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Les « petites mains » du supérieur au bord de l’explosion

Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Personnels et statuts

Ingénieurs pédagogiques, chargés des relations internationales ou encore techniciens en fabrication mécanique : plusieurs métiers dits « support » dans les universités ont vu, ces dernières années, leur charge augmenter et leurs missions grimper en complexité, sans que leur visibilité ni leur reconnaissance statutaire et salariale ne suivent. Zoom sur ces professions piliers de l’ESR, trop souvent dans l’ombre.

Les personnels ITRF sont recrutés et rémunérés à des niveaux inférieurs à leurs missions réelles.  - © D.R.
Les personnels ITRF sont recrutés et rémunérés à des niveaux inférieurs à leurs missions réelles. - © D.R.

Il y a encore une dizaine d’années, leurs journées se déroulaient plutôt tranquillement, réglées comme du papier à musique sur une série de tâches simples, parfaitement calibrées, telles que listées sur leurs fiches de poste. Mais ça, c’était avant.

Aujourd’hui, le quotidien de plusieurs catégories de personnels relevant des IRTF (ingénieurs et personnels techniques de recherche et de formation) sur la cartographie Referens des métiers du supérieur, n’a plus grand-chose à voir avec ce rythme « administratif ». Flambée des effectifs et donc de la charge de travail, complexification des missions… Sans que les conditions statutaires bougent d’un iota. D’où des services au bord de l’explosion, faute de bras, et en dépit du recours massif à des contractuels.

La filière ITRF, parent pauvre de l’université

Valérie Gibert, directrice générale des services à l’Université de Strasbourg - © Seb Lascoux - News Tank
Valérie Gibert, directrice générale des services à l’Université de Strasbourg - © Seb Lascoux - News Tank

Pour illustrer cette situation Campus Matin a recueilli des témoignages de trois types de fonctions, parmi les plus touchées par ces bouleversements. À noter cependant que des tensions similaires se font jour dans de nombreux autres départements.

« Sur quasiment toute la filière IRTF, les personnels sont recrutés et rémunérés à des niveaux bien inférieurs aux missions qu’ils exercent en réalité, dénonce Cédric Clerc, secrétaire national du Syndicat national des personnels titulaires et contractuels de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la culture (SNPTES) chargé des CAP et des ITRF. Il faut dire qu’on recrute encore, dans certains établissements, au premier grade de la fonction publique, à savoir sur des fiches de poste ne nécessitant pas de qualification particulière. Ce qui est, aujourd’hui, totalement inapproprié. »

Un constat confirmé par Valérie Gibert, directrice générale des services à l’Université de Strasbourg (Unistra) :

« Toutes les universités sont confrontées à la gestion de leur masse salariale et, de ce fait, amenées à recruter des gens aux compétences plus importantes qu’avant, mais sans les financements pour », note-t-elle.

Relations internationales : les mobilités hybrides en plein boom

Rachel Blessig est directrice des relations internationales à l’Unistra - © Unistra
Rachel Blessig est directrice des relations internationales à l’Unistra - © Unistra

Premier poste dont les réalités sont en pleine mutation : celui des techniciens en relations internationales (RI). « Ces dernières années, nous avons vécu une révolution dans notre manière de travailler  », témoigne Rachel Blessig, directrice des relations internationales (RI) à l’Unistra.

Facteur numéro un de bouleversements : la crise sanitaire. « Au printemps 2020, j’ai été mobilisée, 7 jours sur 7, sur la localisation de tous nos étudiants à l’étranger pour rendre compte de leurs situations à la Conférence des présidents d’université  », se souvient Angélique Daniel, chargée de mobilité à la direction des RI de l’Unistra depuis septembre 2018. À plus long cours, la Covid a obligé les universités à réorganiser l’accueil sous de nouvelles modalités, notamment hybrides.

