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Les professeurs du secondaire affectés dans le supérieur dénoncent une inégalité de traitement

Par Isabelle Cormaty | Le | Personnels et statuts

Laissés pour compte lors de la création du nouveau régime de primes pour les enseignants-chercheurs, les professeurs du secondaire qui officient à l’université — Prag, PRCE, Peps, PLP — montent la voix. Ils se rassemblent au sein du Collectif 384 pour demander un accès au Ripec, ou équivalent, dans le cadre de la revoyure de la LPR. En attendant, le réseau appelle à arrêter de remplir les tâches administratives non rémunérées et non statutaires.

13000 enseignants du secondaire (PRAG et PRC notamment) exercent dans le supérieur. - © Pavel Danilyuk
13000 enseignants du secondaire (PRAG et PRC notamment) exercent dans le supérieur. - © Pavel Danilyuk

Coincés entre deux ministères. Voilà comment se définissent les quelque 13 000 enseignants titulaires d’un concours de l’éducation nationale et affectés dans l’enseignement supérieur. Créé en 2021, le Collectif 384 regroupe plus d’un millier d’entre eux : professeurs agrégés (Prag), professeurs certifiés (PRCE) ou professeur de lycée professionnel (PLP)…

Des statuts différents réunis par un point commun : les 384 heures de cours qu’ils doivent assurer en un an, soit le double des enseignants-chercheurs. « Le collectif s’est monté en avril 2021. À la sortie de la crise Covid, nous avons découvert avec un collègue que le Ripec ne concernait que les enseignants-chercheurs et non tous les enseignants du supérieur. Nous avons donc lancé une pétition, à ce jour signée par plus de 7800 personnes », raconte Nicolas Dormergue, président du Collectif 384 et Prag à l’IUT du Puy-en-Velay.

Instauré dans le cadre de la Loi de programmation de la recherche (LPR), le régime indemnitaire pour les enseignants-chercheurs (Ripec) prévoit pour les maîtres de conférences et les professeurs des universités la refonte des différentes primes en un seul régime. « Nous avions une prime commune avec les enseignants-chercheurs, la Prime d’enseignement supérieur (Pes). Les collègues de tous corps sont engagés dans des tâches administratives, mais avec le Ripec, l’écart entre les primes pour les enseignants du supérieur et les enseignants-chercheurs est considérable », s’insurge Nicolas Dormergue.

Des tâches administratives non prévues par les statuts

Le Collectif 384 demande notamment l’accès au Ripec, ou à un équivalent, pour les enseignants du secondaire affectés dans le supérieur et à une meilleure reconnaissance des tâches administratives effectuées en plus des missions prévues par le décret Lang régissant le statut des enseignants du secondaire affectés dans le supérieur. 

Des tâches administratives - nombreuses dans un contexte de pénurie de personnels administratifs - et peu payées voire non rémunérées, comme l’explique Céline Courvoisier, Prag de physique à l'IUT d’Aix Marseille. « J’ai été responsable d’un DUT de chimie en apprentissage pendant huit ans. Je me suis occupée de toutes les charges administratives de la formation. Cela occupait aussi mes soirées, mes week-ends, mes vacances pour 32 heures payées », résume-t-elle.

Deux mois de travail sur l’année

« Les tâches administratives me rajoutent environ deux mois de travail sur l’année. Je suis responsable de la certification en langue de mon établissement. J’organise cinq sessions de Toeic par an entre octobre et mars, aussi bien pour les étudiants de l’école que pour les extérieurs », illustre Sarah Davey, agrégée d’anglais à Sigma Clermont-Ferrand.

Des revendications soutenues par la communauté

Depuis décembre, une trentaine d’établissements publics - universités ou IUT - ont voté des motions de soutien aux revendications du Collectif 384 qui a aussi été reçu par le bureau de France Universités dernièrement.

