Le système d’information décisionnel : « Mieux comprendre l’activité pour faire les bons choix »
Par Marine Dessaux | Le | Équipements et systèmes d'informations
Alors que le modèle économique de l’enseignement supérieur évolue, notamment avec la diversification des ressources propres et des besoins accrus de suivi analytique, le système d’information décisionnel (SID) s’impose pour collecter, stocker, traiter et communiquer des informations sur les différentes activités, et ainsi contribuer au pilotage opérationnel et stratégique.
Jérôme Mourroux, directeur associé au sein du cabinet EY, spécialisé dans le secteur public, et en particulier dans l’enseignement supérieur et la recherche, revient sur ces enjeux pour Campus Matin.
En cours de développement dans plusieurs universités, comme à Rennes 1, le système d’information décisionnel (SID) peut améliorer le pilotage de l’établissement.
En effet, l’outil réunit les données des activités « métiers » (scolarité, recherche, formation continue, etc.) ainsi que celles relatives aux fonctions support (RH, finances, patrimoine, etc.) et est, dans de nombreux cas, conçu sur le modèle d’une plateforme web.
Jérôme Mourroux, qui accompagne régulièrement des universités et des écoles sur le sujet, a réalisé la seconde édition de l’étude nationale EY sur le thème, « Le pilotage des établissements d’enseignement supérieur à l’heure du numérique » parue en 2019. Il a également été rapporteur général de l’étude de l’Institut Montaigne de 2017 : « Enseignement supérieur et numérique : connectez-vous ! ».
Familier des enjeux numériques de l’enseignement supérieur, il revient sur les problématiques auquel répond la mise en place d’un SID et ses enjeux.
L’étude 2019 sur le pilotage des universités d’EY
Le cabinet de conseil et d’audit EY a rendu public le 28 septembre 2019 la 2e édition de son étude sur le pilotage des universités, qui montre plusieurs tendances, notamment en comparaison avec la première édition de l’étude réalisée en 2014 :
• « Une augmentation du nombre d’établissements qui estiment disposer de tableaux de bord satisfaisants : ils sont désormais 67 % (+9 points en 5 ans) » ;
• « La part des établissements qui déclarent avoir développé des systèmes d’information intégrés est de 39 % (+16 points en 5 ans) ce qui constitue une évolution importante » ;
• « Les établissements se montrent proactifs avec de nombreuses initiatives : par exemple la mise en place de systèmes d’information décisionnels, déployés en interne dans les établissements, mais sans cadre ou référentiel national, ou démarche mutualisée ».
Le SID en bref
« Le SID me paraît comme l’aboutissement d’un travail important que les établissements doivent réaliser, en particulier dans la construction des référentiels, la mise en qualité des données, la revue des processus métiers, etc. Les structures d’aide au pilotage sont des contributeurs essentiels, mais plus largement l’ensemble des parties prenantes des composantes, des unités de recherche, des services communs et centraux », expose Jérôme Mourroux.
Par ailleurs, en centralisant une information dense et riche, dont les données pourront être croisées et analysées en vue d’aider à la prise de décision, les établissements peuvent améliorer de façon significative leur pilotage interne. « En bref, il offre de mieux suivre et de mieux comprendre les impacts des décisions », résume Jérôme Mourroux.
Système d’information : problématiques et enjeux
Dans l’étude parue en 2019 sur le pilotage, le spécialiste relève que plusieurs établissements se sont certes engagés fortement dans des démarches de systèmes d’information décisionnels, mais que ces outils restent encore très peu répandus dans la communauté universitaire.
« Certaines universités ont des pratiques innovantes, avec une avancée importante dans le domaine du pilotage. Je peux citer les exemples des universités de Lyon 3 Jean Moulin ainsi que l’Université de Rennes 1 », constate Jérôme Mourroux.
De façon générale, il note que les pratiques de pilotage ont plus rapidement évolué dans le domaine des fonctions support ces dernières années (pilotage de la paie, finances en particulier) suite au passage aux Responsabilités et compétences élargies (RCE) ou bien encore suite à la nouvelle gestion budgétaire et comptable publique (GBCP).
Des SI qui progressent peu sur le coeur de métier
Toutefois, les attentes restent encore importantes, l’étude EY relevant par exemple que 43 % des universités ne disposent pas d’outils pour réaliser dans des conditions satisfaisantes la gestion de l’évolution de la masse salariale, pourtant le poste le plus significatif sur le plan budgétaire.
En comparaison avec la première édition de l’étude EY sur le pilotage des universités en 2014, Jérôme Mourroux souligne néanmoins que les systèmes d’information ont peu progressé lorsqu’on observe leur cœur de métier :
« La formation par exemple, mais surtout la recherche, disposent d’une couverture fonctionnelle encore partielle en matière de SI, et les gouvernances universitaires ont relayé dans notre étude leur forte préoccupation dans le domaine du pilotage, difficile à mettre en œuvre dans ces conditions ».
La recherche peu outillée et, côté RH, une GPEC peu avancée
Ainsi la recherche est particulièrement peu dotée : alors que les enjeux sont importants, 55 % des établissements déclarent ne pas disposer des outils de pilotage de leur stratégie de recherche en 2019, ils étaient 63 % en 2014.
Dans le domaine des ressources humaines, si les universités ont très rapidement progressé notamment dans le domaine du pilotage de la masse salariale, la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est peu fréquente.