« Nous devons nous adapter en permanence à la montée en charge des pratiques numériques des étudiants, avec l’impératif de nous montrer réactifs et agiles », pointe Angélique. Chargée de toute la zone hors Europe, la jeune femme a un agenda plein à craquer. « J’instruis les dossiers de mobilité, tant sortants qu’entrants, témoigne-t-elle. Sans oublier la participation, tout au long de l’année, à des conférences et journées d’étude. » Le tout, corrélé à l’explosion du nombre d’étudiants à gérer, avec la montée en puissance du programme Erasmus : 716 départs en mobilité en 2014-2015 contre plus de 1 020 aujourd’hui.

Une montée en compétences dans le cadre de « Bienvenue en France »

 Dans les universités, les équipes ont souvent aussi dû monter en compétences dans leurs pratiques avec la stratégie ministérielle « Bienvenue en France », visant à développer l’attractivité de l’ESR hexagonal. « Ce qui implique un travail sur l’accueil des étudiants étrangers, en amont et sur leur intégration », évoque Angélique. Une charge de travail accrue, mais toujours sous statut précaire : depuis trois ans, comme la majorité des personnes de son service, la jeune femme enchaîne les CDD. Sous contrat de catégorie B, alors que certains de ses collègues sont titulaires d’un poste de catégorie A. 

La jeune femme vient toutefois de réussir le concours d’ingénieur d’études chargé de la coopération internationale. Elle laissera donc prochainement une place vacante. À charge, pour Rachel Blessing, de la remplacer…

Ingénieurs pédagogiques : les « moutons à cinq pattes »

Une problématique qu’Aurélie Dupré, cheffe du service conseil et accompagnement à la pédagogie à la direction innovation pédagogique à l’Université de Lille, connaît bien. « Mon service a fait l’expérience une croissance forte (deux conseillers pédagogiques en 2015, 12 aujourd’hui), témoigne-t-elle. Malgré cela, je dois faire face à un turnover incessant et épuisant, avec cinq départs en fin d’année dernière. Deux postes sont encore non pourvus. En raison de la précarité des statuts et des salaires faibles, les conseillers partent pour des postes en écoles privées ou en formation professionnelle, où ils sont recrutés au double !  »

Martin Trillot est conseiller pédagogique à l’Université de Lille depuis 2018 - © D.R.
Martin Trillot est conseiller pédagogique à l’Université de Lille depuis 2018 - © D.R.

Les premières générations d’ingénieurs pédagogiques, à la fin des années 1990, avaient des missions purement techniques. Il s’agissait d’assurer l’interface entre équipes pédagogiques et développeurs pour la conception des dispositifs de formation, de créer des contenus multimédias, de former et de conduire des actions de sensibilisation pour promouvoir les Tice, d’administrer les plateformes… 

À partir de 2016, les responsabilités des ingénieurs pédagogiques ont commencé à évoluer dans un sens plus réflexif :

« On est passés à des missions d‘analyse des besoins, de formation des enseignants-chercheurs (anciens et nouveaux), de soutien à leur démarche en matière d’innovation (classes inversées, apprentissage par problèmes…) », précise Martin Trillot, conseiller pédagogique à l’Université de Lille depuis 2018.

« Depuis ces dix dernières années, nos missions ont encore grimpé en complexité, avec la multiplication des expérimentations, corrélées avec une politique nationale d’appels à projets. Nous sommes aussi beaucoup mobilisés sur l’accompagnement des enseignants dans le passage à l’approche par compétences. S’y ’ajoute, depuis 2020, l’explosion des formules d’enseignement hybrides. Certains de mes collègues participent aussi à la recherche sur la pédagogie universitaire en sciences de l’éducation. En bref, la fonction n’a plus rien à voir avec la simple gestion de dossiers et de procédures ! », poursuit-il.

Une complexification qui est allée de pair avec une nette montée en compétences. « Alors que les premiers candidats avaient souvent des profils de formateurs ou d’enseignants, formés “sur le tas“ aux technologies numériques, on recrute aujourd’hui quasi exclusivement des sortants de masters dédiés, voire des docteurs  », pointe Sophie Guichard, directrice de la Fabrique du numérique au Cnam et présidente de l’Anstia (Association Nationale des Services Tice et Audiovisuels de l’enseignement supérieur et de la recherche).

