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À l’université, les bibliothécaires se mettent à la page

Par Enora Abry | Le | Personnels et statuts

Avec le nombre croissant de ressources disponibles en ligne et l’augmentation de la fréquentation des bibliothèques, comment le rôle des bibliothécaires universitaires évolue-t-il ? Pilotes, médiateurs, formateurs… Ce métier cache plusieurs facettes !

Ces dernières années, les bibliothécaires ont dû s’adapter à de nouveaux enjeux - © Collex Persée
Ces dernières années, les bibliothécaires ont dû s’adapter à de nouveaux enjeux - © Collex Persée

Deux révolutions majeures

L’explosion du nombre d’entrées

En 2019, plus de 72 millions d’entrées dans les bibliothèques universitaires françaises ont été recensées, selon une étude publiée en avril 2021 par le ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation. Soit dix millions de plus qu’en 2011. Cette hausse a certes été freinée par la crise Covid, mais reprend progressivement depuis la fin des restrictions sanitaires.

Une situation qui met en exergue le manque d’infrastructures. Selon l'étude publiée par l'Association des bibliothécaires universitaires (ADBU) en mars dernier, en France, le rapport entre le nombre de places et le nombre d’étudiants qui était à la baisse depuis de 2013 est de nouveau en hausse. Entre 2018 et 2019, le nombre d’étudiants par place est passé de 10 à 10,3. Ce chiffre reste néanmoins inférieur à la moyenne européenne, qui est de 13 étudiants par place. 

Puisque les places ne suffisent plus, l’idée a alors été de les rendre disponibles plus longtemps. Le gouvernement a mis place en 2016 le Plan bibliothèques ouvertes + qui permet d’étendre les horaires d’ouverture des bibliothèques universitaires (BU) et des services dédiés aux étudiants en soirée et le week-end. 

Une mesure insuffisante, selon Marc Martinez, président de l’ADBU.

« Aujourd’hui, nous manquons de constructions nouvelles. Il faut que les places en BU suivent la hausse de la démographie étudiante. L’ADBU s’emploie à le demander. En ce qui concerne l’allongement des horaires, c’est une bonne chose, mais les journées ne font que 24 heures et les semaines sept jours. Alors cela reste insuffisant. Nous sommes forcément bloqués à un moment. Et puis, ouvrir un dimanche soir à 23 heures, ça n’aide personne. »

Le bibliothécaire alors faire face à cette augmentation de la fréquentation. Une situation qui peut être difficile, soulève Julien Roche, directeur du service commun de documentation de l'Université de Lille« À Lilliad, notre learning center, nous connaissons une forte affluence. Cela peut créer des tensions entre les étudiants ou avec le personnel. Une situation heureusement assez rare, mais qu’il faut apprendre à gérer. »

La vague du numérique

Marc Martinez préside l’ADBU depuis 2019. - © D.R.
Marc Martinez préside l’ADBU depuis 2019. - © D.R.

Afin de rendre les ressources des BU plus disponibles, celles-ci sont rendues accessibles sur des sites dédiés au format numérique. Cependant, selon l’étude menée par l’ADBU, cette mesure ne suffit pas à pallier le manque de places.

« En pratique, il semble que les deux usages se complètent et ne s’opposent pas : plus un usager vient à la bibliothèque, plus il consulte le site web de la bibliothèque. »

De plus, les formats numériques impliquent de nouveaux enjeux. « Les “digital natives” sont la plupart du temps des illettrés du numérique, ils n’ont pas conscience des algorithmes dont ils sont prisonniers, indique Marc Martinez. Les bibliothécaires ont toujours été dans la médiation et la formation à la maîtrise de ce type d’outils. De nos jours, ce rôle de passeur pour le public étudiant et pour les chercheurs est d’autant plus important. »

Le bibliothécaire, « un couteau suisse »

Des bibliothécaires formateurs

Les tâches du bibliothécaire sont multiples, rappelle Marc Martinez  : « Le bibliothécaire, c’est un couteau suisse. Il n’a pas de journée type. Il fait des formations, guide les usagers, discute le budget, le management. »

Les proportions dans lesquelles sont effectuées ces tâches peuvent varier et sont en pleine transformation, ajoute Frédéric Rosseel, bibliothécaire de liaison sciences pour l’ingénieur à Lilliad.

