Que pensent les doctorants et encadrants de l’expérience et des réformes de la thèse ?
Par Marine Dessaux | Le | Doctorat
Le Réseau national des collèges doctoraux dévoile sa deuxième enquête sur le doctorat. Une étude qui compte près de 13500 répondants, soit 19 % des doctorants inscrits en France. Elle dépeint des doctorants satisfaits, vitaux pour le fonctionnement de la recherche française et bien plus ancrés dans l’interdisciplinarité que ce que l’on pourrait croire.
Un nouvel éclairage sur les conditions de thèse et les actualités en lien avec le doctorat vu par ses acteurs principaux : c’est ce que propose le rapport « Le doctorat en France. Regards croisés des doctorants et de leurs encadrants » du Réseau national des collèges doctoraux (RNCD), disponible en preprint sur HAL depuis le 1er décembre 2023.
Une enquête dont le premier volet a été dévoilé en février 2023 — on y apprenait notamment l’adhésion générale au serment des docteurs rendu obligatoire en 2023. Et qui confirme les tendances de la première édition, publiée en janvier 2022, notamment sur le taux de satisfaction de l’expérience de thèse.
Un taux de satisfaction étonnamment élevé
68 % des doctorants estiment que l’expérience de thèse est conforme à leurs attentes en 2022 et 74 % se disent satisfaits en 2023. Des chiffres qui contrastent avec des situations (harcèlement, dépression, précarité) décrites par les associations de doctorants et de nombreux témoignages comme ceux recueillis par Adèle B. Combes dans « Comment l’université broie les jeunes chercheurs ».
Sylvie Pommier, présidente du RNCD, donne des clés de compréhension : « L’enquête du RNCD porte sur le doctorat en général et pas sur les difficultés des doctorants en particulier, ce qui peut expliquer un taux de satisfaction plus élevé dans nos deux enquêtes que ce qui ressort d’études thématisées. En effet, à une enquête portant sur les difficultés des doctorants, des doctorants qui ne rencontrent pas de difficulté particulière peuvent ne pas répondre autant que ceux qui ont des problèmes et être ainsi sous-représentés. »
Ce décalage peut aussi provenir de la façon dont est posée la question et de l’interprétation du terme de satisfaction. « C’est pourquoi nous avons complété le questionnaire avec des questions explicites sur les risques psychosociaux », poursuit celle qui est également professeure des universités à l’ENS Paris-Saclay et vice-présidente adjointe en charge du doctorat de l’Université Paris-Saclay.
Risques psychosociaux, santé mentale, bien-être au travail : la formation n’est pas assez répandue
L’enquête montre qu’à peine un quart des doctorants ont été sensibilisés ou formés aux questions de bien-être au travail, des risques psychosociaux ou encore de la santé mentale. Et environ la moitié de ceux qui disent être exposés à des violences internes sont aussi être exposés à des violences externes.
Des conflits entre titulaires, qui peuvent créer un climat difficile.
« Mais de manière contre-intuitive, la moitié des doctorants qui disent être exposés à des violences internes se déclarent pourtant satisfaits de leurs encadrants. Au vu des situations que j’ai déjà vues dans mon établissement, je pense que c’est parce qu’il s’agit de situations de conflit au sein de leurs laboratoires, entre titulaires, qui peuvent créer un climat difficile à vivre autour d’eux. Les situations de conflit ne sont pas toujours entre des doctorants et leurs directeurs de thèse », explique Sylvie Pommier
Faut-il rendre la formation des encadrants obligatoire ?
Les encadrants sont en première ligne face à la détresse des doctorants. Pour autant, ils n’ont pas d’obligation de se former. « Nous avons des formations obligatoires pour les doctorants à l’éthique de la recherche et à l’intégrité scientifique, aux violences sexistes et sexuelles, au développement durable et soutenable, aux enjeux de la science ouverte… mais elles ne le sont pas pour les encadrants. Ils peuvent donc avoir un niveau d’information plus faible que celui de leurs doctorants. Ce qui n’est pas une situation très saine », poursuit Sylvie Pommier.
