« Je suis inspirée par des pionnières et pionniers » : l’interview décalée de Hélène Grossetie-Rückert
Par Isabelle Cormaty | Le | Edtechs
Campus Matin reprend ses habitudes d’été et lance une série d’interviews décalées de figures de l’enseignement supérieur et la recherche. Cette semaine, micro-tendu à Hélène Grossetie-Rückert, directrice générale de la edtech belge Wooclap. Elle évoque notamment les personnalités et auteurs qui l’inspirent.
Comme l’an dernier, Campus Matin vous propose durant la période estivale de découvrir des personnalités de l’écosystème de l’ESR. Pour ouvrir le bal de nos interviews décalées, direction Bruxelles à la rencontre de Hélène Grossetie-Rückert, la directrice générale de la edtech belge Wooclap.
Bien connue des enseignants du supérieur et du second degré, l’entreprise conçoit pour les établissements une plateforme favorisant le dynamisme des cours grâce à des questionnaires interactifs. Elle propose aussi une plateforme de microlearning, Wooflash.
Une personnalité qui vous inspire ?
Hélène Grossetie-Rückert : Plus jeune, j’ai été marquée par le parcours d'Anita Roddick, la fondatrice britannique de la marque de cosmétiques The Body Shop, à travers son autobiographie Business as unusual, publiée dans les années 2000.
Si aujourd’hui, l’enseigne est dans le giron du groupe Natura & Co, sa genèse est peu connue. Anita Roddick a fondé The Body Shop à la fin des années 70, alors qu’elle élevait ses deux enfants seule avec peu de moyens. Elle y écrit que c’est justement parce qu’elle n’a pas fait d’école de commerce et qu’elle ne connaissait pas les règles du monde des affaires qu’elle les a changées, radicalement. Elle lutte contre les stéréotypes de la beauté avec des campagnes audacieuses, s’est opposée aux tests de produits de beauté sur les animaux, a promu à grande échelle la recharge et le recyclage des emballages vides, le commerce équitable… Autant de préoccupations qui étaient à l’époque hors du radar de toute l’industrie !
Par la suite, j’ai d’ailleurs eu la chance de faire un stage auprès d’une autre pionnière, Élisabeth Laville, fondatrice du premier cabinet de conseil en développement durable en France dans les années 90 et qui a traduit justement son autobiographie en français.
Et plus tard, mon premier job était auprès de Jean-Guy Henckel, fondateur du Réseau Cocagne, l’un des pionniers en France de l’insertion par l’activité économique et l’agriculture bio.
Je suis inspirée par des pionniers et pionnières, ces personnes qui sont allées, à un moment donné, à contre-courant d’industries ou de secteurs établis et traditionnels pour proposer une alternative plus désirable tout en influençant ces industries ou secteurs tout entiers de manière pérenne ! Et il y en a beaucoup !
Si vous étiez un établissement du supérieur, vous seriez ?
L'Essec ! Je suis diplômée de cette école donc je suis peut-être un peu biaisée. J’ai beaucoup réfléchi à cette question et dix ans après ma diplomation, je suis fière de faire partie de la communauté des alumni.
C’est une école pionnière (aussi !) sur plusieurs domaines. Pionnière sur la chaire entrepreneuriat social, dont je suis diplômée, et qui vient de fêter ces 20 ans.
En 2002, pousser des enseignements sur l’économie sociale et solidaire en business school, personne n’y croyait ! Sauf Thierry Sibieude et Anne-Claire Pache, les instigateurs de cette chaire.
Aujourd’hui encore, l’Essec est en pleine démarche de transition sociale et environnementale avec le projet Together qui couvre un spectre très large de projets qui vont dans le bon sens : sensibilisation, formation, recherche…
Ce qui a été très riche pendant ma période d’études à l’Essec, c’est aussi d’avoir vu des solutions concrètes à des situations que j’avais étudiées à Sciences Po Aix dans mes cours de sociologie politique, notamment dans les ouvrages de Pierre Bourdieu. Ainsi, le programme PQPM, une grande école pourquoi pas moi, lancé dès 2002 à l’Essec se proposait et propose encore de créer des « cordées de la réussite » visant à favoriser l’ambition et aider les élèves issus de milieux ou de territoires défavorisés.
Si vous étiez une technologie ?