Frédéric Rosseel est bibliothécaire de liaison sciences pour l’ingénieur au learning center de l’Université de Lille. - © D.R.
Frédéric Rosseel est bibliothécaire de liaison sciences pour l’ingénieur au learning center de l’Université de Lille. - © D.R.

« Il y a beaucoup moins de tâches à l’accueil, au service du prêt, tout est automatisé grâce aux bornes. Nous faisons plus de médiation avec les étudiants, nous les guidons. Nous avons  aussi beaucoup plus de temps pour faire des formations à la recherche documentaire. »

Il poursuit  : « La réforme licence-master-doctorat a été une première occasion de redéfinir les missions des bibliothécaires avec l’introduction de la formation à la méthodologie documentaire. Avec cette nouvelle compétence exigée des étudiants, la médiation a pris une nouvelle dimension au sein des équipes. Le cœur de métier n’était plus simplement les collections, mais l’usager. »

« Toutefois, si ce travail de médiation et de formation a immédiatement prouvé son intérêt en direction des premiers et  deuxièmes cycles, le public des enseignants-chercheurs avait abandonné la fréquentation du bâtiment et privilégié l’accès distant. Un travail de fond a donc été mené au Lilliad learning center innovation pour se positionner comme partenaire de la recherche et développer des services adaptés avec un personnel qualifié et spécialisé. Ce positionnement porte aujourd’hui ses fruits », ajoute-t-il.

Des bibliothécaires pilotes

Autre mission qui prend de l’ampleur : celle du pilotage, notamment face à la création de nouveaux lieux que sont les learning centers, des bibliothèques universitaires 2.0 auxquelles sont agrégés des lieux pour l’événementiel, des career center, des laboratoires…

« Dans ces lieux, c’est le bibliothécaire qui s’assure que tout fonctionne en synergie. Il hérite de cette casquette plus naturellement qu’un enseignant ou qu’un membre du personnel administratif puisqu’il possède déjà cette capacité à faire travailler ensemble des équipes différentes. Les learning centers ont mis en avant cette fonction transversale du bibliothécaire », remarque le président de l’ADBU.

Un cursus pour les bibliothécaires adaptés à ces nouveaux enjeux

Afin d’intégrer ces nouvelles pratiques, la formation des personnels des bibliothèques a su s’adapter.

Le management et la formation sont vraiment mis en avant et les collègues arrivent formés

« Personne n’est laissé sur le bord de la route. À l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, les cadres apprennent le travail en collaboration et les questions de science ouverte. Tout cela a été intégré dans les cursus. Avant, nous insistions sur l’aspect développement des collections. Aujourd’hui, le management et la formation sont vraiment mis en avant et les collègues arrivent formés. Pour les magasiniers, la formation continue permet de les faire monter en compétence tout au long de leur carrière », explique Marc Martinez.

En effet, l’étude menée par l’ADBU montre une augmentation du nombre de jours de formation dispensés aux personnels des bibliothèques : trois jours par an en 2019 contre 2,5 en 2013. 

Quels obstacles à la formation des étudiants par les bibliothécaires ?

Un rapport de la Cour des comptes de juillet 2020 sur la politique documentaire et les bibliothèques universitaires dans la société de l’information déplorait le fait que « trop d’étudiants débutent et poursuivent leurs études sans avoir appris les rudiments de la recherche documentaire et du traitement de l’information à laquelle ils ont accès ».

Ce qui empêche « de faire des bibliothèques universitaires des centres de service répondant pleinement aux besoins des étudiants pour qui elles sont, à bien des égards, un facteur déterminant d’égalité des chances. »

Marc Martinez réagit à ces propos : « Les bibliothécaires sont formés pour accompagner les étudiants. Mais l’obstacle majeur, c’est le manque de moyens. La seule solution est de recruter plus de bibliothécaires. Nous constatons ici les effets d’un manque d’investissement de la part de l’État. » 

Selon l’étude menée par l’ADBU, la masse salariale dédiées aux bibliothèques françaises est inférieure à la moyenne européenne.