Des profils difficiles à retenir

Sophie Guichard est président de l’association métiers, l’Anstia - © D.R.
Sophie Guichard est président de l’association métiers, l’Anstia - © D.R.

Pourtant, les recrutements de titulaires ne suivent pas. « En 2008-2016, 150 postes étaient ouverts par an dans l’ESR, contre moins de 10 aujourd’hui », précise-t-elle. D’où l’importance des effectifs contractuels dans le secteur : 49,8 % selon la cartographie des métiers de l’Anstia.

Retenir ces profils est d’autant plus ardu qu’aucun poste d’ingénieur de recherche, seule évolution de carrière possible pour ces personnels, n’est proposé au niveau national depuis deux ans. « En bref, on cherche des moutons à cinq pattes : de vrais experts du numérique et de la pédagogie, que l’on paie très mal - entre 1 630 et 2 000 € net en moyenne - et à qui l’on ne propose que des contrats très courts  : de 1 à 5 ans au maximum, sur la période de financement de l’appel à projets », résume Sophie Guichard.

Ces choix hasardeux entraînent parfois des inégalités au sein des services, plutôt au profit des contractuels.

« Il m’est arrivé de gérer deux personnes, sur la même équipe, avec un gap salarial de 300 euros entre ces derniers et les titulaires. De même, les contractuels planchent plus souvent sur des missions innovantes et attractives que les titulaires, cantonnés à gérer les tâches de routine  », note-t-elle.

Techniciens : un périmètre d’action de plus en plus large

Ce bond dans l’évolution des exigences, les métiers techniques du supérieur en ont aussi fait l’expérience. « Cela concerne, de manière globale, l’ensemble des métiers de la fabrication, passés de l’exécution en électrotechnique à un véritable travail de précision sur machines numériques, évoque Cédric Clerc, du SNPTES. Certains, aujourd’hui, font clairement du travail d’ingénieurs. Le tout, sans évolution dans les grilles, notamment en matière de rémunération. À la clé, de grosses tensions sur le recrutement. »

Une évolution dont Julien Lopez, technicien en fabrication mécanique au laboratoire interdisciplinaire Carnot à l’Université de Bourgogne, est en première ligne pour témoigner. Julien occupe son poste depuis 5 ans, après avoir passé le concours externe (de catégorie B). « Une place qui ne trouvait pas preneur depuis trois ans, faute de candidats suffisamment qualifiés », précise-t-il.

Un rôle essentiel

Julien Lopez travaille à l’Université de Bourgogne. - © D.R.
Julien Lopez travaille à l’Université de Bourgogne. - © D.R.

Le jeune homme travaille dans un atelier de prototypage pour des laboratoires de recherche, privés comme publics. « On conçoit des modèles numériques en trois dimensions 100 % clés en main, ciselées, de l’ordre du centième de millimètre, en fonction des problématiques du chercheur », précise-t-il.

Un rôle essentiel à la bonne marche des composantes. Avec une réactivité unique. « « Nous pouvons remettre une pièce en quelques minutes, contre plusieurs jours à plusieurs semaines si la pièce devait faire un aller-retour chez le fournisseur  », pointe-t-il. Au fil des années, son champ d’intervention et de responsabilité s’est élargi.

« Outre les travaux techniques stricto sensu, nous devons gérer les appels d’offres publiés par l’université pour les équipements à venir, les achats, les consultations commerciales, les commandes en cours (consommables, approvisionnement machines…), témoigne-t-il. Nous couvrons aussi les salons professionnels et les rendez-vous commerciaux. Le tout, à deux techniciens au lieu de sept à mon arrivée ! »

Julien prépare actuellement un BTS pour présenter un concours de catégorie A, en vue de s’assurer un diplôme en concordance avec ses compétences et pouvoir, le cas échéant, revenir dans le privé, sa première affectation. Encore un beau casse-tête en perspective pour l’université.

Pour aller plus loin

À paraître en février 2022 : L’ingénieur pédagogique dans le supérieur - Des pratiques professionnelles en mutation, ouvrage collectif dirigé par Chrysta Pélissier et Stephen Lédé, Presses des Mines.