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Rémunérations et carrières : le protocole signé à Matignon en huit questions

Par Théo Haberbusch | Le | Personnels et statuts

C’est à Matignon que la signature a eu lieu, pour marquer l’engagement de l’Etat à améliorer les carrières des personnels du supérieur et de la recherche. Négocié par le cabinet de Frédérique Vidal depuis cet été, le protocole sur les rémunérations et carrières est majoritairement soutenu par les syndicats. Sa mise en oeuvre démarrera à partir de 2021 et va modifier les primes et les déroulements de carrières de tous les personnels : enseignants-chercheurs, chercheurs, et de soutien.

Le protocole rémunérations et carrières va être mis en oeuvre sur sept ans. ©CPU-Univ de Lorraine - © CPU - Université de Lorraine
Le protocole rémunérations et carrières va être mis en oeuvre sur sept ans. ©CPU-Univ de Lorraine - © CPU - Université de Lorraine

Campus Matin vous en a déjà parlé, la loi de programmation pour la recherche (LPR) comprend de nombreuses mesures liées aux carrières. Si les chaires de professeur junior ou les CDI de mission scientifique ont concentré l’attention (et les critiques) le gros des moyens va à une hausse des rémunérations, au travers d’une progression de l’indemnitaire (les primes). 

1. Qu’est-ce que le protocole « rémunérations et carrières » ?

Le protocole, une contrepartie dans les négociations sur la LPR

Le principe de négocier ce protocole a été obtenu par le Sgen-CFDT, lors du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) du 18 juin 2020. Une séance d'âpres discussions sur le projet de LPR qui a débuté en journée et s’est terminée le lendemain  au petit matin.

Historique par sa durée, le moment l’a aussi été par son résultat, puisque l’instance consultative a approuvé le texte de Frédérique Vidal.

Un vote positif (32 voix pour, 26 contre et trois abstentions) qui a notamment été obtenu grâce au Sgen-CFDT - le syndicat ayant « panaché » ses voix entre rejet, abstention et approbation- ainsi qu’aux voix du SNPTES, de l’Unsa…et à l’absence de la CGT et du Snesup qui avaient quitté la salle.

En contrepartie, le Sgen-CFDT a obtenu l’accord du ministère d'ouvrir une discussion sur les rémunérations et le déroulement des carrières.

2. Comment a été négocié le protocole et par qui ?

 Signature du protocole d’accord « rémunérations et carrières », le 12 octobre. - © D.R.
Signature du protocole d’accord « rémunérations et carrières », le 12 octobre. - © D.R.

En parallèle du travail parlementaire, les syndicats disposés à négocier - Sgen CFDT, Unsa Sup’recherche et SNPTES, mais aussi le SNCS-FSU - vont ferrailler avec le ministère. Celui-ci dévoile ses propositions fin août en espérant une signature rapide, dès le 8 septembre.  

La part des primes individuelle fait débat

Mais les négociations achoppent et les syndicats menacent de ne pas valider l’accord, ce qui conduit à en repousser l’échéance. La part de la répartition de la hausse des primes entre leur composante « socle » (liée au grade et donc garantie) et la variable individuelle fait en particulier débat. Tout comme la question des personnels ITRF et les branches d’activité professionnelle concernées par le « repyramidage » prévu.

C’est finalement à la troisième mouture présentée par le ministère que les choses se décoincent et que le « deal » peut-être symboliquement signé à l’Hôtel Matignon, en présence du Premier ministre, le 12 octobre. 

3. Qui approuve le protocole ?

Le texte a déjà été signé par le SNPTES, le Sgen-CFDT et l’Unsa. La signature par d’autres organisations est encore possible jusqu’au 19 octobre. Mais d’ores et déjà, l’accord dispose de la majorité, calculée en fonction des sièges détenus au comité technique ministériel (le CTMesri). 

La FSU n’a pas encore affiché sa position, mais elle apparait divisée, avec son syndicat des chercheurs, le SNCS est prêt à taper dans la main du ministère, et le Snesup, qui représente les enseignants-chercheurs, vent debout contre l’accord. 

Cet accord est également signé par des représentants de différents employeurs, à commencer par la Conférence des présidents d’université (CPU). Le CNRS, l’Inserm, Inrae, Inria, les principaux organismes de recherche français, ont aussi apposé leur griffe au texte.

4. Quels moyens sont alloués ?

Ce protocole d’accord est financé par la LPR (loi de programmation de la recherche), en cours de discussion au Parlement, où c’est au tour du Sénat de se saisir du texte.  

Ainsi, 644 M€ sont prévus pour aligner les primes des chercheurs et enseignants-chercheurs sur les corps comparables de la fonction publique.

Pour atteindre cette somme, des « marches » annuelles de 92 M€ sont prévues pendant sept ans.

Contexte. Pour les opposants à l’accord, comme la CGT, ces sommes viennent à peine compenser le gel du point d’indice des fonctionnaires, qui n’a pas été réévalué depuis dix ans.

5. Quelles sont les principales mesures concernant les primes ?

Pour les enseignants-chercheurs

La part du budget dédié aux primes liées au grade passera de 57,5 M€ à 293,6 M€ en 2027. Cette augmentation de 236,1 M€ permettra de faire passer l’actuelle Prime de recherche et d’enseignement supérieur (Pres) de 1260 € à 6 400 € en 2027.

La part individuelle, fixée initialement à 30 %, a été abaissée à 20 % dans l’accord final, ce qui la fera passer de 56,9 M€ à 93,2 M€.

Enfin, la part relative aux fonctions passera de 34,7 M€ à 79,2 M€.

