Numérique

Comment développer le marché edtech de l’ESR ? Les pistes de cinq associations dans un livre blanc

Par Isabelle Cormaty | Le | Edtechs

Formation des enseignants au numérique, gouvernance, fléchage des financements publics, procédure d’appels d’offre ou encore visibilité de la filière… L’Afinef, EducAzur, Numeum, EdTech France et EdTech Grand Ouest dressent dans un livre blanc l’état des lieux du secteur français des edtechs et présentent leurs douze propositions pour accélérer son développement.

Cinq associations edtechs présentent leurs 12 pistes pour faire décoller la filière. - © Canva
Cinq associations edtechs présentent leurs 12 pistes pour faire décoller la filière. - © Canva

Après la publication en décembre des 15 propositions de l’Association française des industriels du numérique de l’éducation et de la formation (Afinef) pour une filière du numérique éducatif français « innovante, robuste et compétitive », quatre autre associations du secteur se joignent maintenant à elle pour pour « faire décoller la filière » edtech.

EdTech France, EdTech Grand Ouest, EducAzur, Numeum et Afinef ont travaillé durant un an et demi sur le sujet. Leur livre blanc intitulé « Les technologies au service de l’éducation : une chance pour la France » a été publié le 29 février.

Dans un secteur fédéré par une dizaine d’associations locales et nationales, la démarche est inédite. « Ce livre blanc est une première, il est la preuve d’une ambition et d’une volonté de travailler ensemble. Il est nécessaire d’amplifier la vitalité de ce collectif », commente Gérard Giraudon, président d’EducAzur et directeur de recherche à l’Inria.

Des propositions pour prioriser et fluidifier les investissements

L’Afinef, EdTech France, EducAzur, EdTech Grand Ouest et Numeum ont publié ce livre blanc le 29 février. - © D.R.
L’Afinef, EdTech France, EducAzur, EdTech Grand Ouest et Numeum ont publié ce livre blanc le 29 février. - © D.R.

Sur les douze propositions issues du livre blanc, plusieurs concernent les investissements publics. Les associations demandent notamment à l’État de soutenir les edtechs par la commande publique et prioriser les financements sur l’intelligence artificielle via les partenariats d’innovation en intelligence artificielle (P2IA).

« Il est essentiel d’augmenter la part dédiée aux edtechs dans les Programmes d’investissement d’avenir (PIA) et pour France 2030 afin d’accompagner la montée en puissance des innovations développées par les entreprises de la edtech. Au-delà des intérêts de la filière edtech, il en va de l’intérêt de la France, qui doit développer les compétences d’avenir (numérique, transition écologique, énergie…) pour accélérer sa modernisation », indique le livre blanc.

L’Afinef, EdTech France, EducAzur, EdTech Grand Ouest et Numeum suggèrent aussi de conditionner les aides à des obligations en matière d’inclusion et de responsabilité numérique. Et de simplifier les procédures d’appels d’offres publics et d’appels à projets.

« Introduire la possibilité pour les collectivités d’acheter des licences, réduire les temps entre la notification et la subvention, de nombreuses pistes sont possibles pour fluidifier les process d’appels d’offres et les rendre plus agiles. »

Des mesures sur la gouvernance et la structuration de la filière

Les associations suggèrent également de : 

  • Créer une bannière visible de l’écosystème edtech pour porter les intérêts de la filière à l’international.

  • Renforcer les moyens des hubs régionaux edtechs. « Ces hubs sont un levier pour développer des outils d’apprentissage performants, initier des partenariats, monter des consortiums, partager en intelligence collective leurs pistes de réflexion et d’innovation, développer l’échange de bonnes pratiques, etc. La dynamique mérite d’être soutenue par les collectivités régionales et territoriales, qui doivent renforcer leur rôle de soutien et de coordination au sein des hubs. »

  • Créer un Haut-Commissariat, sous l’autorité du Premier ministre, chargé de la mise en œuvre des ambitions françaises d’accélération de la formation par le numérique pour « accélérer les prises de décisions et éviter les inerties liées au cloisonnage entre ministères et autres acteurs publics ».