À fonction et tâche équivalentes, la rémunération doit être identique

L'Association des directeurs d’IUT (Adiut) a également voté le 9 décembre son appui aux actions du collectif. « L’Adiut entend soutenir la revendication du Collectif 384. Cette intégration [des enseignants du supérieur au Ripec] n’a d’autre ambition que de faire reconnaître qu’à fonction et tâche équivalentes, la rémunération doit être identique. Cette équité contribuera de surcroît à préserver l’attractivité de l’université pour des enseignants désireux d’y être affecté », indique l’association.

Si les professeurs certifiés et agrégés en poste dans le supérieur mettent en avant leur non-opposition et leur bonne entente avec leurs collègues enseignants-chercheurs, tous les syndicats de l’ESR ne sont pourtant pas favorables à l’accès des enseignants du supérieur au Ripec, un dispostif contingenté

« Certains syndicats demandent ainsi la réévaluation de la Prime d’enseignement supérieur (Pes) au niveau de la composante C1 du Ripec. Mais nous ne souhaitons pas rester dans l’ancien système des enseignants-chercheurs, nous demandons le Ripec (ou un équivalent) avec C1, C2 et C3 », insiste Nicolas Domergue.

Plusieurs actions collectives lancées 

Après avoir alerté par un courrier le ministère de l’enseignement supérieur, la présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale et plusieurs parlementaires, le Collectif 384 a appelé les enseignants du supérieur à l'arrêt immédiat des tâches administratives non rémunérées.

C’est le cas notamment de la gestion des candidatures Parcoursup, de la préparation des emplois du temps et de la rentrée universitaire prochaine, du suivi des stagiaires ou des alternants, de l’organisation de jury de recrutement…

Trois enseignants-chercheurs se répartissent mes précédentes missions

« J’ai pris les devants l’an dernier en arrêtant d’être directrice des études après quatre ans à assurer cette fonction. Trois enseignants-chercheurs se répartissent mes précédentes missions, car aucune personne n’a voulu reprendre seule toutes ces tâches administratives », témoigne Céline Courvoisier.

L’agrégée de physique a souhaité ainsi revenir aux seules missions inscrites dans son statut. Mais l’arrêt des tâches administratives est loin d’être une décision évidente pour les enseignants du supérieur. 

« C’est un sujet épineux pour de nombreux collègues qui ont accepté beaucoup de charges pour trop peu d’argent. Pour certains, c’est une question financière de continuer, pour d’autres une question morale, car ils savent que personne ne va reprendre leurs charges administratives », résume Sarah Davey.

Faut-il craindre une dégradation des services pour les étudiants à la rentrée prochaine ? Possible tant les missions assurées pour les agrégés et les certifiés du secondaire sont nombreuses. « Les étudiants ne font pas la différence entre un maître de conférences, un professeur des universités ou un Prag. Si un enseignant spécialisé sur une discipline réduit ses heures supplémentaires, alors une spécialité d’un département peut disparaître », pense l’enseignante d’anglais à Sigma Clermont-Ferrand.

Une opération sur les réseaux sociaux avec un hashtag

Pour rendre visibles ces actions, le Collectif 384 a également lancé ce 28 mars le hashtag #enseptembrejedémissionne sur Twitter. Une manière pour les enseignants du supérieur de déclarer publiquement l’abandon à la rentrée 2023 des tâches collectives qui s’ajoutent aux 384 heures d’enseignement, s’ils n’obtiennent pas un équivalent du Ripec dans le cadre de la procédure de revoyure de la LPR.

Vers un changement de statut ?

D’après une enquête interne, 79 % des sondés pensent que le Collectif 384 devrait demander la création d’un nouveau statut pour les enseignants du secondaire leur permettant d’intégrer au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. 

« Nous aimerions une réflexion plus globale sur notre statut et les avancements de carrière. Mais notre priorité actuelle reste le Ripec, cela serait le plus rapide à mettre en oeuvre », précise Nicolas Domergue.