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Quand les universités misent sur l’apprentissage pour recruter des personnels

Par Isabelle Cormaty | Le | Personnels et statuts

À l’instar des entreprises, les établissements de l’enseignement supérieur s’ouvrent eux aussi à l’apprentissage et intègrent de plus en plus d’alternants dans leurs services. Objectifs : attirer des jeunes vers la fonction publique et faire du prérecrutement. Voire pallier les pénuries de personnels sur certains métiers en tension.

323 300 étudiants étaient inscrits en apprentissage à la rentrée 2020. - © Mimi Thian (Unsplash)
323 300 étudiants étaient inscrits en apprentissage à la rentrée 2020. - © Mimi Thian (Unsplash)

Près de 323 300 étudiants étaient inscrits en apprentissage dans l’enseignement supérieur français à la rentrée 2020, d’après le ministère. Des effectifs en hausse de 80 % en deux ans. Parmi ces apprentis, une poignée travaillent dans des établissements du supérieur, au sein des différents services ou composantes.

Nouveau mode de recrutement des personnels, l’apprentissage se développe dans les écoles et universités. Le phénomène est particulièrement marqué depuis la rentrée 2022, comme en témoignent quatre établissements du supérieur.

Une montée en charge de l’apprentissage dans l’ESR

« Nous accueillons des apprentis depuis 2018 et menons tous les ans une campagne de recrutement. En 2022, nous avons procédé à un recensement des besoins dans les services », rapporte Céline Hermant, la directrice des ressources humaines (DRH) de l’Université de Lille. L’établissement a autorisé 18 recrutements en apprentissage cette année alors qu’il ne comptait que quatre apprentis en 2018 et huit en 2021.

Une montée en charge également observée à l'Université de Poitiers. « Nous considérons que l’apprentissage fait partie de nos missions. Depuis trois ans, nous avons accentué notre politique d’apprentissage et centralisé les demandes de recrutement au niveau de la DRH. Nous avons recruté 14 apprentis à la rentrée, deux fois plus qu’en 2020-2021 », détaille Nicolas Boistay, le directeur des ressources humaines et de la relation sociale de l’établissement comptant 3000 personnels.

De la communication pour présenter les offres d’apprentissage

Sylvain Di Giorgio est DRH de l’Université Côte d’Azur depuis le 1er avril 2020. - © D.R.
Sylvain Di Giorgio est DRH de l’Université Côte d’Azur depuis le 1er avril 2020. - © D.R.

L’Université Côte d’Azur est allée encore plus loin en participant au Salon de l’apprentissage en mars 2022. Habituée de l’événement depuis plusieurs années pour présenter ses formations en apprentissage, l’établissement public expérimental a également tenu un stand, côté employeur…

« Nous n’avons pas senti un grand engouement des étudiants sur le salon, reconnait Sylvain Di Giorgio, le DRH de l’université. Par la suite, nous avons organisé un job dating et une journée de présentation, des opportunités professionnelles après un apprentissage à l’Université Côte d’Azur. »

Une stratégie payante. Depuis la rentrée 2022, l’établissement compte une vingtaine d’apprentis, contre cinq en moyenne les années précédentes. « L’apprentissage n’était pas du tout développé auparavant. Nous avons mis le paquet cette année ! Nous avons mené une importante campagne de communication et beaucoup travaillé sur l’attractivité pour faire de bons recrutements », poursuit-il.

Attirer des jeunes vers la fonction publique

Pour les établissements du supérieur, le recours à l’apprentissage est une manière de faire connaître aux jeunes les différentes missions de la fonction publique, parfois méconnue ou souffrant d’une mauvaise image. « Il y a un fort turnover de nos personnels dans les services. Mais les étudiants n’ont pas toujours conscience des opportunités professionnelles dans le secteur public. L’apprentissage leur permet de découvrir nos activités très variées », illustre Céline Hermant

Dans les directions des ressources humaines, le recrutement d’apprentis répond à plusieurs objectifs : pallier les pénuries de personnels dans les services en tension ou faire du prérecrutement.

Recruter sur des postes en tension…

L’Université de Lille comptait quatre apprentis en 2018, et a autorisé 18 recrutements en apprentissage en 2022. - © Université de Lille
L’Université de Lille comptait quatre apprentis en 2018, et a autorisé 18 recrutements en apprentissage en 2022. - © Université de Lille

À l'Université de Lille, « les recrutements se font sur des postes vacants. Nous n’avons pas de vivier dans la communication, sur certains métiers en tension ou très techniques. L’apprentissage est un bon moyen d’aller chercher de la main-d’œuvre à la source. Nous étudions les demandes de recrutement avec soin pour pouvoir embaucher les apprentis à l’issue de leur contrat », confie Céline Hermant. 

La plupart des établissements investissent ainsi dans la formation des étudiants en espérant les conserver par la suite dans leurs effectifs. « Si l’apprentissage se passe bien et qu’un jeune souhaite rester à l’Université de Poitiers, nous pouvons le recruter comme contractuel. Charge à lui ensuite de passer les concours de la fonction publique », souligne Nicolas Boistay.

