Quelle politique salariale pour les métiers du numérique dans les établissements ?
Par Isabelle Cormaty | Le | Personnels et statuts
L’État a mis à jour son référentiel de rémunération des 55 métiers de la filière numérique début janvier. Des fourchettes de salaire bien supérieures à ceux appliqués dans les établissements du supérieur confrontés aux difficultés de recrutement dans les DSI. Dès lors, quelles sont les pistes du ministère et des associations professionnelles pour renforcer l’attractivité de ces métiers ?
Pour renforcer l’attractivité des métiers du numérique dans la fonction publique, la direction interministérielle du numérique (Dinum) a mis à jour le 10 janvier son référentiel de rémunération des 55 métiers de la filière numérique.
« Basé sur l’analyse des rémunérations pratiquées dans le secteur privé, le référentiel a pour objectif de faciliter les recrutements, limiter le turn-over, harmoniser les rémunérations entre les ministères, tout en veillant à l’équilibre de rémunération avec les agents fonctionnaires exerçant dans ces métiers », écrit la Première ministre d’alors, Élisabeth Borne, dans une circulaire datée du 3 janvier.
Concrètement, le référentiel recommande la primo-CDIsation pour les métiers les plus en tension, et fixe des seuils de salaires, selon quatre niveaux d’expérience, en dessous desquels le contrôle budgétaire de l’employeur n’est pas requis.
Un référentiel de rémunération non appliqué dans l’ESR
Que change la mise à jour de ce référentiel pour les établissements du supérieur ? Rien d’après les interlocuteurs sollicités par Campus Matin. « Les niveaux de salaire dans les établissements sont bien en dessous du référentiel, quel que soit le métier. Nous voyons cela comme un horizon à atteindre », résume Pierre Saulue, le directeur du développement du numérique de l’Université d’Angers et vice-président du Comité des services informatiques de l’enseignement supérieur et la recherche (Csiesr).
« Les fourchettes de rémunération de la Dinum sont assez élevées, cela ne serait pas tenable pour les établissements du point de vue budgétaire », complète Olivier Wong-Hee-Kam, vice-président numérique de l’Université de Rennes.
Le président de l’association des VP numérique (VP-Num), Pierre Boulet, voit tout de même un avantage à ce référentiel. « Cela nous permet de discuter avec les services RH sur les budgets. Les universités sont des établissements autonomes et décident de leur politique salariale en fonction des équilibres internes. Un grand nombre de recrutements dans les DSI échouent lors de la négociation salariale », explique celui qui est également VP de l’Université de Lille.
Aligner la rémunération des titulaires et des contractuels
« Les grilles proposées par le référentiel sont compliquées à appliquer, car les titulaires des DSI seraient moins bien payés que les contractuels. Certains adhérents ont l’impression que l’objectif n’est plus de mettre en avant les concours d’entrée dans la fonction publique », souligne la présidente du Csiesr, Emmanuelle Vivier.
Philippe Lahire, le vice-président numérique de l’Université de Côte d’Azur, illustre : « Sur certaines fonctions, les établissements peuvent faire ponctuellement des efforts sur la rémunération. Les contractuels se retrouvent alors à travailler avec des titulaires en poste depuis longtemps, qui font bien leur travail, mais qui sont moins bien payés. Il y a une bonne intention derrière ce référentiel de rémunération, mais il faut aussi prendre en compte l’aspect humain. »
Pierre Boulet appelle également à « agir sur la politique indemnitaire des titulaires, surtout dans les métiers en tension. Nous avons du mal à changer les primes des titulaires par exemple, donc le fossé se creuse avec les contractuels », constate le président de VP-Num.
La « contractualisation » de la fonction publique dénoncée
Dans un communiqué du 16 janvier, le SNPTES regrette que « la réinternalisation des compétences du numérique de l’État, hormis le fait que les ministères devraient en principe faire moins appel à des cabinets externes (mais rien ne les en empêche), n’est pas celle que l’on aurait pu espérer, c’est-à-dire la création de postes de fonctionnaires titulaires pour ces missions du numérique. »
« Le SNPTES y voit en filigrane un recours massif aux contractuels, et un grave retour en arrière vers une époque où tous les personnels des filières techniques étaient des personnels contractuels », ajoute le syndicat, qui insiste lui aussi sur l’équilibre entre la rémunération des titulaires et des contractuels.
Un chantier sur les RH à l’échelle ministérielle
Dès lors, quelles sont les marges de manœuvre des établissements pour renforcer l’attractivité des métiers du numérique dans les établissements du supérieur ? À l’été 2023, l’association des directeurs des systèmes d’information (ADSI) annonçait à Campus Matin l’élaboration d’un vadémécum avec Sup’DRH.
« L’idée est de recenser toutes les pistes qui nous permettraient d’améliorer l’attractivité des métiers du numérique, sans se centrer exclusivement sur la question de la rémunération, mais en abordant aussi le marketing des offres par exemple », détaillait Frédéric Pomies, alors président de l’association.
Un plan de formation pour les informaticiens
Le ministère de l’enseignement et de la recherche travaille aussi sur le sujet dans le cadre de sa stratégie numérique. En 2023, la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip), la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) et France Universités ont lancé le Comité numérique pour la réussite étudiante et l’agilité des établissements (Coreale).
Après concertation avec les différentes associations professionnelles, ce comité s’est accordé en octobre 2023 sur une feuille de route 2023-2027 , dont l’un des cinq objectifs est de « faciliter l’activité professionnelle de toutes les catégories de personnels ».
Il prévoit notamment l’élaboration d’un plan de formation national pour renforcer les compétences des informaticiens en lien avec l’évolution du numérique. Une mesure coordonnée par le Csiesr.
« Sans tenir des comptes des fourchettes de salaire du référentiel de la Dinum, nous voulons analyser les nouveaux métiers qui ressortent de cette grille et qui ne sont pas présents dans Referens. Il y a des métiers émergents comme data steward (NDLR : coordinateur des données), pour lesquels nous pourrions proposer des parcours de formation à nos agents », précise Emmanuelle Vivier.
Les autres mesures de la feuille de route du Coreale
Parmi les autres mesures de sa feuille de route, le Comité numérique pour la réussite étudiante et l’agilité des établissements souhaite :
- Mettre en place un catalogue national des formations mutualisées entre établissements d’ESR et opérateurs numériques nationaux pour tous les personnels et les enseignants de l’ESR tenant compte d’une cartographie de l’évolution des métiers de l’ESR ;
- Élargir l’utilisation de PIX+ afin de permettre aux enseignants-chercheurs et personnels de l’ESR d’évaluer leurs compétences numériques et déterminer un niveau PIX+ à atteindre dans tous les recrutements ;
- Participer à un état des lieux avec la DGRH de la situation dans les établissements (concours infructueux, nombre de candidats aux concours, taux de mobilités, procédures de recrutement sans candidat…) et proposer, avec tous les acteurs concernés, des solutions pour remédier aux difficultés identifiées.