Quels retours du digital learning ? Le résumé du 1er webinaire Campus Matin
Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie
C’est grâce aux interventions de Catherine Couturier (directrice du Service universitaire de pédagogie de l’Université d’Artois), Latifa Berkous et Guilain Praseuth (ingénieurs pédagogiques à l’X et TBS) et Sébastien Lebbe, (co-fondateur de Wooclap), que ce webinaire de Campus Matin s’est attaché à répondre le 20 mai à quatre questions clés sur le digital learning en période de crise sanitaire. Plus de 200 participants ont nourri les débats de leurs questions et remarques. Merci à tous.
Le passage au Digital Learning a été aussi brutal que massif pour les établissements d’enseignement supérieur. Les réalités pédagogiques qu’il recouvre sont diverses. Nos quatre témoins, en première ligne du passage au tout numérique, reviennent sur leur expérience, partagent les leçons acquises- le positif comme le négatif- et tirent de premières conclusions pour mieux aborder la suite.
Les intervenants
• Catherine Couturier, directrice du SUPArtois, vice-présidente du Réseau des SUP (Service Universitaire de Pédagogie) ;
• Latifa Berkous, ingénieure pédagogique à l’X École Polytechnique ;
• Guilain Praseuth, ingénieur pédagogique à la Toulouse Business School ;
• Sébastien Lebbe, co-fondateur de Wooclap ;
• Grand témoin : Yves Condemine, ancien DSI, vice-président stratégie numérique à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et conseiller numérique et pédagogie (MESRI/DGESIP/MiPNES) ;
• Animation : Marc Guiraud, président du Groupe News Tank, éditeur de Campus Matin accompagné de Rémy Challe, DG d’Edtech France.
1) Quelle a été votre plus grande réussite dans cette période de digital learning ?
« Le changement du regard des enseignants vis-à-vis du digital learning, quel que soit leur rapport initial au digital learning, est le point positif de cette période », affirme Latifa Berkous, ingénieure pédagogique de Polytechnique, qui a mis en place des sessions en live de 90 minutes, trois fois par jour les premiers jours, en plus de beaucoup de tutos.
Guilain Praseuth revient sur l’accompagnement des équipes à Toulouse Business School. « Un dispositif qui a très bien marché, c’est un dispositif de micro-learning, appelé Good News que l’on a déployé pendant toute la durée du confinement. (…) Chaque jour les collaborateurs, les professeurs, les intervenants de TBS recevaient deux good news à 8 heures du matin, tous les matins. Une sur le télétravail et une sur l’enseignement à distance. Chaque Good News était constituée de micro-formations très rapides à faire, de retour d’expérience très rapides à lire et surtout très contextualisés à TBS et qui correspondaient immédiatement à des besoins précis des collaborateurs. Le matin, on envoyait les good news et durant la journée on allait récolter les retours d’expérience, on corrigeait les problèmes, on apportait des supports (…) ».
Le sondage Wooclap, en direct
Un exemple de good news [Question des participants]
Dès qu’a été débloquée la possibilité de faire des cours en ligne à TBS, la good news suivante a été envoyée :
• « Vous avez rêvé de travailler en groupe, bonne nouvelle nous avons débloqué la fonctionnalité ! Voici un tutoriel d’une minute pour vous former ».
Par la suite, l’ingénieur pédagogique a reçu un retour d’expérience :
• « Bonne nouvelle, professeur untel a fait sa première classe virtuelle » accompagné de recommandations qui ont par la suite été partagées avec le corps enseignant, sous forme de slides qui peuvent être reprises à chaque début de cours.