… et aboutir sur des recrutements pérennes

« Nous n’avons pas fléché les postes en apprentissage sur les secteurs en tension, mais sur les métiers où l’apprentissage a un intérêt pour nous. Nous nous sommes rapprochés des responsables de formation de l’établissement pour qu’ils nous recommandent des étudiants », explique Sylvain Di Giorgio.

« Les apprentis recrutés les années précédentes répondaient à des besoins ponctuels. Mais nous n’avions pas les moyens de les conserver à la fin de leur contrat. Cette année, nous avons planifié nos besoins en ressources humaines et défini un certain nombre de profils pour aboutir sur des recrutements pérennes », ajoute le DRH de l’Université Côte d’Azur.

Même objectif à CentraleSupélec qui compte cinq apprentis dans ses services, pour 450 personnels. « Nous privilégions le prérecrutement, plutôt que de considérer les apprentis comme une variable d’ajustement », insiste Christine Lagrais, DRH de l’école d’ingénieurs depuis novembre 2021.

Avoir du temps pour suivre les apprentis

Loin d’être une solution miracle, le recrutement d’un apprenti demande de la disponibilité. Lors de la campagne de recensement des besoins, les directions des ressources humaines font donc attention à la motivation des chefs de service souhaitant accueillir un étudiant.

« Quand je reçois une demande de recrutement, je suis très vigilante à la capacité du maître d’apprentissage à accompagner l’apprenti sur la durée. Il faut qu’il soit motivé et doit jouer pleinement son rôle pédagogique », souligne Christine Lagrais à CentraleSupélec

Nicolas Boistay est DGS adjoint de l’Université de Poitiers. - © Université de Poitiers
Nicolas Boistay est DGS adjoint de l’Université de Poitiers. - © Université de Poitiers

L’Université de Poitiers incite les services qui peinent à recruter comme l’informatique à se tourner vers l’apprentissage, tout en prenant des précautions. 

« Sur certains postes en tension, nous souhaitons pérenniser les apprentis. Mais ils ne sont pas là pour pallier les pénuries et nous ne remplaçons pas un équivalent temps plein par un apprenti. Nous mettons également en garde les services, cela prend du temps de recruter et de suivre un jeune », complète Nicolas Boistay, directeur général des services adjoint en charge des ressources et de l’environnement juridique de l’établissement.

Des facilités pour accéder aux offres d’emploi

En tant qu’apprentis, les étudiants ont accès aux offres d’emploi internes et peuvent profiter, comme d’autres personnels, d’un accompagnement pour poursuivre leur carrière de l’établissement. « Notre direction du développement des compétences met en place un accompagnement pour expliquer aux personnels, contractuels comme apprentis, comment fonctionnent les concours et la titularisation », explique Céline Hermant de l’Université de Lille.

À CentraleSupélec, l’accompagnement durant le contrat d’apprentissage ne fait pas uniquement dans l’optique d’une embauche. « J’aimerais orienter le recrutement en apprentissage vers du prérecrutement ou l’accompagnement professionnel pour un poste en dehors de l’établissement. Ce n’est pas toujours évident d’être embauché après un apprentissage dans la même structure, surtout depuis la généralisation du télétravail, note la DRH de l’établissement. Les jeunes ne veulent pas garder leur image d’apprenti, mais ils peuvent devenir des ambassadeurs de l’école après leur contrat. C’est un enjeu important pour notre marque employeur. »

Des établissements du sup’ en concurrence avec le privé

Si l’apprentissage peut être un moyen d’attirer des jeunes dans la fonction publique, les établissements du sup’ se retrouvent aussi en concurrence avec le privé pour l’embauche de jeunes en formation. Ils sont donc confrontés aux mêmes freins que pour le recrutement des contractuels ou des titulaires… 

Christine Lagrais est DRH de CentraleSupélec depuis novembre 2021. - © D.R.
Christine Lagrais est DRH de CentraleSupélec depuis novembre 2021. - © D.R.

À commencer par la rémunération. Quand les apprentis du public sont payés le minimum légal, certaines entreprises privées peuvent proposer des salaires et des avantages salariaux supérieurs. Ce qui oblige écoles et universités à s’y prendre à l’avance. « La période de recrutement joue beaucoup, si on ne s’y prend pas en mars ou en avril, il est plus compliqué de trouver des profils intéressants », assure Christine Lagrais.

Enfin les établissements doivent également travailler sur leur attractivité, en mettant en avant les opportunités professionnelles à l’issue d’un contrat d’apprentissage. « Nous insistons sur les valeurs de l’université et sur notre politique RH. Nous avons mis en place un suivi de carrière des personnels et une grille salariale intéressante », explique le DRH de l’Université Côte d’Azur qui compte plus de 50 % de contractuels dans ses effectifs.