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Recrutement des enseignants-chercheurs : la concertation arrive à son terme

Par Isabelle Cormaty | Le | Personnels et statuts

Le rapport sur l’évolution des règles de la qualification pour le recrutement des enseignants-chercheurs ne va plus tarder. Attendu pour la fin mars, il doit préciser l’une des mesures les plus controversées de la loi de programmation pour la recherche (LPR) et plus largement évoquer l’avenir du Conseil national des universités (CNU).

Campus Matin vous résume les épisodes précédant la concertation en cours et les enjeux sous-jacents de ces négociations.

Les conclusions des trois rapporteurs sont attendues à la fin du mois de mars 2021. - © D.R.
Les conclusions des trois rapporteurs sont attendues à la fin du mois de mars 2021. - © D.R.

Une concertation confiée à trois rapporteurs

C’est fin mars que les trois rapporteurs missionnés par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal doivent remettre leurs conclusions moins de deux mois après le lancement de la concertation sur le recrutement des enseignants-chercheurs.

L’application de l’article 5 de la LPR

Cette concertation s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 5 de la Loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 (LPR). L’article, introduit en toute fin de discussion par le Sénat, mais avec l’accord du gouvernement, supprime la qualification par le CNU des maitres de conférences souhaitant devenir professeurs et crée une procédure dérogatoire expérimentale pour le recrutement des maîtres de conférences sans qualification.

Ces dispositifs très controversés et clivants au sein de la communauté universitaire ne cessent depuis d’agiter les débats. Certains opposants à cette modification des règles mettent en avant le risque de localisme, les établissements privilégieraient selon eux les candidatures de docteurs locaux.

Une réflexion large sur le recrutement des enseignants-chercheurs

Les trois rapporteurs doivent finir leurs auditions cette semaine. Plus de 80 personnes ont pour l’instant été entendues par Fabienne Blaise, rectrice déléguée Esri du Grand Est, Patrick Gilli, ancien président de l’Université Montpellier 3 et Pierre Desbiolles, inspecteur général de l’éducation du sport et de la recherche.

Plus de 513 contributions ont été reçues sur la plateforme destinée à recueillir l’avis de tous les professionnels du secteur. Les participants ont jusqu’au 20 mars 2021 pour partager leurs idées sur les thèmes suivants : 

  • la reconnaissance du doctorat et valeur de l’habilitation à diriger des recherches ;
  • le rôle et le fonctionnement des comités de sélection ;
  • le rôle et le fonctionnement du Conseil national des universités ;
  • les conditions de l’expérimentation d’une qualification locale ;
  • l’évolution des voies d’accès au corps des professeurs d’université.

Que prévoit l’accord entre le ministère et les sections CNU du groupe 1 ?

Les particularités des sections de droit et science politique

L’hostilité affichée des juristes sur cette réforme a conduit le ministère à mener des négociations spécifiques avec les sections du groupe 1 (droit privé et sciences criminelles, droit public, histoire du droit et des institutions, science politique) en amont de la concertation avec l’ensemble des sections du CNU.

Cette concertation sectorielle se justifie par les particularités des sections du groupe 1. En effet, ces quatre sections sont des disciplines dites agrégatives : elles proposent comme voie parallèle à la qualification par le CNU, l’obtention de l’agrégation de l’enseignement supérieur pour devenir professeur des universités.

Autre spécificité de ces disciplines, l’obtention d’une HDR et de la qualification du CNU existe depuis 2014 seulement. Une nouvelle voie récente donc, « qui n’a pas encore totalement trouvé sa place dans le paysage universitaire », reconnait le ministère.

En outre, ces sections disposent de faibles taux de qualification au CNU, en faisant un pré-recrutement qui enlève des prérogatives aux établissements : moins de 30 % de qualifiés pour les PR en 2019 quand la moyenne des autres sections s’élève à 69,9 %.

Une procédure de recrutement où interviendra toujours le CNU

L’accord paraphé entre le groupe 1 et le ministère le 18 février dernier prévoit la création d’une procédure expérimentale de trois ans pour le recrutement des professeurs d’université. Il introduit «  un principe d’avis exprimé a posteriori par la section compétente du CNU sur le choix de l’établissement procédant à un recrutement ».

En clair,  la commission chargée du recrutement de l’université sélectionnera les candidats à recruter. Puis, la section du CNU concernée émettra un avis qui sera transmis à l’établissement. Son conseil d’administration validera ensuite le recrutement. En cas d’avis divergent, le recrutement n’aura pas lieu.