Le GPS des rêves, que François Taddei décrit dans son livre Et si nous ?. C’est à la fois poétique et pragmatique. La tête dans les étoiles, mais les pieds bien au sol, dans le concret. L’objectif de ce GPS serait de pouvoir identifier les personnes dans le monde qui partagent le même rêve que nous, et ce faisant de catalyser les intelligences collectives, avec l’aide d’intelligence artificielle pour le faire aboutir. C’est une technologie qui suit le GPS de la connaissance, WeLearn sur lequel le Learning Planet Institute, co-fondé par François Taddei a déjà commencé à travailler.
L’innovation digitale de l’année ?
Avec la situation que nous vivons aujourd’hui, la notion d’innovation et ce que l’on considère comme innovant sont particulièrement intéressants. Je suis donc plutôt impressionnée par les innovations dites frugales (ou jugaad en Hindi).
Je suis plutôt impressionnée par les innovations dites frugales
C’est un état d’esprit et une approche vertueuse, car on va utiliser du matériel facile à se procurer, simple, peu coûteux et disponible (dans un contexte planétaire de rareté de ressources et d’incertitude), se focaliser sur les besoins réels de l’utilisateur et donc devenir plus ingénieux.
Un exemple impressionnant d’innovation frugale dans la pédagogie, c’est ce que fait la chaire “La physique autrement” de la Fondation Paris-Saclay qui utilise l’approche frugale pour enseigner la physique fondamentale. Cela s’est révélé particulièrement pertinent en période Covid, où les étudiants n’avaient plus accès aux espaces physiques et laboratoires. Ils ont pu continuer à faire des expériences, avec leur matériel à domicile.
Allez voir sur leur site l’un de leurs projets 2022, OK Smartphone, qui permet d’utiliser son smartphone pour comprendre le fonctionnement de ses capteurs et en faire un outil de mesure. C’est assez génial ! Chez Wooclap, nous venons tout juste de réaliser notre premier bilan carbone pour comprendre comment, dans un contexte de raréfaction des ressources, nous pouvons faire notre part.
Un mot, une expression que vous ne voulez plus entendre ?
Tout ce qui se rapporte au « whatboutism ». L’un de mes collègues chez Wooclap a mis un mot sur toute une série d’expressions ou d’attitudes qui sont présentes dans notre quotidien, lors de débats entre personnalités politiques, entre amis ou entre collègues. C’est en quelque sorte une façon d’excuser ses manquements en attaquant ceux de son interlocuteur. C’est souvent un bon moyen de ne pas chercher de solutions !
Et pour le clin d’œil, chez Wooclap, on essaie de limiter notre usage, parfois abusif de l’expression « du coup ».
La phrase que vous vous répétez devant votre miroir ?
« Aujourd’hui sera une bonne journée ! » Cela me permet de commencer la journée avec un état d’esprit positif pour mieux accepter les petites contrariétés du quotidien.
Une lecture à conseiller ?
Je vis à Bruxelles depuis bientôt trois ans et je me suis plongée dans la lecture de BD, profitant de super librairies spécialisées. Je recommande l’auteur Derf Backderf qui a écrit des pépites :
- Kent State qui relate l’histoire vraie menant à un évènement tragique de l’histoire universitaire américaine, sur fond de protestation contre la guerre au Vietman.
- Sur une note plus légère, Trashed qui relate l’expérience de l’auteur comme éboueur après une année d’étude ratée et Punk Rock & Mobil Homes qui a en trame de fond la salle de concert mythique The Bank.
D’autres recommandations pour l’été ?
- Un compte Instagram qui me donne une bonne dose d’inspiration est « Ça commence par moi » de Julien Vidal.
- Un livre : Une éducation de Tara Westover, un récit autobiographique que j’ai lu alors que je vivais encore aux États-Unis. Issue d’une famille mormone survivaliste, Tara Westover raconte son combat pour obtenir une éducation universitaire, ou plutôt une éducation tout court. Un livre qui prend aux tripes.
- Chut ! le magazine du numérique, co-fondé par Aurore Bisicchia et Sophie Comte, qui prend du recul sur l’impact du numérique sur nos vies. J’ai précommandé le numéro 10 « Qui sème le Volt récolte la tempête » dans lequel deux auteurs du Giec sont invités. J’ai hâte de le découvrir.
Le parcours de Hélène Grossetie-Rückert
Diplômée de Sciences Po Aix et de l'Essec, Hélène Grossetie-Rückert a notamment travaillé pour le Réseau Cocagne. En 2017, elle part travailler dans la région de San Francisco aux États-Unis pour la edtech Udemy spécialisée dans les cours en ligne. En 2019, elle quitte la Californie pour rejoindre Wooclap.