« Les établissements se projettent certes dans des démarches de gestion prévisionnelle des emplois, des postes et des compétences, sans qu’il soit possible d’identifier de réelles pratiques au sein de l’enseignement supérieur ».
Enjeu de fiabilisation des données
Jérôme Mourroux accompagne les établissements dans le diagnostic de leur gouvernance, de leur organisation, de leur processus, et plus globalement de leur pilotage « Les établissements nous sollicitent pour disposer d’une vision argumentée et complète, pour améliorer leur pilotage et déployer leur comptabilité analytique, ainsi que disposer de plan d’action avec les leviers prioritaires à mettre en place », détaille-t-il.
Aussi, peut-il observer qu’il existe un enjeu important de disponibilité et de qualité de la donnée, que les référentiels par exemple de structures ou de personnel, nécessitent des mises en cohérence, pour une convergence des pratiques partagée et réussie, afin de pouvoir utiliser le SI dans de bonnes conditions.
« Le SID n’est que l’aboutissement de ces démarches et je relève que les établissements qui sont avancés dans ce domaine ont consacré un temps significatif de préparation en amont de ces solutions ».
Une démarche de dialogue de gestion
Autres problématiques à surmonter : « Le dialogue de gestion est une finalité des systèmes d’information décisionnel, ainsi que la proposition de nouvelles offres de service pour les usagers notamment, par exemple en matière d’orientation ou de pédagogie. Or les problématiques organisationnelles font parfois obstacle au développement d’un dialogue de gestion performant. S’engager dans une démarche de dialogue de gestion nécessite que les porteurs de projet soient très impliqués dans le travail de conviction à mener en interne sur le bienfondé et les retombées concrètes pour tous les acteurs de la communauté, constate Jérôme Mourroux. Il faut le construire collectivement, le formaliser ».
En outre, « la couverture fonctionnelle des outils reste imparfaite, comme nous l’avons tout particulièrement noté dans le domaine de la recherche ».
Une autre tendance importante et positive relevée dans le cadre de l’étude EY est d’une part la gestion électronique de la documentation, qui progresse de façon très nette, ainsi que la robotisation, avec des « applications très performantes dans le secteur de la finance, reliant à titre d’illustration la plateforme ChorusPro aux applications de gestion budgétaire et comptable ».
L’offre de services que l’Amue a développé pour les universités contribue à cette rapide évolution des pratiques selon le directeur associé du cabinet EY.
Mettre en place une comptabilité analytique
Il s’agit d’un point clé : « La comptabilité générale et la comptabilité budgétaire sont en place, l’étape suivante étant souvent la mise en place de la comptabilité analytique, encore rarement en place pleinement dans les établissements publics. Or, une approche des coûts incomplète limite la capacité de pilotage des établissements. Mettre en place une comptabilité analytique permet de rattacher les centres de coûts et de profit, par exemple d’avoir une visibilité sur les coûts d’une formation/d’un diplôme, un projet immobilier, etc. », expose Jérôme Mourroux.
Culture de la transparence des données
Cela avait été souligné par Aziz Mouline, vice-président pilotage et qualité de l’Université Rennes 1 à l’occasion d’un webinaire dédié au SID développé par l’établissement le 9 octobre dernier, la mise en place d’un tel outil demande « un portage politique très fort, pour lever les éventuels obstacles et apporter les financements nécessaires ». Il s’agit également d’accompagner les personnels dans la prise en main.
Une réalité que souligne également Jérôme Mourroux : « L’Université de Lyon 3 a développé une démarche d’accompagnement au changement en accompagnement de la mise en place de son SID. Un responsable du projet l’a évoqué lors de notre colloque sur le pilotage des Universités de début d’année, dont les actes sont en ligne sur notre site Interne. Ce retour d’expérience à montrer le travail nécessaire d’explication sur les objectifs recherchées dans le partage de la donnée, sur la communication « projet » tout au long du déploiement du SID pour obtenir des résultats opérationnels de qualité, en impliquant toutes les composantes ».
Par ailleurs, la culture de gestion se renforce. Et la mise en place de SID constitue une étape importante dans cette voie. « La donnée est discutée, par exemple entre les composantes et les services centraux, elle est régulièrement suivie et analysée, elle contribue ainsi au dialogue et à la transparence des indicateurs », indique Jérôme Mourroux.
La mise en place d’un dialogue permanent
L’échange avec les différents personnels et les parties prenantes est donc primordial. Jérôme Mourroux explique en outre que le renforcement de la couverture fonctionnelle, une meilleure exploitation et interprétation des données « nécessitent d’être au plus près des activités et des composantes, dans un dialogue vertueux et continu avec toutes les parties prenantes ».
Ainsi pour réussir de telles démarches, un « investissement important de la communauté universitaire est nécessaire » qui doit « être décliné dans toutes les composantes, services communs et services centraux ».
« La communication interne, le développement du dialogue sur ces données et informations, la valorisation des retours positifs qui permettent de nouveaux services… sont des actions essentielles, qui conditionnent des résultats de qualité. Les gouvernances universitaires doivent par conséquent s’inscrire dans un temps long pour y parvenir, les établissements qui obtiennent des résultats ont investi durant plusieurs années consécutives sur ces sujets », conseille Jérôme Mourroux.