Gestionnaire de scolarité : une fonction clé… mais fantôme !
Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Personnels et statuts
Ils sont souvent le premier contact que les étudiants ont avec l’université. Pivots essentiels de tous cursus, les gestionnaires de scolarité ont connu, ces dix dernières années, une véritable révolution, avec la complexification croissante de leurs tâches. Le tout, sans réévaluation de ces personnels, toujours cantonnés, pour la plupart, à une fonction de catégorie C. La faute, notamment, à un no man’s land administratif : le métier n’existe pas en tant que tel dans les grilles !
Sans eux, l’université n’aurait ni étudiants, ni cours, ni examens. « Nous prenons en charge l’accueil des étudiants, les inscriptions pédagogiques, l’organisation des plannings d’enseignement et des sessions d’écrits et d’oraux, ainsi que la saisie des notes et l’édition des résultats », expose Anaïs Crescence, 27 ans, gestionnaire de scolarité des premières années de licence de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Le tout, dans un contexte de croissance continue des effectifs étudiants, de technicité grandissante liée à la dématérialisation des tâches et de judiciarisation galopante des procédures.
La catégorie C, toujours la référence
Ces techniciens de haut vol relèvent-ils d’un poste de cadre A ? Que nenni : dans l’immense majorité des cas, les gestionnaires de scolarité sont encore recrutés dans la catégorie C, relevant de la simple exécution et dont le salaire à l’embauche ne dépasse guère le Smic.
Quant au recrutement, il s’effectue sous les intitulés génériques soit d’« Adjoint administratif éducation » (AdjaENS), soit d’« Adjoint technique de recherche et de formation » (ATRF). Émeline Le Bars, aujourd’hui responsable scolarité des premières années de master à l’Université Paris 1, a été lauréate de ce concours en 2017 :
« Le champ des débouchés est très large : la réussite ouvre des postes dans l’éducation nationale et dans le supérieur, mais aussi dans les mairies et d’autres ministères », précise-t-elle.
Un intitulé de poste inconnu au bataillon
Bizarrerie unique, semble-t-il, dans l’univers administratif : la fonction de gestionnaire de la scolarité ne figure pas, dans Referens, le référentiel des emplois types des personnels techniques du supérieur.
Une base pourtant revue à plusieurs reprises ces 30 dernières années et alors que la scolarité est la première mission de l’université. La raison ? Une vieille querelle de chapelle syndicale, comme l’explique le Syndicat national des personnels titulaires et contractuels de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la culture (SNPTES).
« Certains syndicats, traditionnellement défenseurs de la fonction administrative, s’opposent de longue date à ce que le métier soit répertorié dans les rangs des ITRF (Ingénieurs techniques, de recherche et de formation), caractérisée par le recrutement sur fiches de poste, explique Alain Halère, secrétaire général du SNPTES. Cela, de crainte que ce profil “métiers” ne freine l’évolution de carrière et la mobilité de ces personnels. Mais aussi, d’un point de vue plus “politique ‘, pour freiner l’hémorragie des postes administratifs vers la filière ITRF, au détriment de leur influence. »
Complexification croissante des tâches
S’il leur permet des débouchés plus larges, le maintien dans cette fonction administrative transversale bloque aussi la reconnaissance des gestionnaires de scolarité. En particulier dans un contexte d’évolution accélérée de la fonction ces dix dernières années.
‘La scolarité a longtemps été un métier d’exécution, caractérisé par des tâches administratives très répétitives et essentiellement manuelles, note Jean-Paul de la Rica, directeur des études et de la scolarité à l’Université de Strasbourg. Mais aujourd’hui le métier n’a plus rien à voir avec cette image, car il s’est complexifié de tous les points de vue.’
De nouveaux logiciels à prendre en main
Sur le plan technique tout d’abord, les gestionnaires de scolarité ont délaissé papier et stylos au profit des logiciels de type Apogée. Ils ont aussi dû se familiariser avec les arcanes de Parcoursup.
‘On va désormais leur demander d’intervenir en soutien de l’équipe pédagogique sur la modélisation numérique de l’offre de formation, détaille Valérie Gibert, directrice générale des services de l’université strasbourgeoise. Ce qui implique non seulement de maîtriser sur le bout des doigts ces outils complexes, mais aussi d’être multicompétences’.
Approche par compétences, stages, insertion professionnelle, périodes de césure, gestion des étudiants à besoins spécifiques (porteurs de handicap, internationaux…) : rien ne doit être étranger aux gestionnaires de ‘sco’.
Effectifs étudiants en hausse
Gérer et anticiper les contentieux
Second challenge des ‘gestionnaires de scolarité 2.0’ : la forte hausse des contentieux, due à la possibilité récente, pour les étudiants, de remettre en question les décisions des commissions pédagogiques.