Les freins au développement sur le marché de l’ESR

Comme pour le scolaire, les associations edtechs constatent un manque de formation des enseignants et enseignants-chercheurs du supérieur aux enjeux du numérique. « Les professeurs restent souvent circonspects à l’égard du numérique, dubitatifs quant à ses atouts pour accompagner les apprentissages. Si ChatGPT est venu apporter la preuve qu’on ne peut plus faire sans, le corps professoral est loin d’être convaincu des bénéfices du digital learning », analysent les institutions à l’origine du livre blanc.

Jean-Marc Ogier préside La Rochelle Université depuis avril 2016. - © La Rochelle Université
Jean-Marc Ogier préside La Rochelle Université depuis avril 2016. - © La Rochelle Université

« Un travail de fond reste à faire pour embarquer les enseignants dans le numérique : cela passera par des sessions de formation (initiale et continue) au numérique et, au-delà, à l’ingénierie pédagogique via le numérique. Le numérique ne peut en effet pas rester cantonné aux départements d’innovation pédagogique, tous les professeurs — dans toutes les matières — doivent être formés à minima », avancent-elles.

Une formation coûteuse pour les établissements, dans une période marquée par les contraintes budgétaires. « Les universités manquent de ressources pour former à l’ingénierie numérique, matière par matière. L’ingénierie numérique en droit n’a rien à voir avec l’ingénierie en maths », témoigne dans le livre blanc Jean-Marc Ogier, président de La Rochelle Université.

Un manque de maturité des établissements, surtout dans le public

Anne-Cécile Poilvert, la déléguée générale d’EdTech Grand Ouest souligne aussi « le manque de maturité digitale des universités à mettre en regard avec les écoles privées, où les investissements sont plus importants ». Une situation qui « risque de créer une nouvelle fracture numérique et sociétale » alerte Marie-Christine Levet, la présidente du fonds d’investissement Educapital.

Cette disparité des moyens a des conséquences sur les modalités et les critères d’achats. « Les grandes écoles attendent un retour sur investissement rapide : les solutions doivent être robustes et prouver qu’elles améliorent l’expérience des étudiants et/ou leurs résultats scolaires », précise le livre blanc. 

À l’inverse, « les universités doivent souvent, faute de budget dédié, passer par des appels à projets pour se lancer. Autrement dit, elles ont les moyens de tester et de co-construire des solutions. Il leur est plus difficile d’acquérir des solutions qui ont déjà fait leurs preuves ! »

Anne-Cécile Poilvert est déléguée générale de l’association EdTech Grand Ouest - © D.R.
Anne-Cécile Poilvert est déléguée générale de l’association EdTech Grand Ouest - © D.R.

Le fléchage des financements publics

Par ailleurs, Anne-Cécile Poilvert note que les entreprises edtechs « doivent être interopérables et atteindre une taille critique, là où les petites start-up vont en rester à des POC (NDLR : preuve de concept, en français) ou des projets pilotes »

L’interopérabilité avec Moodle et les solutions proposées par Cocktail et l’Agence de mutualisation des universités et des établissements (Amue) s’apparente donc à un passage quasi obligé pour les sociétés du secteur qui souhaitent travailler avec des établissements du supérieur.

Enfin, le livre blanc pointe le fléchage des financements publics peu orientés vers la edtech. « Hormis pour les appels à projets Démonstrateurs numériques pour l’enseignement supérieur (Demoes), la filière edtech bénéficie peu de la manne financière. »

Un hub commun des données pour l’éducation et l’ESR

Parmi leurs douze propositions, les associations demandent à l’État d’étudier la faisabilité d’un hub commun aux données de l’éducation et de l’ESR. Un projet initialement envisagé pour le scolaire dans le cadre du programme et équipement prioritaires de recherche (PEPR) « enseignement et numérique », mais abandonné par l’éducation nationale en février 2024, comme expliqué par News Tank (abonnés).

Pour l’ESR, un tel projet n’est pas à l’ordre du jour. « L’Inria, le CNRS et Aix-Marseille Université — les trois institutions chargées par l’État de piloter le PEPR “enseignement et numérique” l’ont préconisé. En dépit de ces recommandations, aucune action significative n’est à ce jour mise en œuvre. Ce manque de volontarisme, pour partie lié à l’autonomie des établissements, constitue un vrai frein à la mise en œuvre de projets d’adaptive learning dans l’enseignement supérieur. »