À noter. La prime d’enseignement supérieur (PES), versée aux professeurs de l’enseignement scolaire affectés dans le supérieur (Esas), sera maintenue et revalorisée de façon uniforme pendant sept ans pour un montant global de 25,5 M€.

Pour les chercheurs

La part liée au grade augmentera de 17,7 M€ à 104 M€ en 2027. Cette augmentation de 86,3 M€ permettra de passer l’actuelle prime de recherche (PR) de 990 € à 6 400 € en 2027.

La part relative aux fonctions passera de 11,3 M€ à 28 M€. Une augmentation de 16,7 M€ qui permettra d’élargir les bénéficiaires de l’actuelle Indemnité spécifique pour fonctions d’intérêt collectif (Isfic) de valoriser des missions ponctuelles d’une durée moyenne d’un an confiées à des chercheurs.

La part individuelle passera de 13,6 M€ à 33 M€, soit + 19,4 M€ pour rattraper le niveau moyen d’attribution des PEDR avec les enseignants-chercheurs.

Pour les personnels support et soutien

S’agissant des Biatss, l’enveloppe de valorisation de l’expertise et de la technicité passera de 12 à 18 M€ :

  • 6M€ pour les personnels ITA (Ingénieurs, techniciens et personnels administratifs),
  • 12 M€ pour les personnels ITRF.

6. Quelles sont les principales mesures concernant les carrières et les promotions ?

Davantage de professeurs d’université

Le volume de promotions ouvertes aux maîtres de conférences vise 2000 intégrations supplémentaires dans le corps des professeurs d’université (contre 1 400 dans la première version du protocole).

Objectif global inscrit : constituer un corps de professeurs représentant au moins 40 % du nombre d’enseignants-chercheurs (ils sont 31 % aujourd’hui).

L’augmentation des effectifs des professeurs d’université viendra tout d’abord de la possibilité ouverte à des maîtres de conférences expérimentés de bénéficier d’une voie de recrutement réservée pour accéder au corps des professeurs d’université.

Précision. Cette voie de recrutement sera réservée aux maîtres de conférences hors classe et aux maîtres de conférences de classe normale, ayant plus de dix ans d’ancienneté. 

Accélération du passage des chargés de recherche à la hors classe

L’accès de chargés de recherche de classe normale (CRCN) à la hors classe (CRCH) opérée par les organismes de recherche sera accélérée, par la création de 500 possibilités supplémentaires.

L’enjeu est que, dans sept ans, la part des CRHC dans le corps des chargés de recherche représente une proportion comparable à celle des maitres de conférences hors classe dans le corps des MCF.

Pour les directeurs de recherche, une fois modifiées les règles statutaires d’accès à la classe exceptionnelle afin de les aligner sur celles des professeurs d’université, sur la durée de la programmation, l’accès à la classe exceptionnelle sera augmenté de 300 promotions supplémentaires en DRCE2 et de 450 promotions supplémentaires en DRCE1.

En détail. La grille indiciaire des chargés de recherche sera prolongée à la hors échelle B, par l’instauration d’un échelon exceptionnel contingenté à 10 % des effectifs du corps à l’instar de ce qui existe pour les maîtres de conférences.

ITRF : le périmètre du repyramidage élargi

Pour les ITRF, le périmètre du repyramidage a été élargi au-delà des quatre premières branches d’activités professionnelles (BAP) scientifiques de manière à ce que toutes les compétences puissent venir contribuer au renforcement des laboratoires.

L’accord prévoit ainsi de requalifier des emplois dans toutes les BAP qui concourent au développement de la recherche ou des emplois des BAP A, B, C et D dans des fonctions d’appui à l’enseignement :

  • 2500 emplois de catégorie C en catégorie B,
  • 1450 emplois de catégorie B en assistant-ingénieurs (niveau ASI),
  • 600 emplois d’ASI en ingénieur d’études (IGE),
  • 100 emplois d’IGE en ingénieurs de recherche.

À savoir. Ce repyramidage prendra la forme de voies d’accès réservées, organisées sur la durée de la programmation. Les demandes des établissements seront examinées chaque année lors du dialogue stratégique de gestion. Sur proposition du président ou de la présidente de l’université, le recteur ou la rectrice de région académique définit les affectations prévues.

7. L’accord peut-il être remis en cause ? 

L’accord n’a pas de portée juridique, mais politiquement il engage fortement l’État. Il s’inscrit dans le cadre fixé par les accords de Bercy de 2008 sur le dialogue social dans la fonction publique. Et s’accompagne d’un engagement matériel de l’État, ainsi que d’un comité de suivi .

Alors que la programmation budgétaire de la LPR sur dix ans est quasi unanimement jugée hasardeuse et hypothétique, les moyens dédiés aux carrières sont probablement bien plus tangibles et pérennes. 

8. Comment sera-t-il mis en oeuvre et suivi ?

L’accord renvoie de nombreux points au travail d’un comité de suivi composé des syndicats signataires du protocole. Il sera chargé de contribuer à l’élaboration des textes d’application, ce qui va lui donner un véritable rôle politique. 

Parmi ses missions, figure le fait de s’assurer que le protocole contribue également à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

En outre, des groupes de travail spécifiques pourront être créés, au sein du comité de suivi, pour contribuer à l’avancée des chantiers prévus par le protocole d’accord.

Analyse. La participation à ce comité de suivi étant conditionnée à la signature de l’accord, les syndicats ont tout intérêt à être de la partie pour ne pas voir la mise en oeuvre du protocole leur échapper. Cela peut expliquer les dissensions au sein de la FSU, où le SNCS soutient l’accord et pourrait ainsi participer à la suite des opérations.