La présidente du RNCD se dit favorable à une formation obligatoire pour les encadrants. « Il faut se dire que c’est normal de se former tout au long de la vie. Donc lorsqu’on confie de nouvelles missions au comité de suivi individuel de détection active et d’alerte vis-à-vis des VSS, du harcèlement et des discriminations, il est logique de se former sur ces questions. »
Un rôle crucial des doctorants dans la recherche
La recherche française est soutenue par le travail des doctorants. C’est ce que confirment les déclarations des encadrants. À 74 % en sciences et technologies, 69 % en sciences du vivant et environnement et 24 % en sciences humaines et sociales, ils déclarent qu’entre la moitié et la totalité de la production scientifique de leur laboratoire est associée à un projet doctoral.
Alors que le doctorat souffre d’une baisse d’attractivité, il apparaît d’autant plus important de trouver les arguments pour que les étudiants soient plus nombreux à se lancer dans la thèse. « Avec 1 % de docteurs dans la population âgée de 25 à 34 ans, la France est en recul par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE et ce recul s’accentue malgré les mesures prises dans la loi pour la recherche en 2020 », note le rapport.
L’interdisciplinarité à plein régime !
Autre donnée surprenante de l’enquête, 40 % des répondants disent avoir un sujet de thèse assez interdisciplinaire et 20 % tout à fait interdisciplinaire. Des résultats similaires à la précédente édition, mais dont le taux paraissait alors très, voire trop, haut aux auteurs.
« Nous n’y croyions pas ! C’est pourquoi, avec cette nouvelle enquête, nous avons précisé les questions en demandant les disciplines mobilisées et la nature des différences entre les deux disciplines. Nous avons aussi posé des questions sur la composition des équipes de direction : y a-t-il plusieurs encadrants et si oui, l’équipe est-elle interdisciplinaire, internationale, intersectorielle, etc. »
En croisant les réponses, une proportion d’au moins 20 % de recherches interdisciplinaires est atteinte. « Ce qui est plus élevé que ce qu’on se représente habituellement », note la présidente du RNCD.
Une réforme des comités de suivi individuel qui remporte l’adhésion
Depuis l’arrêté du 26 août 2022, modifiant l’arrêté du 25 mai 2016 définissant le cadre du doctorat, les modalités des comités de suivi individuel (CSI) ont évolué.
Désormais, le CSI doit :
- se réunir pendant la première année de doctorat,
- comporter une phase d’entretien du directeur de thèse
- compter parmi ses membres un scientifique qui n’est pas issu du domaine disciplinaire du doctorant.
Directement après la réforme, « des encadrants se sont plaints de l’alourdissement du processus et de sa complexification », raconte Sylvie Pommier. L’enquête montre cependant que 77 % des encadrants et 86 % des doctorants sont très satisfaits ou satisfaits de cette mesure.
La disposition qui retient le moins d’adhésion (76 % des doctorants et 56 % des encadrants) concerne l’intégration d’un scientifique qui n’est pas issu du domaine disciplinaire du doctorant.
Pourquoi cette modalité rencontre-t-elle moins de succès ?
Avoir une personne qui n’est pas dans la sphère des collaborations du directeur de thèse.
« Je pense qu’elle n’est pas bien comprise. Cette disposition avait été proposée au Cneser, notamment par des associations représentantes de doctorants. L’intention était de s’assurer d’avoir une personne indépendante, qui n’est pas dans la sphère des collaborations du directeur de thèse. Cependant, une personne qui n’est pas spécialiste du sujet pourra moins participer à ces échanges. C’est sans doute mieux, et c’était l’intention, pour le petit pourcentage qui peut rencontrer des difficultés. Mais pour les 95 % qui n’en ont pas, cela peut paraître inutile. »
Serment des docteurs : pas encore systématiquement en place dans les soutenances ?
Autre réforme d’actualité, le serment des nouveaux docteurs n’est pas encore abordé systématiquement par les jurys lors de la soutenance. Comment avance sa mise en place ?