Importance de la consultation pédagogique
Avec sa triple casquette de directrice du SUPArtois, vice-présidente du Réseau des SUP et d’enseignante-chercheuse, Catherine Couturier relève plusieurs points positifs : « On a constaté des contacts renforcés avec nos collègues et nos étudiants, on a remarqué que ça a permis de faire en sorte que les collègues se questionnent énormément sur leur dispositif pour s’assurer que leurs étudiants soient impliqués à distance et pour maintenir les interactions. (…) A l’Artois, cela fait 7 ans qu’on développe une intelligence collective et qu’on crée une communauté de pratiques et d’échanges (…) Ça a mis vraiment en évidence l’importance de la consultation pédagogique. C’est quelque chose pour lequel on ne peut pas rester seul. Ce sont des outils que l'on pense en équipe pédagogique. »
En tant que fournisseur d’une solution d’animation de cours, physiques et en ligne, Sébastien Lebbe, co-fondateur de Wooclap, observe un retour positif des professeurs qui cherchent à mettre l’interactivité au cœur du distance learning : « Les professeurs ont souvent du mal à capter l’attention des étudiants et à mesurer leur compréhension, et c’est d’autant plus vrai en distanciel parce qu’on ne les voit que très peu. Wooclap a été énormément sollicité depuis le début du confinement, les retours sont très bons, évidemment il y a toujours des choses à améliorer que ce soit au niveau de la plateforme ou des dispositifs pédagogiques qui sont mis en place mais dans l’ensemble c’est très positif, (…) les professeurs se sont rendu compte que le digital peut répondre à certaines problématiques ».
Qu’est-ce que Wooclap ? [Question des participants]
Une plateforme avec un système de vote interactif qui permet de créer des questionnaires, des sondages, etc. Il existe également une fonction « mur » qui permet de recueillir des commentaires et des questions pendant une présentation, un cours… ou un webinaire !
2 )Quelles ont été les difficultés principales ?
Un grand stress au début et un besoin d’entrainement à l’utilisation des outils
« Des étudiants extrêmement stressés qui avaient besoin d’être informés, rassurés et qui vivaient parfois des situations personnelles extrêmement compliquées. L’autre difficulté vraiment importante, c’est la quasi-impossibilité de les préparer aux évaluations qui ont été décidées et c’est tout le contraire de ce qu’on encourage dans les SUP du réseau (…) pour nos collègues c’est exactement la même chose : un grand stress au début et un besoin d’entrainement à l’utilisation des outils (…) » explique Catherine Couturier.
Le sondage Wooclap, en direct
L’expérience de Latifa Berkous rejoint celle de Catherine Couturier : « La plus grande difficulté indéniable a été autour de la dimension de l’évaluation : comment assurer des examens à distance dans des conditions idéales ? (…) Pour les évaluations sommatives, s’assurer de l’anti-plagiat, l’anti-triche, de l’équité technique, technologique. S’assurer de la prise en compte du lieu de résidence des étudiants (…) nous n’étions pas équipés de solutions qui puissent répondre dans l’urgence à toutes ces caractéristiques (…) l’évaluation n’était pas satisfaisante, ça a été une question difficile, dans beaucoup d’établissements, nous avons décidé de ne pas prendre de décision dans l’urgence ».
Il faut qu’on étoffe notre catalogue de ressources digitales
Selon Guilain Praseuth : « A mon niveau d’ingénieur pédagogique, une difficulté a été d’avoir des ressources pédagogiques digitales suffisantes sous la main pour vraiment se concentrer sur la pédagogie, sur les activités digitales à concevoir. (…) On a dû créer des parcours en digital learning de toutes pièces (…) ça ne s’invente pas du jour au lendemain. (…) Pour la crise, les professeurs ont fait un boulot formidable en très peu de temps mais ce dont je me rends compte c’est que ceux qui avaient des ressources déjà en stock ont pu se consacrer davantage à la pédagogie ».
Il prend notamment l’exemple d’un MOOC sur la pensée complexe déjà en place, pour lequel l’équipe pédagogique a eu plus de temps à consacrer à la scénarisation, à l’expérience étudiante, à faire travailler les étudiants individuellement en équipe, sur des livrables plus cadrés, etc. « Il faut qu’on étoffe notre catalogue de ressources digitales (…) pour faire face à ce genre de crise et qu’on reste en veille sur le digital learning de demain », ajoute-t-il.
Sébastien Lebbe raconte comment l’application Wooclap, qui n’était pas faite pour les examens, a également été concernée par la question des évaluations : « Nous avons été sollicités par un grand nombre de professeurs notamment dans le supérieur qui nous ont dit qu’ils allaient faire des examens avec Wooclap, au début la décision ça avait été de leur déconseiller de le faire ; mais finalement on s’est rendu compte qu’avec notre nouvelle plateforme Wooflash nous avons pu créer un mode examen qui permet de faire des simulations d’examen et de répondre à une partie des besoins ».
