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Pédagogie : en marketing, collaborer avec des entreprises pour intégrer des cas d’étude réels

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

Pourquoi imaginer une campagne publicitaire pour un client fictif quand on peut apprendre en répondant aux besoins de réelles entreprises et associations ? Afin d’augmenter l’engagement et l’implication de ses étudiants, Ljupka Naumovska, professeure assistante à Rennes school of business, a décidé de faire travailler ses étudiants sur des cas réels. Elle observe plusieurs avantages à cette approche.

Ce cours a été distingué deux fois pour son caractère innovant.  - © L. Naumovska
Ce cours a été distingué deux fois pour son caractère innovant. - © L. Naumovska

« Les élèves en école de commerce en ont marre de toujours travailler sur des cas d’études fictifs. » C’est le constat que fait Ljupka Naumovska, assistant professor en marketing à Rennes school of business (RSB).

En 2022, elle décide donc de transformer son cours en y intégrant des cas d’études basés sur des entreprises locales qui n’ont pas de budget pour leur stratégie de marketing digital.

Une évolution en plusieurs étapes qui lui a valu deux prix d’innovation pédagogique de Rennes school of business  : le teaching excellence award en 2022 et le pedagogical innovation award en 2024.

Étudier le réel pour relancer la motivation des étudiants

Ljupka Naumovska s’est appuyée sur le service chargé des relations avec les entreprises, le club alumni et plus généralement le réseau de l’école pour inviter des entrepreneurs et dirigeants d’associations à challenger les étudiants.

Ljupka Naumovska est assistant professor en marketing à Rennes school of business. - © MD/Campus Matin
Ljupka Naumovska est assistant professor en marketing à Rennes school of business. - © MD/Campus Matin

« Ils travaillent ainsi sur propositions alignées avec le cours, avec de vraies données confidentielles. L’entreprise en retour reçoit des conseils gratuits », explique l’enseignante-chercheuse.

Concrètement, les élèves, répartis en groupe de six, doivent créer une stratégie digitale (campagne pour les réseaux sociaux, détermination du client type, calendrier de publication, sponsorisation…) et la pitcher à l’issue d’un bootcamp. «  L’idée est de créer une compétition semblable à ce que vivent les agences de marketing.  »

Côté évaluation, deux notes sont de mise  : une de groupe et une individuelle. Si le client donne son retour, il ne pèse pas dans l’évaluation. « Les professionnels ont tendance à donner de trop bonnes notes », observe Ljupka Naumovska.

Une pratique encore peu répandue en France

Travailler sur des cas d’études réels dans le cadre d’un cours est une pratique encore « plutôt rare en France et en Europe », estime l’enseignante-chercheuse. Une des difficultés à surmonter pour étendre cette pratique est « de convaincre les entreprises d’engager du temps dans ces projets. Elles travaillent plutôt avec des stagiaires ».

Transformation pédagogique : quel a été le déclic ?

Ljupka Naumovska identifie deux éléments qui ont motivé la transformation de son cours  : « Le marketing digital est une discipline très dynamique, il faut donc que je me mette à jour en permanence et je prends les retours des élèves très au sérieux. »

Sa source d’inspiration ? Les pratiques pédagogiques dont elle a été témoin lors de ses expériences à l’étranger, en Macédoine d’où elle est originaire, en Slovaquie, en Espagne et aux États-Unis.

Collaborer avec des petites entreprises et ONG

Pour son cours, l’enseignante-chercheuse a collaboré avec le Château de la Beauvais, qui propose de la location notamment pour les mariages et dont le marketing sur Instagram et Facebook avait besoin d’amélioration, la start-up étant encore jeune.

Elle s’est également rapprochée de l’organisation non gouvernementale (ONG) Léo pour le monde, qui a été fondée par la famille d’un étudiant de Rennes school of business décédé au Niger en 2020 où il était en mission humanitaire.

« Aujourd’hui, l’ONG veut poursuivre le travail de Léo, mais manque de moyens. L’objectif des étudiants était de professionnaliser son image », souligne Ljupka Naumovska.

Des étudiants ont d’ailleurs proposé de continuer à aider bénévolement l’ONG après la fin du cours. « Cela a été bénéfique pour eux de réaliser un projet qui a de l’impact. »

Pas de rémunération des “clients”, mais un engagement de temps

Les étudiants sont crédités si leur travail est utilisé, mais ne sont pas payés pour leurs projets. Ce qui ne gêne pas la majorité d’entre eux. En revanche, « quelques-uns ne veulent pas que le client utilise leur travail, dans ce cas le fichier digital qui contient la campagne est verrouillé », indique Ljupka Naumovska.

Les étudiants ont imaginé une campagne marketing pour le Château de la Beauvais. - © L. Naumovska
Les étudiants ont imaginé une campagne marketing pour le Château de la Beauvais. - © L. Naumovska

De leur propre initiative, certains partenaires offrent cependant des récompenses aux équipes gagnantes (un week-end au Château de la Beauvais notamment).

On pourrait reprocher à cette démarche d’empiéter sur le marché des professionnels du marketing, en effectuant du travail non rémunéré. Dans la réalité ce n’est pas le cas, estime l’enseignante-chercheuse qui rappelle  : « Les étudiants ne sont pas encore des professionnels, seulement environ 30  % des projets sont assez bons pour être utilisés. »

Les organisations participantes doivent également être pédagogues  : en libérant de leur temps pour intervenir en personne deux fois dans l’année (au début et à la fin du cours) et en répondant à toutes les questions des étudiants au fil de l’eau.

Le défi pour l’avenir : continuer à impliquer des organisations

En se basant sur les retours positifs des élèves et des entreprises, Ljupka Naumovska estime que la transformation de son cours est un succès. « Les étudiants doivent traiter les entreprises et associations comme de vrais clients. Ils participent à construire la notoriété de la marque, sur les réseaux sociaux et dans les médias. Cela les incite à être plus impliqués et réactifs, plus encore lorsqu’il y a un stage à la clé, ce qui arrive régulièrement. »

Autre plus pour les étudiants  : mentionner cette expérience dans leur CV ou mettre les visuels qu’ils ont créés lors de ce cours dans leur portfolio permet de « retenir l’attention de futurs employeurs », a pu observer l’enseignante-chercheuse.

Il ne reste donc plus qu’à pérenniser cette pratique en trouvant régulièrement de nouvelles entreprises intéressées par ce partenariat. Les start-up issues de l’incubateur de Rennes school of business sont pour cela une première piste.

Un conseil avant de se lancer

Le conseil de Ljupka Naumovska aux enseignants qui voudraient intégrer des cas d’études réels dans leurs enseignements ? « N’ayez pas peur de la charge de travail supplémentaire. Certes, au début, cela demande plus temps, mais une fois que la collaboration avec une entreprise est établie, les étudiants deviennent plus proactifs, indépendants et auront de meilleurs résultats. C’est une façon de faire qui profite à tous. »

Cet article a été écrit dans le cadre de la « résidence » de News Tank et Campus Matin à Rennes, du 3 au 6 juin 2024.