nouvelle méthode pédagogique, un collectif…

Fiammetta Cascioli Karivalis : Le collectif Art Thinking a été créé il y a 15 ans par un professeur d’ESCP, Sylvain Bureau, en collaboration avec l’artiste Pierre Tectin.

Nil Samar : Depuis, la méthode a essaimé dans la plupart des grandes écoles de France et quelques universités comme l’EMLyon, Skema, Essca, Aix-Marseille Université, l’Université de Lille ou encore Polytechnique. Mais aussi à l’étranger dans une douzaine de pays, notamment à Stanford ou au Japon.

Nous allons d’ailleurs organiser un séminaire, ouvert aux étudiants et enseignants de la Design School de Stanford en janvier.

À qui s’adresse l’Art Thinking ?

Nil Samar : Nous proposons des séminaires pour deux types de publics : des étudiants en formation initiale et des professionnels en formation continue. Nous avons aussi organisé un séminaire avec des doctorants à Kedge et avec des enseignants à ESCP.

S’appuyer sur des contenus scientifiques tout en restant en lien constant avec des artistes.

En ce qui concerne le collectif plus particulièrement, je suis actuellement en charge de ce parcours de formation pour les personnes souhaitant nous rejoindre. Il n’y a pas de critères préétablis pour rejoindre le collectif. Nous accueillons des profils très variés : des experts spécialisés dans un domaine, des artistes intéressés par l’éducation ou encore des personnes au parcours hybride, comme des coachs, chercheurs ou médiateurs culturels. Ce qui compte, c’est d’avoir un pied dans plusieurs univers et de s’appuyer sur des contenus scientifiques tout en restant en lien constant avec des artistes. 

Quelle place dans les cursus ?

Fiammetta Cascioli Karivalis est professeure de management à Kedge business school. - © D.R.
Fiammetta Cascioli Karivalis est professeure de management à Kedge business school. - © D.R.

Fiammetta Cascioli Karivalis : Un pilote a été lancé cette année à Kedge dans le cadre du MSc« Business Transformation for Sustainability ». L’Art Thinking intervient ainsi en début de parcours. Il permet d’ouvrir une autre manière de penser et d’explorer la différence exploitation et exploration.

L’un des défis majeurs est d’apprendre à repérer les moments où il faut aller vite et être efficace, et ceux où il faut s’arrêter, prendre du recul, voire partir à la dérive. Par exemple, nous envoyons les étudiants dans la rue pour rencontrer des personnes, ce qui crée un espace de réflexion et change leurs façons d’agir. Autant de réflexions qui sont intéressantes à avoir dès le début de l’année pour impacter la manière de réfléchir des étudiants tout au long du programme.

Nil Samar : À ESCP, l’Art Thinking est intégré dans tous les types de cursus : master grande école, bachelor, MBA, plusieurs masters of science, doctorat… Nous intervenons aussi dans des cours électifs au milieu de l’année, ou lors de sessions de formation continue.

Nous avons également lancé une chaire dédiée à l’Art Thinking à ESCP, financée par le groupe Galeries Lafayette.

Pouvez-vous nous donner des exemples d’œuvres créées par les participants ?

Nil Samar : Des étudiants d’ESCP ont détourné des toilettes en les remplissant de Ricard. Une façon d’interpeller sur le gaspillage d’eau potable. Ils servaient du Ricard directement dans la cuvette pour faire réfléchir sur cet objet du quotidien que l’on ne remet plus en question.

Des étudiants d’ESCP ont détourné des toilettes en les remplissant de Ricard. - © ESCP
Des étudiants d’ESCP ont détourné des toilettes en les remplissant de Ricard. - © ESCP

Un autre groupe a conçu des bijoux en eau potable gelée pour faire réfléchir aux enjeux de la rareté de l’eau. Ces bijoux fondaient rapidement, posant des questions sur la fast fashion et ils semblaient douloureux à porter, ce qui interrogeait la souffrance que nous sommes prêts à accepter pour porter des diamants. 

Une fausse campagne pour des bijoux de luxe utilisait des glaçons au lieu de diamants pour symboliser la rareté de l’eau potable. - © ESCP
Une fausse campagne pour des bijoux de luxe utilisait des glaçons au lieu de diamants pour symboliser la rareté de l’eau potable. - © ESCP

Dans une grande banque, un groupe a peint un portrait « type » des hommes du comité de direction (tous des hommes, blancs, ayant fait certaines écoles de commerce) et a utilisé des fruits et légumes « moches » pour symboliser les talents non valorisés. Ce projet a nourri une réflexion d’un an pour réfléchir à des solutions pour plus de diversité.

Fiammetta Cascioli Karivalis : À Kedge, des étudiants ont posé des questions sur le MSc dans lequel ils étaient inscrits, en les présentant sous la forme de « Qui veut gagner des millions ? ». Nous les invitons à nous questionner et à se questionner eux-mêmes, à ouvrir la boîte de pandore !

Les étudiants ont interrogé la pertinence d’un coût élevé pour une formation qui veut sauver la planète. - © Kedge
Les étudiants ont interrogé la pertinence d’un coût élevé pour une formation qui veut sauver la planète. - © Kedge

Quels conseils pour mettre en place l’Art Thinking dans un établissement du supérieur ?

Nil Samar : J’en vois principalement deux :

  • Se rapprocher du collectif. Nous aidons les enseignants à adapter la méthode. Par exemple, des professeurs de management public à Aix-Marseille Université ont adapté les contenus du séminaire à leurs enjeux spécifiques.
  • Ne pas avoir peur de faire créer. Quand on est vraiment exigeant, les gens ont des choses à dire.

Fiammetta Cascioli Karivalis : le collectif Art Thinking permet aux membres d’avoir accès à soutien et contenus, validés scientifiquement. Ceci dit, la clé pour la réussite de l’atelier est à mon avis son adaptation au programme au sein duquel il est déployé. Dans le cas de Kedge, et du MSc business transformation for sustainability, par exemple, nous avons aligné l’ouverture de l’atelier sur les notions de croissance et décroissance, complètement en ligne avec l’approche pédagogique proposée.