Quel taux de décrocheurs ? [Question des participants]
• Le taux de décrocheurs doit être examiné à la lumière du contexte : « c’est très variable suivant les publics », souligne Catherine Couturier
• « En DUT informatique, la transition a été assez facile (…) nous avons un DU tremplin par exemple, un diplôme universitaire pour ceux qui n’ont pas réussi leur premier trimestre à l’université, là on a eu presque 50 % d’étudiants décrocheurs : des étudiants malades, qui s’occupaient de proches malades, qui n’avaient pas de connexion, qui avait déjà une motivation fragile, je crois que pour tous ceux qui avaient déjà une fragilité, quelle que soit la raison de cette fragilité, technique, psychologique, logistique, ça a été vraiment compliqué ».
3) Vers un changement systémique des cours en présentiel ?
« Le paysage pédagogique va changer inévitablement, nous ne pourrons plus reprendre sous la même forme qu’avant ce basculement dans le digital learning, il y a vraiment un phénomène d’avant/après qui est très clair », soutient Latifa Berkous.
Elle détaille : « Les cours en présentiel s’accompagneront avec plus ou moins d’activités à distance qui viendront compléter ou affiner le cours. Certains enseignants se sont déjà exprimés avec le souhait d’hybrider leurs cours lors d’une phase de retour sur le campus parce qu’ils se sont déjà dotés d’une boite d’outils pédagogiques qui est renforcée (…) à mon sens, rares seront ceux qui feront preuve d’amnésie numérique à l’avenir ».
L’approche par compétences pour transformer les programmes en profondeur
Guilain Praseuth n’envisage pas encore un changement systémique des cours en présentiel : « A la rentrée, nous serons encore dans une situation de crise où la priorité n’est pas la transformation pédagogique mais la continuité pédagogique. Par contre, il y a une transformation qui est belle et bien amorcée et la crise Covid-19 a un effet levier assez énorme pour se questionner sur la pédagogie et sur le présentiel. Nous mettons aujourd’hui des actions concrètes en place : un questionnaire quantitatif et qualitatif suite à la crise, des ateliers de réflexion avec les professeurs, des actions qui nous permettront de prendre des décisions fortes et transformantes. A TBS nous voulons nous affirmer comme une école du présentiel, (…) les changements systémiques vont venir de l’approche par compétences pour transformer les programmes en profondeur, des espaces innovants pour transformer les campus en vrais lieux de vie, des modalités d’évaluation différentes, des dispositifs avec des pédagogies expériencielles très riches. »
Il prend comme exemple le labo d’idée géant de TBS, lieu d’échange et de confrontation de points de vue entre pairs, avec des experts, des collaborateurs, « le genre d’expérience apprenante qu’on doit remettre au cœur du présentiel aujourd’hui. »
« Il y a des collègues qui ont vraiment découvert qu’il existe plein de façons d’enseigner mais il est encore un peu tôt pour dire qu’il va y avoir une transformation systémique profonde (…) nous n’avons pas tous les éléments de contextes qui nous permettent de penser la rentrée de septembre de façon sereine », précise Catherine Couturier. Elle insiste sur l’importance de la plus-value des formations : « Le questionnement c’est : comment on transpose ces enseignements en tenant compte de toutes les modalités possibles ? (…) Il faut penser d’abord aux apprentissages des étudiants. C’est quoi la valeur ajoutée d’un enseignement. Un cours ce n’est pas un powerpoint, ce n’est pas une vidéo. (…) Comment garantir les apprentissages visés ? C’est une réflexion qui prend du temps (…) En tout cas, il faut arriver à préserver l’interactivité avec les étudiants à distance ou en présentiel ».
4) Quelles orientations pédagogiques pour la rentrée ?