Cette expérience de trois ans « doit permettre aux établissements et aux sections du CNU de converger sur les critères fondant un recrutement de qualité au sein de l’enseignement supérieur », espère le ministère.

Les sciences de gestion pas concernées par l’accord

Les sciences de gestion qui appartiennent au groupe 2 du CNU ne sont pas régis par un accord spécifique, comme le regrette la présidente de la section 06 Aude Deville dans un entretien accordé à News Tank.

« En tant que discipline contingentée à agrégation, nous sommes soumis aux mêmes règles que le groupe 1 pour les recrutements des maîtres de conférences, il est inexplicable que nous ne le soyons pas pour le recrutement des professeurs », s’insurge-t-elle.

Éric Lamarque, président d’IAE France et ancien président de la section 06 abonde dans ce sens et critique le manque de concertation sur le sujet. « Malheureusement une audition du président du groupe 2 (économie et gestion) avec celui du groupe 1 a été organisée avec les trois rapporteurs, sans que nous en ayons été informés par l’intéressé », relate-t-il.

Des sections aux fonctionnements très variés

Au-delà des concertations en cours sur les règles de qualification au CNU, le débat né de la LPR a en réalité remis en lumière la grande diversité des pratiques entre les sections, loin de se limiter aux seules spécificités des disciplines relevant du droit et de la science politique. News Tank a réalisé une analyse détaillée du fonctionnement de quatre sections, dont voici les grandes lignes.

Première différence : l’usage de la qualification

D’une section à l’autre, l’usage de la qualification diffère. Elle est envisagée dans une stratégie de prérecrutement en droit public par exemple, quand d’autres la dissocient des comités de sélection des universités et la considèrent comme la simple définition d’une aptitude à exercer les fonctions d’enseignant-chercheur.

Deuxième différence : les critères de qualification

Les trois principaux critères communs à la plupart des sections pour la qualification comme MCF ou PR sont :

  • l’aptitude à enseigner une discipline (heures de cours dans l’enseignement supérieur…) ;
  • la qualité des travaux de recherche (thèse ou HDR, publications scientifiques, participation à des colloques…) ;
  • l’implication dans les responsabilités collectives (responsabilités administratives, pédagogiques dans un établissement du supérieur ou organisme de recherche, organisation de colloque).

Toutefois, ces critères sont donnés à titre indicatif, pondérés en fonction du profil du candidat (jeune docteur ou enseignant expérimenté) et souples : une faiblesse sur un critère peut parfois se compenser sur d’autres critères.

Par exemple, la section 35 (structure et évolution de la terre et des autres planètes) peut qualifier des chercheurs n’ayant pas publié un nombre suffisant de travaux dans des revues classées s’ils disposent par ailleurs de brevets d‘invention internationaux. 

Troisième différence : les taux de qualification

Le nombre de candidats par section et par an, le périmètre des sections du CNU parfois large ainsi que l’existence d’une agrégation du supérieur influent de fait sur les taux de qualification au CNU. L’alignement d’une discipline sur les standards scientifiques internationaux, comme c’est le cas en mathématiques notamment, modifie également son taux de qualification.

Par exemple, le taux moyen de qualification des maîtres de conférences en 2019 s’élève à 39,9 % dans les sections relevant du droit, de l’économie et de la gestion, 58,2 % en lettres et sciences humaines, 70,8 % en pharmacie et 72,6 % en sciences.

Diversité des pratiques au sein des sections, ils témoignent

« La qualification n’est pas une étape du recrutement. On définit une aptitude. Le recrutement se fait après, au niveau local », affirme Michel Riaudel, président de la section 14.

« Pour un dossier de qualification de MCF, on insiste sur l’équilibre, mais lorsque la soutenance de thèse est récente, on n’aura pas les mêmes attendus scientifiques — en matière de nombre d’heures enseignées ou d’articles publiés. On pondère par rapport au profil du candidat », détaille quand à elle Ingrid Volery présidente de la section 19.

La maîtresse de conférences à l’ENS de Lyon et spécialiste du CNU, Emmanuelle Picard considère elle que les critères de qualification « sont peu formalisés : ils sont énoncés de façon très généraliste dans les documents de présentation des procédures, et il est difficile d’interpréter les différences d’appréciations disciplinaires que cachent ces énoncés standards. »