« Reprendre mon bâton de pèlerin pour initier une métaversité » : l’interview de Thierry Koscielniak
Par Marine Dessaux | Le | Personnels et statuts
Il puise de la science-fiction des concepts innovants pour la formation, souhaiterait pouvoir interroger une IA pour remédier à l’infobésité, rêve de se téléporter… Le directeur national du numérique du Cnam et expert des edtechs open source, Thierry Koscielniak, se prête à l’exercice du questionnaire d’été de Campus Matin.
Le directeur national du numérique au Conservatoire national des Arts et Métiers (Cnam), Thierry Koscielniak se livre à l’occasion de notre interview décalée !
Une personnalité inspirante pour vous ?
Thierry Koscielniak : J’ai intégré l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) depuis 20 ans et j’ai rencontré de nombreuses personnalités remarquables. Des personnes avec lesquelles un échange vous donne l’impression d’en sortir plus intelligent.
Parmi toutes ces rencontres, j’ai eu la chance de travailler avec le professeur Yves Epelboin dès ma première année à l’Université Pierre et Marie Curie-Paris 6 (aujourd’hui Sorbonne Université). Je le considère comme mon mentor et ma source d’inspiration dans bien des domaines des technologies pour l’éducation.
Pionnier en calculs scientifiques dans le domaine de la cristallographie puis dans la pédagogie numérique, il est toujours inspirant de parler avec lui des dernières innovations. Il a été un des fondateurs du Comité des services informatiques de l’enseignement supérieur et de la recherche (Csiesr) qui regroupe tous les personnels des métiers du numérique dans l’ESR. Je suis fier de continuer son œuvre en ayant présidé cette association et d’être toujours actif au sein de son conseil d’administration. Merci Yves !
Si vous étiez un établissement ou une organisation, vous seriez ?
De façon narcissique je choisis deux organisations que j’ai contribué à fonder.
- ED4Free créée par Thierry Coilhac. Une association de loi 1901 qui développe des produits éducatifs pour l’Afrique. Je suis admiratif des prouesses accomplies par mes collègues : un serveur Moodle dans un ordinateur gros comme une boîte d’allumettes ou dans un smartphone !
- France Immersive Learning (FIL) créée par Nicolas Dupain. Cette association fédère toute la filière française des technologies immersives (XR). À la fois un lieu de rencontres et une source de réflexions pour les décideurs institutionnels. Avec FIL, mes projets actuels au Cnam ont été accélérés dans leur mise en œuvre. Déjà plus de deux années de réalisations sur les jumeaux numériques de Jenii.
Si vous étiez une technologie ?
Sans hésiter, la téléportation. Aller instantanément d’un bout à l’autre de la Terre, voire de l’univers. À force d’utiliser ce mode de déplacement en réalité virtuelle, j’en viens à regretter de ne pouvoir me téléporter au quotidien. Malheureusement, les lois physiques actuelles nous indiquent que nous ne pouvons pas prototyper cette technologie à l’échelle d’un être humain.
L’innovation digitale de l’année ?
L’IA générative est sans conteste l’innovation qui disrupte en 2023 tous les métiers et particulièrement celui de l’enseignement. L’enjeu pour nous tous est de comprendre sa puissance et aussi ses limites pour un usage dans le monde académique.
Je rêve de pouvoir utiliser comme corpus l’infobésité qui est mon quotidien : pouvoir interroger une IA dont la base serait constituée par tous mes messages courriel, mes historiques de navigation, mes données d’applications mobiles, tous mes fichiers et toutes mes photos. La difficulté sera de positionner le curseur entre le professionnel et le personnel…
C’est une chance que le bad buzz sur le métaverse ait été remplacé par une tonne d’informations sur l’IA générative. Je peux sereinement reprendre mon bâton de pèlerin pour initier ou trouver un métaverse open source dédié à la formation. C’est le concept de « métaversité ».
Un mot, une expression que vous ne voulez plus entendre ?
Il est bien utopiste de ne plus vouloir entendre les mots guerre ou famine. Mais j’espère toujours que l’accès à l’éducation, pour toutes et tous et partout, permette d’éviter les situations les pires. Diffuser grâce au numérique les moyens d’enseigner et apprendre à distance fait partie de mon quotidien et j’ai l’impression avec mes collègues d’œuvrer dans le bon sens.
La phrase que vous vous répétez devant votre miroir ?
Je ne me répète pas de phrase fétiche le matin. En choisir une m’est impossible.
Une lecture, un visionnage ou une écoute à conseiller ?
C’est la science-fiction qui est ma référence et qui m’aide au quotidien à chercher des concepts innovants. Comme lecture je recommande The shockwave rider de John Brunner (« Sur l’onde de choc » en français) ; écrit en 1975. Il y est déjà décrit un monde connecté qui est hacké par le héros. J’ai toujours été frappé comme l’auteur a décrit précisément une imprimante laser alors que le premier modèle est sorti l’année suivante. John Brunner devait avoir une connaissance au centre de recherche Xerox Palo Alto !
Comme visionnage c’est Ready player One de Steven Spielberg : une vision bien pessimiste de l’utilisation de la réalité virtuelle à grande échelle. C’est justement l’avenir qu’il nous faut absolument éviter en travaillant aujourd’hui à des usages éducatifs qui sont très peu présents dans ce film.
Écouter toute la discographie de Claude Nougaro est une belle occupation pour finir l’été.
Le parcours de Thierry Koscielniak
Docteur en chimie et modélisation moléculaire de Sorbonne Université (1991), Thierry Koscielniak travaille à la Cité des sciences comme chef de projet éducation et médiation scientifique de 1995 à 1998. Auprès de l’Institut universitaire de formation des maîtres (aujourd’hui Inspé) de Paris, il est formateur Tice jusqu’en 2003.
Il rejoint par la suite Sorbonne Université en tant que chargé de mission « assistance à maîtrise d’ouvrage des technologies de l’information » (AMOA IT) avant de devenir, en 2007, responsable du service espace numérique de travail (ENT).
Thierry Koscielniak est directeur Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (Tice) de l’Université Descartes-Paris 5 (aujourd’hui Université Paris Cité) entre 2010 et 2016 puis chargé de mission technologies pour l’éducation jusqu’en 2017. Il rejoint ensuite le Cnam en tant que directeur national du numérique adjoint avant d’être promu, en septembre 2018, directeur national du numérique.
En parallèle de ses fonctions, il s’investit auprès de l’association métier Csier dont il a été président (2018-2019) et où il est toujours membre du conseil d’administration. Il est également actif auprès de deux associations « sœur » du Csiesr : Educause (en tant que co-fondateur de la délégation française à la conférence annuelle) et Eunis, dont il est membre du board et a été président du comité d’organisation du congrès.
Il a également été vice-président du Forum français des acteurs de la formation digitale (FFFOD) et est membre du Conseil national de la réalité augmentée (CNXR).