Le double défi pour les enseignants : des situations encore différentes, comme assurer un cours avec certains étudiants en présentiel et d’autres en distanciel
A l’École Polytechnique, on envisage la poursuite des cours à distance pour ceux qui ne pourront accéder aux locaux, décrit Latifa Berkous. « Ce qui se dessine pour la rentrée de septembre c’est une poursuite des cours à distance pour ceux qui ne peuvent pas rejoindre le campus notamment pour les élèves internationaux mais aussi pour respecter les injonctions de nombre de personnes maximum par classe (…) Le double défi pour les enseignants, ça va être des situations encore différentes, c’est-à-dire peut-être d’assurer un cours en présentiel avec certains étudiants et d’autres en distanciel, ce qui ferait encore une nouvelle configuration. L’accompagnement pédagogique a d’ores et déjà démarré pour planifier ces précieuses douze semaines à venir avec des réflexions au niveau des départements de manière collégiale pour identifier les besoins en appui pédagogique. (…) On est dans l’attente des recommandations et de ce que le ministère va annoncer. »
Toulouse Business School envisage plusieurs scénarii pour la rentrée, comme l’explique Guilain Praseuth : « A TBS (…), on est dans la validation de scénarii 100 % distanciel et en mixte présentiel/distanciel, on teste la semaine prochaine des salles équipées de caméras et de micros pour avoir des étudiants en présence et à distance avec également un enregistrement vidéo possible. On est en train de mettre en place un cadre avec des décisions en cours de validation, par exemple : qui prioriser en présentiel ? est-ce que ce sont plutôt les nouveaux entrants, des étudiants avec des besoins spécifiques ? combien d’étudiants maximum en classe ? est-ce qu’il faut mettre un temps maximum de classe à distance par jour ? combien de temps doivent durer les classes virtuelles ? (…) »
Catherine Couturier en dit plus sur la stratégie de l’Université d’Artois pour préparer la rentrée : « On était dans la réaction, ce qui nous semble maintenant important c’est de prendre le temps de se poser maintenant pour faire un bilan, on a mis en place une enquête auprès des étudiants et enseignants : c’est ce bilan qui nous permettra de nous projeter plus sereinement et de planifier nos actions dans la durée. »
L’Université d’Artois, TBS, Lyon 3 et l’X Ecole Polytechnique en chiffre :
-Université d’Artois : 12 000 étudiants, 500 enseignants chercheurs, 32 SUP
-TBS : 6 000 étudiants, 1 000 intervenants extérieurs vacataires, 115 enseignants-chercheurs permanents
-L’X : 3 000 étudiants, 700 enseignants
-Université Jean Moulin Lyon 3 : 29 000 étudiants, 600 enseignants-chercheurs
« On l’a fait ! » La conclusion d’Yves Condemine VP stratégie numérique à Lyon 3
Vice-président stratégie numérique Université Jean Moulin Lyon 3 et ancien DSI, Yves Condemine est notre grand témoin.
Il synthétise les échanges et trace les perspectives.
Les établissements d’enseignement supérieur ne sont pas partis de zéro, loin de là
« On l’a fait ! La continuité pédagogique a été assurée parce que nos outils étaient en place (…) les établissements d’enseignement supérieur ne sont pas partis de zéro, loin de là. (…) Nous n’avons pas créé l’accompagnement pédagogique à la veille du confinement (…), simplement nous avons eu besoin de nous appuyer sur nos compétences : je citerais en particulier les ingénieurs pédagogiques mais aussi d’autres acteurs comme nos équipes infrastructures qui ont pu et qui ont dû accompagner la montée en charge. »
Privilégier la massification des outils simples et intuitifs
L’objectif est la massification en cas de crise et pas le prototypage à petite échelle de solutions trop avancées
« Le lien pédagogique distanciel doit reposer en priorité sur des solutions techniques plus tôt éprouvées et adaptées à des usages simples et intuitifs, je ne crois pas qu’une crise puisse être gérée avec des outils complexes ou testés au moment où la crise commence. Il nous faut le bon outil pour la bonne activité, comme les outils de chat, de sondage, de forum (…) qui ont permis de conserver un lien enseignants-étudiants de qualité voir paradoxalement de le renforcer. L’objectif est la massification en cas de crise et pas le prototypage à petite échelle de solutions trop avancées : nos outils de bases ont principalement été la plateforme LMS et les outils de classe virtuelle. Mais le vrai succès de cette industrialisation a aussi été porté par les enseignants qui ont massivement intégré les dispositifs numériques bien au-delà de ce que j’appellerai les pionniers. »