‘De zéro il y a quelques années, les contentieux liés aux études et à la scolarité se comptent aujourd’hui par centaines’, précise Pierre Molard, responsable administratif au sein de l’École de droit de la Sorbonne.
Là encore, les gestionnaires de scolarité sont en première ligne. On requiert de leur part de prévenir les risques juridiques liés aux admissions comme aux examens et d’être capables de jongler avec une réglementation de plus en plus touffue.
‘À leur niveau, ils doivent pouvoir se livrer à des alertes, par exemple que tel jury ne s’est pas déroulé conformément à la réglementation’, ajoute Valérie Gibert. Enfin, ils sont de plus souvent amenés à travailler en réseau (étudiants, collègues, enseignants, autres composantes…).
Hausse des candidatures à traiter
Ces dimensions supplémentaires sont encore alourdies par la hausse continue des effectifs étudiants. ‘En moyenne, chez nous, un gestionnaire de scolarité a 150 étudiants à gérer, contre 100 auparavant’, illustre Pierre Molard.
Une charge confirmée par Émeline Le Bars : ‘Avec l’instauration de la sélection en M1, mon service est passé, depuis mon arrivée en 2017, de 5 000 candidatures à gérer à 15 000’, pointe-t-elle.
Des difficultés de recrutement
Autant d’évolutions qui vont de pair avec des exigences croissantes sur les fiches de postes publiées par les universités.
‘On recherche aujourd’hui des profils dotés d’une certaine compétence juridique, précise Pierre Molard. Le tout assorti de qualités personnelles : réelles capacités d’analyse et de mise en œuvre, pragmatisme et bon sens, empathie et écoute.’
Le recours aux contractuels
Difficile de trouver ce mouton à cinq pattes par la simple voie du concours, de moins en moins attractive. D’où un recours croissant aux contractuels, en sus des traditionnels vacataires étudiants. Ces personnels constituent aujourd’hui environ la moitié des effectifs. Avec un niveau moyen d’études largement désormais largement au-dessus du bac, qui pousse à la montée en catégorie.
‘J’ai passé un simple entretien au mois de juillet avec les responsables administratifs et commencé à travailler à la rentrée de septembre 2020, sur un poste de catégorie C, d’adjoint technique en gestion administrative'’, témoigne Anaïs Crescence, titulaire d’un M1 en sociologie.
Un fort turn-over
Conséquence de ce décalage croissant entre des profils de plus en plus ‘capés’ et le niveau de qualification officiel, toujours bloqué sur la catégorie C : un turn-over important. Et pas seulement du côté des contractuels. Les agents lorgnent en effet sur la voie de la promotion interne.
‘J’ai passé une licence en sciences de l’éducation pour présenter prochainement des concours de catégorie A et pouvoir évoluer encore’, témoigne Émeline Le Bars, depuis deux ans passée responsable de scolarité. Une fonction de niveau B… mais toujours comptabilisée au C !
‘L’évolution de poste se fait en fonction du besoin du service, sur proposition à l’agent, pointe Pierre Molard. Il serait heureux que cela fasse l’objet d’un concours interne systématique, mais l’écart est large entre les besoins des UFR et le nombre de postes ouverts au concours à l’échelle nationale.’
Deux clés : formation et réorganisation
Pour mettre au niveau et fidéliser leurs troupes en leur apportant des perspectives de progression, les universités sont contraintes à deux choix. Primo, revoir leur organisation interne.
‘On ne peut plus se permettre d’avoir une pyramide déséquilibrée en faveur de personnels de catégorie C, alors qu’aujourd’hui les métiers de la scolarité sont tout, sauf de l’exécution’, estime Valérie Gibert.
Secundo, de leur proposer des plans de formation adaptés et réguliers. ‘En prévision de l’installation de Pégase, nous avons mis en place une démarche projet sur trois ans, assortie d’une réflexion organisationnelle en profondeur sur ces métiers’, témoigne-t-elle.
Une fonction qui va encore évoluer à l’avenir
Des dispositifs d’autant plus essentiels que dans les années à venir, la fonction devrait continuer son évolution vers une ingénierie toujours plus forte. ‘Cette capacité à s’adapter aux nouvelles contraintes de la scolarité et à avoir un pyramidage des catégories qui tienne compte davantage de la réalité des missions est un point de vigilance majeure’, estime Jean-Pierre de la Rica.
En attendant, la dématérialisation des procédures, corrélée à la pandémie, a d’ores et déjà permis à nombre de gestionnaires de scolarité de travailler en partie de leur domicile. Un point souvent très apprécié.