Temps de travail des agents Biatss : comment remettre les pendules à l’heure ?
Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Personnels et statuts
Inférieur de 9 % aux obligations légales, le temps de travail moyen des personnels Biatss se base notamment sur des allègements d’emploi du temps jugés fantaisistes. Plus de trois ans après un référé de la Cour des comptes indiquant qu’aucun établissement du sup’ ne respectait la loi, le statu quo semble encore de mise sur ce sujet sensible. Quelques universités ont tout de même renégocié le temps de travail de leurs agents.
« Aucun établissement d’enseignement supérieur contrôlé par la Cour ne respecte la durée annuelle du temps de travail des personnels Biatss, fixée à 1 607 heures », dénonçait la juridiction dans un référé du 19 septembre 2019. Un rappel à l’ordre à l’attention de la ministre de l’enseignement supérieur de l’époque, Frédérique Vidal, et de celui chargé de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin.
La moyenne des durées effectives de travail des personnels des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques et sociaux et de santé (Biatss) relevée par la Cour s’établit à 1 462 heures annuelles, « soit 9 % de moins que la durée légale et une durée hebdomadaire moyenne de travail inférieure à 32 heures ». Des infractions repérées dans les universités, mais aussi dans tous les types d’établissements.
Une circulaire de 2002 qui fausse tout
En cause, une circulaire ministérielle du 21 janvier 2002, toujours en vigueur, base d’application de l’accord-cadre du 16 octobre 2001 sur la mise en place des 35 heures dans l’éducation nationale, et qui, selon la Cour, « retient une définition contestable du temps de travail effectif ».
Vingt ans, donc, que cette situation chaotique dure ! Et non seulement elle ne s’est pas arrangée, mais les choses iraient de mal en pis « puisque les contrôles d’établissements issus de fusion d’universités ont révélé, pour la plupart, une harmonisation des régimes sociaux effectuée sur la base la plus favorable, à savoir la durée annuelle de travail la plus faible. »
Absence de contrôle du temps de travail
Et la Cour d’enfoncer le clou, en ajoutant que la durée du temps de travail « ne fait l’objet d’aucun contrôle réel et sérieux par les établissements ». Elle dit aussi avoir relevé, à plusieurs reprises, « l’absence de fondement juridique de certaines mesures ou l’absence de sujétion particulière qui puisse justifier les compensations accordées », tels que récupérations majorées du temps travaillé, jours de congés supplémentaires ou rémunération forfaitaire des heures effectuées.
En conséquence de quoi la juridiction préconise l’abrogation de la circulaire en question, pour se recaler sur le décret du 25 août 2000. Objectif : enfin remettre les pendules à l’heure pour les Biatss.
Un face-à-face souvent tendu entre directions et syndicats
Pour se rendre compte à quel point le sujet est explosif, il n’est qu’à écouter les « sons de cloche » différents émanant, des gouvernances ou des syndicats. Si l’on en croit une source proche de la direction d’une grande université, c’est un secret de polichinelle : certains Biatss ne sont pas surchargés de travail.
« C’est d’abord une affaire d’état d’esprit, estime-t-elle. Il coule de source pour certains que les administratifs se calquent sur la durée des congés des enseignants. Dans cette logique, beaucoup d’établissements ont fait du copié-collé de la circulaire de 2002, en gonflant artificiellement le temps de travail pour justifier l’attribution des compensations prévues par la loi sur les 35 h. Par exemple, en rajoutant la demi-heure de pause déjeuner, vous arrivez à 37,5 heures hebdomadaires, mais vous passez quand même à 60 jours de congés, avec une quinzaine de RTT. »
Du côté des représentants des personnels, par contre, on est vent debout. « Les interprétations litigieuses ne posent pas de problème à la Cour des comptes quand elles sont à l’avantage de l’employeur, mais elle les trouve inacceptables dès qu’elles sont à l’avantage des personnels », regrette Christophe Bonnet, ingénieur d’études et secrétaire national du Syndicat général de l’éducation nationale (Sgen-CFDT).
Annualisation du temps de travail : un calcul en trompe-l’œil ?
Alain Halère, secrétaire général du SNPTES-Unsa, dénonce une appréciation hors-sol. Un « mauvais procès » déconnecté des réalités du terrain.
« Sur le papier, les Biatss, comme tous les salariés, sont bien à 1607 h annuelles théoriques, explique-t-il. Certains de ces personnels bénéficient effectivement, comme le prévoit l’accord-cadre de 2001, de compensations sous forme de jours de RTT pour tenir compte de leurs conditions de travail. Lesquelles sont éminemment multiformes et tributaires des problématiques de notre secteur : présence ou non des étudiants du fait des vacances scolaires, astreintes, horaires décalés, sujétions particulières. Il n’y a donc rien d’illégal. »
Le besoin d’une secrétaire pédagogique, par exemple, n’étant pas le même le 10 juillet que le 10 septembre. Toutefois, selon les syndicats, un lissage considérable se fait automatiquement, via l’annualisation.
« Certaines semaines où, de fait, nous travaillons moins de 37 h 30, sont compensées par d’autres qui les dépassent allègrement », avance Alain Halère, également ingénieur d’études à l’Université Clermont Auvergne.
Un temps de travail sous-estimé ?
Il insiste aussi sur le fait que les horaires des Biatss sont souvent alignés sur le temps de travail classique dans les laboratoires de recherche. « Avec notamment l’obligation, pour les collègues qui s’occupent de matériels vivants, en serres, en cultures ou en animaleries, de passer tous les jours », précise-t-il. Bref, aucune place pour les dilettantes.
« On fait le boulot qu’on à faire : si les étudiants sont encore là, on reste, et si des manipulations restent à faire, on les termine », conclut Alain Halère. Il va même plus loin : « En vérité, si on prend le sujet globalement, je pense qu’on est même au-delà des 1 607 h, car les personnels Biatss, contrairement aux enseignants-chercheurs, ne bénéficient pas, sauf exception, de système de décompte et de rémunération des heures complémentaires. D’ailleurs, les rares établissements qui ont mis en place des pointeuses ont été très surpris de voir le temps de travail effectif réalisé ! », affirme-t-il.
Une assertion confirmée par notre source proche de la gouvernance. « Certains Biatss, comme ils l’ont démontré lors de la crise covid, font de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées et ne prennent pas - et de loin- leurs congés », note-t-elle.
Des métiers sous-payés, des personnels épuisés et en tension
Les syndicats préfèrent mettre l’accent sur deux autres versants du quotidien des Biatss. D’abord, des conditions salariales dégradées. « Pour le régime indemnitaire indemnitaire des fonctionnaires de l’État (Rifseep), on est parmi les ministères qui servent le plus mal leurs agents, à missions comparables », pointe Christophe Bonnet.
Ensuite, une organisation du travail plombée par les sous-effectifs, en particulier dans les secteurs les plus administratifs (accueil, scolarité, gestion des UFR…). « À la clé, des charges insoutenables et de nombreuses situations de souffrance au travail », poursuit-il.
Des horaires « allégés » sous pape de sécurité
Là est le nœud de l’affaire : le lest jeté sur le temps de travail des Biatss constitue, de fait, une soupape de sécurité, constitutive d’un équilibre précaire, mais qui satisfait tout le monde. Pour les établissements, fermer les yeux sur ces horaires « allégés » étant la condition sine qua non du maintien de leur force de travail, ainsi que d’une certaine paix sociale.
D’où le statu quo de règle, depuis deux décennies, dans la plupart des établissements. Même silence gêné du côté du ministère de l’enseignement supérieur, désireux de ne pas risquer de rouvrir la boîte de Pandore d’une vraie revalorisation des Biatss, dans la logique dont ont bénéficié les enseignants-chercheurs à travers la Loi de programmation de la recherche (LPR).
Quelques négociations réussies, moyennant contreparties
Alors, que faire ? « La Cour des comptes nous dit que cet équilibre n’est pas acceptable. Nous voulons bien l’entendre, mais dans ce cas il faut de vraies négociations, avec de vraies contreparties, des garde-fous et des garanties, déclare Christophe Bonnet. Il faut parler salaires, compensations financières, conditions de travail et télétravail dans certains cas. Bref, de l’ensemble de la relation de travail. »
Une option choisie seulement par une poignée d’établissements ces dernières années. Les avantages accordés sont variables : mise en place d’un compte-épargne temps, à hauteur de 10 jours de congés en plus pour récupérer les heures supplémentaires à l'Université Toulouse 1 Capitole (dans une délibération prise en mai 2022). Restitution de neuf jours de congés payés, en échange d’un 13e mois pour tous les personnels, à l’Université de Reims Champagne-Ardenne (dans un accord signé le 3 octobre dernier).
Ou encore, depuis 2020-2021, revalorisation salariale globale de 17 à 35 % selon les corps, avec une prime pour les catégories B et C, les plus minorées, à l’Université Paul Sabatier-Toulouse 3. Des compensations complétées par le passage au télétravail de plus de la moitié des personnels au 1er septembre. Autant de dispositifs finalement gagnant-gagnant. « À la clé, un bilan très positif pour les personnels, mais aussi pour l’université », se félicite François Martin, professeur en géosciences et vice-président RH de l’établissement.
« Nous avons retrouvé non seulement un climat social apaisé, mais aussi un nouvel équilibre en matière de gestion des ressources humaines. Grâce au gain d’attractivité réalisé sur ces métiers, dès cet été, nous avons enregistré plus de candidats sur nos métiers en tension, et pour la première fois depuis une dizaine d’années, les embauches seront largement supérieures aux départs en retraite », souligne-t-il.
Un dossier au coeur des préoccupations sociétales
De l’autre côté, certains établissements tentent de passer au forceps et sont englués dans des négociations tunnel. Mais le silence radio persiste encore dans la majeure partie des établissements du sup'. Peut-être plus pour longtemps…
Pour Frédéric Després, directeur général des services (DGS) de l’Insa Lyon et vice-président de l’association des DGS, ces années de statu quo sont en effet en passe d’être balayées par le contexte social et énergétique actuel. Selon lui, plusieurs éléments poussent dans le sens de probables réouvertures du dossier, à l’Insa comme ailleurs.
Primo, le nouveau rapport au travail de la période post-covid, avec notamment l’aspiration à un meilleur équilibre vie professionnelle-vie personnelle. Secundo, la généralisation du télétravail. Tertio, les nouveaux impératifs énergétiques, qui poussent à réduire le temps de présence des personnels dans les établissements, voire à accroître les périodes de fermeture. Enfin, la nécessité d’accroître l’attractivité de ces postes, pour mieux recruter et garder les compétences.
« C’est une question qu’il va falloir qu’on regarde non plus, comme précédemment, de manière strictement comptable du rapport temps de travail-rémunération, mais avec une vision bien plus globale, celle de la qualité de vie au travail, relève-t-il. En tous cas, chez nous et sans doute dans beaucoup d’établissements, cela va être un élément du dialogue social dans les prochains mois ou années. Peut-être qu’on ne touchera à rien in fine, mais c’est le moment ou jamais de remettre les choses sur la table. »
Concepts clés et définitions : #Biatss ou bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé