Digital learning, regards croisés sur l’avenir
Par Enora Abry | Le | Edtechs
Comment mettre en place des cursus en distanciel dans les établissements du supérieur ? Comment aller plus loin et imposer l’offre française sur la scène internationale ? Campus Matin, en collaboration avec Global Exam, a réuni des dirigeants d’EMLyon, de Neoma, du Cnam et d’ESCP. Quatre experts qui se penchent sur les tendances actuelles et débattent des perspectives d’avenir.
Après deux ans de crise sanitaire pendant lesquels une bonne partie des cours ont été basculés en distanciel, les grandes écoles se demandent comment tirer le meilleur parti de cette expérience.
Pour en parler, Campus Matin et son partenaire Global Exam, qui propose des cours de langue en ligne, ont réuni à Paris le 6 avril dernier, des représentants d'ESCP, d'EMLyon, de Neoma et du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).
L’expérience étudiante au cœur du digital learning
Première étape pour mettre en place des cursus en distanciel : étudier son audience. « Tout se résume à l’expérience étudiante. Nous analysons les feedbacks des étudiants, des professeurs, du personnel administratif. Nous faisons des tests et puis nous ajustons », lance Annabel-Mauve Bonnefous, doyenne des programmes d’EMLyon.
C’est également le parti pris de Neoma business school qui, avant de déployer son nouveau modèle pédagogique à la rentrée de janvier 2022, fait de présentiel, de distanciel synchrone et asynchrone, a mené une étude sur les deux années passées où les cours étaient majoritairement en distanciel en raison de la pandémie.
« Avec Néopédagogie, nous avons interrogé 140 professeurs et étudiants avec pour but d’identifier ce que nous appelons « les belles histoires ». Tout simplement : savoir ce qui a le mieux marché, pour qui et pour quels apprentissages », raconte Alain Goudey, directeur général adjoint digital.
Ces études et tests révèlent que les modèles en distanciel fonctionnent, mais qu’il faut savoir les utiliser à bon escient, au fil du parcours de l’apprenant.
« Pendant les premières années, l’étudiant apprend les fondamentaux et il s’intègre à une communauté. Ce n’est pas le bon moment pour le distanciel. En revanche, à la fin de son cursus, quand il sera en stage à l’étranger et qu’il voudra prolonger son séjour, ou qu’il souhaitera entreprendre, là le distanciel est un véritable plus », soulève Annabel-Mauve Bonnefous.
Prendre en compte l’âge de l’apprenant
Suivre des cours en distanciel nécessite certaines compétences numériques, qui diffèrent en fonction des populations d’apprenants, spécifiquement en ce qui concerne la formation tout au long de la vie. Thibaut Duchêne, adjoint de l’administrateur général du Cnam et vice-président numérique d’Hésam Université, explique ce défi :
« Au Cnam, notre modèle est basé sur le distanciel ou a minima sur l’hybridation. Pour donner un exemple, au Liban, la moyenne d’âge de nos apprenants est de 32 ans. C’est un public qui, contrairement aux digital natives, n’a pas vécu toute sa vie avec des technologies aussi poussées. Alors, il faut les accompagner pour utiliser les outils numériques. »
Un équilibre à trouver pour garantir la qualité académique
« Il y a un enjeu dans la création de ces cursus : on a envie d’aller vite, mais aussi de garder notre exigence sur la qualité », met en avant Annabel-Mauve Bonnefous. Après plusieurs tests, certaines écoles ont trouvé la recette pour leurs cursus hybrides.
ESCP applique « la stratégie du 20/40 ». Elle consiste à établir un minium de 20 % de cours en ligne et 40 % de cours en présentiel pour chaque discipline. Une fois cette règle fixée, il revient à l’enseignant de choisir le bon dosage.
Une idée que l’on retrouve dans la mise en place de cursus hybrides chez Neoma. « Sur l’ensemble des programmes de nos cursus, nous instaurons 20 % de cours en distanciel, avec du synchrone et de l’asynchrone. Le professeur est le garant de l’expérience d’apprentissage. Avec l’éventail des solutions qui lui sont proposées, il assure l’alignement entre les objectifs pédagogiques, les modalités pédagogiques et la validation des compétences », expose Alain Goudey.
De nouveaux métiers indispensables
La création des contenus et le suivi des étudiants ne reposent pas uniquement sur les épaules des professeurs. D’autres compétences sont nécessaires pour passer de la salle de cours aux applications et ordinateurs.
« Lorsqu’une plateforme est développée à EMLyon, dans l’équipe nous avons bien sûr le professeur, un ingénieur pédagogique, mais aussi ceux que nous appelons des “mentors“ qui sont des experts dans la discipline en question, et enfin un coordinateur pédagogique qui est là pour orchestrer tout ça », énumère Anne-Mauve Bonnefous.
Cet accompagnement est d’autant plus important que le comportement des étudiants a évolué, souligne Alain Goudey. « Quand un nouveau format est créé, les élèves ont des questions, et exigent souvent une réponse dans les plus brefs délais. »
Ces sollicitations s’avèrent parfois être un poids pour le professeur. Mais d’autres collaborateurs peuvent prendre le relais.
« La question qu’il faut se poser c’est : qui pour répondre aux questions des étudiants ? Si nous regardons les études, dans la majorité des cas, un ingénieur pédagogique suffit puisque les questions ne sont pas d’ordre pédagogique, mais technique », poursuit Alain Goudey.
Cependant, embaucher tous ces nouveaux profils coûte cher aux établissements. « Et encore faut-il les trouver ! » fait remarquer Thibaut Duchêne qui déplore le manque d’ingénieurs pédagogiques formés au numérique.
Le distanciel : massification ou personnalisation ?
« Notre but est d’éviter les erreurs commises dans les années 60 et 70, où il y a eu une massification des parcours qui était aussi une anti-individualisation. Aujourd’hui, les outils numériques que nous développons permettent d’adapter les parcours », relance Thibaut Duchêne.
Cependant, ces outils numériques, il faut pouvoir les maîtriser. Charles-Eliott Debourdeau fondateur de Global Exam souligne que son site d’apprentissage des langues permet aux professeurs de disposer de données d’apprentissage, ce qui « leur donne une vision assez large du parcours apprenant et leur permet alors de faire du pilotage. »
Une plus grande inclusivité
Les plateformes en ligne permettent à l’étudiant d’avoir accès au contenu de son établissement, mais également de dépasser les frontières sans quitter sa chaise de bureau, pour assister à des cours d’autres campus de son école ou même aux cours d’autres écoles partenaires. « La mobilité virtuelle apporte bon nombre de possibilités. Je commence mes cours à Paris, puis j’enchaîne à Berlin, à Madrid, à Turin avant de finir en faisant ma soirée virtuelle à Londres », s’enthousiasme Léon Laulusa, directeur général délégué d’ESCP.
Une souplesse impérative dans certains pays, rebondit Thibaut Duchêne. « À Madagascar où nos cours sont également dispensés, il est très difficile pour un étudiant de se déplacer en raison du manque d’infrastructures. Dans certains pays en voie de développement, le numérique est une vraie forme de démocratisation. »
Le métavers, une solution ?
Le terme de métavers se fait de plus en plus entendre et est au centre de l’offre de certaines entreprises edtechs. Cependant, Léon Laulusa ne se dit pas convaincu par cette nouvelle approche de la pédagogie, qui consiste pour l’utilisateur, à se servir d’un avatar dans un monde virtuel.
« Pour nous le métavers n’est pas concluant en termes d’expérience pour l’étudiant. Ce n’est pas encore au point. Par contre, le jour où nous pourrons véritablement nous immerger dans ce monde grâce à des hologrammes, des dispositifs 4D, on pourra s’en servir pour faire évoluer les manières d’apprendre », explique-t-il.
Cependant ESCP prend tout de même l’initiative d’ouvrir un laboratoire sur le métavers afin d’évaluer l’usage qui pourrait en être fait par les entreprises. Si les retombées sont positives, l’école décidera d’en créer un pour ses élèves.
S’imposer sur la scène internationale
Grâce aux plateformes en ligne, les étudiants français peuvent suivre des cours partout dans le monde et inversement, des étudiants étrangers peuvent étudier avec des institutions françaises. Dans ce large marché, les établissements de l’hexagone ne sont pas seuls et font face à la concurrence internationale.
Mais se démarquer peut être difficile, lorsqu’il s’agit de formats en ligne. « Plusieurs questions se posent. Dans notre cas : pourquoi aller à EMLyon et pas ailleurs ? Quelle est la signature de cet établissement ? Et surtout, comment faire en sorte que cette spécificité se ressente en distanciel ? », énumère Annabel-Mauve Bonnefous.
Le poids des Gafam
« Ce qu’il faut comprendre, insiste Alain Goudey, c’est que la compétition est mondiale, mais elle n’est pas dans notre secteur. Les vrais concurrents sont les Gafam qui évoluent dans le domaine de la formation et qui pourraient s’intéresser à l’enseignement supérieur. »
Cette perspective inquiète Léon Laulusa. « Si les Gafam achètent une école, la concurrence sera rude » affirme-t-il. Dès lors, les établissements doivent apprendre au plus vite à se différencier pour appréhender la possible future concurrence. « À ESCP, nous pensons à cela, nous mettons en avant notre ADN, l’expérience que nous prodiguons. Une différence entre nous et les Gafam : nous créons une communauté avec un vrai sentiment d’appartenance. »
Cela ne convainc pas Alain Goudey car selon lui, les données manquent encore aux établissements pour répondre aux besoins de chaque utilisateur. « Nous parlons de l’IA pour de futures méthodes pédagogiques, mais nous n’avons pas assez de données pour faire tourner l’algorithme. Pour avancer dans notre domaine, je ne vois pas ce qui nous empêche de travailler avec les Gafam pour obtenir les données manquantes. »
Cependant, pour Thibaut Duchêne d’autres options existent en dehors des Gafam. « Dans France université numérique (FUN Mooc) il y a des données. Il faut simplement apprendre à les gérer et à les partager dans l’enseignement public, ce qui pose d’ailleurs la question de la gestion de ces données pendant le prochain quinquennat. Il ne faut pas non plus oublier d’autres compétiteurs dans ce domaine, comme Open Classroom qui, en fournissant du contenu en ligne, nous fait immédiatement concurrence. »
Global Exam, de l’intuition d’un étudiant au décollage d’une edtech
La création de Global Exam s’est faite à partir d’un besoin repéré par son fondateur, Charles Eliott Debourdeau. « J’étais étudiant à Sciences Po Lille et j’avais été accepté en master 2 à London school of economics. Je devais donc passer le test Toefl en langues. À l’IEP, il y avait bien sûr des livres avec des CD pour réviser, mais mon ordinateur ne me permettait pas de lire les CD. Je me suis alors rendu compte qu’il n’y avait rien pour réviser en ligne. J’ai donc créé Global Exam pour aider les jeunes en rendant ces ressources facilement accessibles. »
Global Exam a vu le jour en 2013, et compte à présent plus de 110 employés.
À quoi ressemblera leur rentrée 2022 ?
À l’issue de l’échange entre les participants de la table ronde, Campus Matin leur a demandé de résumer, face caméra cette fois, à quoi ressemblera la rentrée prochaine dans leurs établissements.