« L’enquête a révélé que les doctorants et encadrants étaient moins bien informés sur le serment des docteurs que sur la réforme des comités de suivi. En toute vraisemblance, beaucoup ne doivent pas être au courant. Plusieurs universités — Marseille, Bordeaux, Paris-Saclay — ont adapté leurs courriels de convocation en soutenance pour informer de cette obligation et rappeler la phrase à prononcer », dit Sylvie Pommier.
Les binômes doctorants et directeurs de thèse sont plus souvent de même sexe
L’enquête montre une surreprésentation des binômes doctorant-directeur de thèse de même sexe. Cela atteint +20 % en sciences et technologies pour les binômes de doctorantes-directrices de thèses.
« Il n’est pas possible de savoir si ce biais provient, par exemple, des étudiantes qui se disent “je vais aller plutôt vers une encadrante parce que je serai plus en confiance et je ne prends pas de risque de subir des VSS”. Ou bien, en sens inverse, s’il provient plutôt des encadrantes, qui pourraient donner plus leur chance à des femmes, que ne le font leurs collègues masculins », suggère Sylvie Pommier.
Une question qui nécessite une certaine vigilance. « Le déséquilibre de la répartition femmes-hommes parmi les encadrants a des répercussions sur l’entrée en doctorat et peut perpétuer ce déséquilibre. »
Pour une plus grande diversité sociale, la sensibilisation doit être plus précoce
L’enquête montre une forte surreprésentation des doctorants (plus d’un facteur dix) dont un parent est titulaire du doctorat. Dans tous les domaines disciplinaires et quelle que soit la région du monde dont ils sont originaires. « Ceux qui viennent d’un milieu où personne n’a de diplôme d’enseignement supérieur ont commencé très tôt à réfléchir sur leur sujet, bien avant le master », remarque Sylvie Pommier.
Il faut commencer à sensibiliser très tôt à la recherche.
Elle poursuit : « Augmenter l’attractivité du doctorat demande de donner envie de faire de la recherche et de faire connaître le doctorat, auprès de publics qui ne le connaissent pas déjà. Et bien avant le master : en début de premier cycle, au lycée, voire même avant. La conclusion est qu’il faut commencer à sensibiliser très tôt à la recherche, bien plus tôt que ce que l’on fait aujourd’hui. »
Un chantier pour rassurer les doctorants sur leur avenir
L’enquête montre à nouveau que les doctorants sont inquiets vis-à-vis de leur devenir professionnel (seulement 56 % des doctorants interrogés se déclarent confiants dans leur avenir professionnel) et qu’une des voies pour y remédier est de leur donner des informations sur l’emploi et les carrières des docteurs.
« Mais ce n’est pas si simple à l’échelle d’une école doctorale pour des questions de taille critique. Une des pistes que nous proposons est de développer un portail de l’emploi et des carrières des docteurs au niveau national », indique Sylvie Pommier.
À quand la prochaine édition de ce panorama du doctorant en France ? « Nous n’allons pas faire cette enquête tous les ans », prévient la présidente du RNCD qui mentionne un horizon à janvier 2025.
Représentativité de l’enquête
L’enquête nationale sur le doctorat recueille les réponses de 13412 doctorants ainsi que 7803 encadrants.
39 % des répondants sont rattachés à une école doctorale située en Île-de-France. 10 % se trouvent respectivement dans le Grand Est et l’Auvergne-Rhône-Alpes.
En Occitanie, les répondants étudient majoritairement dans les sciences du vivant et l’environnement (46 %). C’est la seule région où ce domaine est majoritaire. En Nouvelle-Aquitaine et Bourgogne-Franche-Comté, ce sont avant tout des répondants issus des SHS. Ils représentent respectivement 47 % et 43 % des répondants dans les deux territoires.
Le reste de la France métropolitaine est surtout représentée par les doctorants et encadrants dans les sciences et technologies.
Concepts clés et définitions : #Cneser ou Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche