Vie des campus

En école d’ingénieurs, la sensibilisation LGBT+ est encore un sujet délicat

Par Léa Gerakos | Le | Expérience étudiante

La cause LGBT+ dans les écoles d’ingénieurs est aujourd’hui peu visible et la sensibilisation reste timide. Néanmoins, des initiatives, comme au sein de l’Esiea, témoignent d’une volonté de faire évoluer cet environnement pour davantage d’inclusivité.

L’Esiea organise une table ronde sur d’engagement des personnes LGBT+ de l’autre cercle - © Léa Gerakos
L’Esiea organise une table ronde sur d’engagement des personnes LGBT+ de l’autre cercle - © Léa Gerakos

« Je me suis inscrit dans une démarche de mensonge, par omission principalement, avant de m'“outer“ grâce au soutien d’un manager bienveillant. Ce que j’ai vécu en entreprise, j’aurais préféré le vivre à l’école, parce que ça m’aurait fait gagner beaucoup de temps et beaucoup d’énergie », expose Nicolas Le Ray-Pelletier, responsable du réseau OUTfront France et membre du service financier de Capgemini

C’est pour éviter que ce genre de témoignage ne se reproduise à l’avenir qu’était organisée une table ronde « LGBT+ : être soi-même en entreprise et à l’école » à l’École supérieure d’informatique électronique automatique (Esiea) le 11 mai dernier.

Un sujet encore peu abordé dans ce type d’établissement. « L’environnement d’ingénieurs n’est pas le milieu le plus propice à ce que les personnes soient ouvertement queers, il y a quelques remarques limites causées par un manque d’éducation », confie un alumni.

L’Esiea porte le sujet auprès de ses étudiants

Sophie Poirier est la référente harcèlement et égalité au sein du groupe Esiea. - © Linkedin/
Sophie Poirier est la référente harcèlement et égalité au sein du groupe Esiea. - © Linkedin/

Les échanges se tenaient sur le campus de l’Eseia à Ivry-sur-Seine alors que l’école a entamé la démarche de signature de la charte d’engagement LGBT+ de l’association l’Autre cercle. Un projet porté par Sophie Poirier, référente harcèlement et égalité de l’école depuis septembre 2019.

Quatre professionnels se trouvent sur scène pour raconter leur expérience et sensibiliser les étudiants de l’école à la question de l’orientation sexuelle et du genre, ainsi qu’aux difficultés rencontrées par la communauté LGBT+. Des caméras retransmettent aussi les échanges en direct sur YouTube.

Une table ronde qui peine à trouver son public…

Ce projet de sensibilisation, inédit pour le groupe Eseia qui regroupe plus de 2000 étudiants, ne rencontre cependant pas le public escompté. La salle de conférence sonne creux, désertée par les élèves. À qui la faute ? À l’absence de cours pour la plupart d’entre eux, peut-être, ou à un manque d’intérêt face à un événement qui n’est pas obligatoire dans l’emploi du temps. «  C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de monde », déplore un alumni.

Parmi les quelques présents, des personnes majoritairement déjà convaincues. « C’est bien de s’adresser aux personnes issues de la communauté, sauf qu’eux ils sont déjà sensibilisés. Le sujet doit aussi et surtout concerner les personnes hors de la communauté LGBT », reconnait Sophie Poirier.

Une réticence face aux discours des personnes qui ne sont pas concernées

Dès l’annonce de la table ronde, des réserves avaient par ailleurs été exprimées sur son format : « J’ai reçu des messages d’étudiants qui avaient peur de ce à quoi allait ressembler la table ronde en me disant qu’ils espéraient qu’il y aurait des personnes LGBT+. Il a fallu que je leur explique le déroulement, car ils craignaient que ce sujet ne soit pas abordé de la bonne façon. Je comprends que ce soit un sujet délicat, il y a une réticence face aux discours des personnes qui ne sont pas concernées et qui pourraient ne pas comprendre », rapporte Sophie Poirier.

… mais un thème mis en avant avec persévérance

Pour autant, pas question d’abandonner. Sophie Poirier est déterminée à libérer la parole au sein des élèves. « Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas spécialement eu de remontées de lgbtphobie, mais à travers cette initiative nous ouvrons une porte, confie-t-elle. On ne sait pas encore ce qu’il se passe de l’autre côté, peut-être que certains n’osent pas encore en parler, d’où l’intérêt d’évoquer le sujet le plus possible. »

Car l’inclusivité ne doit pas être qu’une étiquette. « C’est problématique de se mettre en avant comme inclusif si aucune action ne suit, revendique l’alumni. En école d’ingénieurs, le sexisme est énormément présent et malgré des discours parlant de régler le problème, peu de choses ont été faites, je ne me souviens pas qu’il y ait eu de conférences sur la question. Si le sexisme est toujours présent, les questions queers ne sont pas près de partir non plus. Il faut que des mesures soient mises en place. »

Quelles questions soulevées et quels modes d’action ?

De premières pistes pour mettre en place un environnement favorable dès les études supérieures sont évoquées.

Valérie Berjamin est directrice qualité et chargée d’accessibilité universelle à Prophecy. - © Linkedin
Valérie Berjamin est directrice qualité et chargée d’accessibilité universelle à Prophecy. - © Linkedin

Le rôle significatif des relais en interne

Les « alliés », qui portent le sujet sans être directement concernés, permettent d’assurer un environnement inclusif et égalitaire. Un principe « absolument essentiel » pour Valérie Berjamin, intervenante lors de la table ronde et directrice qualité et chargée d’accessibilité universelle à Prophecy, un groupe axé autour de la question de l’innovation du marché de la cybersécurité.

Nicolas Le Ray-Pelletier explique : « Un allié réagira plus précisément face à un collègue ou un manager qui dépassent les limites à l’inverse d’une personne concernée qui risque de surréagir face à une blague de trop. »

Sophie Poirier encourage également une prise en mains par les acteurs concernés : « Nous voulons encourager les membres de la communauté LGBT+ à témoigner. Ils doivent réagir et intervenir face à des propos ou des actes qui ne sont pas acceptables. »

Des formations pour tous

Depuis 2020, l’Eseia met en place des formations pour tous ses salariés, qui doivent eux aussi jouer le rôle d’alliés. Celles-ci ont lieu deux à trois fois par an et sont « fortement conseillées ». 

« Tous les responsables d’année y sont passés comme ce sont eux qui voient le plus les étudiants, mais aussi la scolarité pour la grande majorité, la direction pour la plupart et puis tous ceux qui en ont envie comme notre agent de sécurité qui souhaite être en mesure d’identifier quand quelqu’un va mal peu importe le sujet », indique Sophie Poirier.

La question de la sensibilisation optionnelle se pose pour accélérer le mouvement. Mais pour l’heure, l’école n’envisage pas de rendre ces événements obligatoires.

Les dispositifs déjà en vigueur à l’Esiea

Parmi les dispositifs déjà en place : une cellule de signalement de discriminations, de violences ou de harcèlement en toute confidentialité. « Je m’entretiens avec tous les étudiants de toutes les promos à chaque rentrée, raconte Sophie Poirier. Un psychologue et moi-même sommes à leur écoute. Seul le directeur et moi disposons des accès à l’adresse mail de la cellule. Les messages sont pris en compte au sein de cet espace confidentiel. »

Si un soutien plus important est nécessaire, l’Esiea réoriente vers des psychologues, des médecins, la police ou encore des avocats. « Nous avons un réseau qui permet d’accompagner nos étudiants davantage lorsque c’est nécessaire », précise la référente harcèlement et égalité.

Autre ressource : un fond d’urgence financier pour pouvoir accompagner les étudiants en cas de problèmatique, par exemple payer un avocat. « Nous sommes conscients d’avoir des vies entre nos mains pendant cinq ans. »

Les prochaines étapes

En fin d’année, les étudiants remplissent un questionnaire de satisfaction sur les cours et la vie étudiante. Un outil que Sophie Poirier souhaite étoffer pour ajouter des questions autour de l’inclusion des personnes LGBT+ :

« Jusqu’à présent nous n’avions pas de question sur ce sujet-là, il nous faudra les inclure d’ici la fin de l’année. Les étudiants pourront nous aider sur le type de questions à poser pour avoir un retour non seulement sur l’environnement dans l’Esiea, mais aussi sur les éventuelles envies d’engagement. »

Faire naître une vie associative autour du sujet est également une piste. « Ce serait intéressant qu’il y ait une association LGBT+ au sein de l’école. Quand une association est présente, les élèves sont plus à l’aise pour parler à quelqu’un de leur âge ou à un référent ou pour envoyer un message en ligne à une personne qui pourrait faire remonter les éléments », estime l’alumni.

Définir le plan d’action avant la signature de la charte

D’ici à la rentrée 2023, l’Eseia veut ajouter son nom à la liste des signataires de la charte d’engagement LGBT + de l’Autre cercle. Pour cela, elle doit suivre plusieurs étapes : quatre réunions de travail permettent d’établir un plan d’action.

« La première réunion est une réunion d’information, puis il y en a une deuxième axée ressources humaines, une troisième porte sur les étudiants puis une dernière qui concerne le plan d’action sur nos éléments d’engagement, en fonction desquels sera validée notre adhésion à la charte », explique la référente harcèlement et égalité.

Une charte pour l’inclusion des personnes LGBT+  

Crée par l’association l’Autre Cercle, la charte d’engagement LGBT+ est réalisée en partenariat avec le Collectif des associations étudiantes LGBT+ d’Île-de-France et la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’Observatoire des violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur. Elle est inspirée d’une charte pour un environnement inclusif au sein du monde du travail, créée en 2012.

Issue d’un travail initié en 2020, la charte est signée par Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, en octobre 2022.

Ce document implique des actions concrètes : il engage à la création d’un environnement inclusif, garant d’une égalité de droit et d’une équité de traitement, qui assure son soutien face à la LGBTphobie et œuvre à l’évolution de l’environnement professionnel.

Sept établissements d’enseignement supérieur font partie des signataires de cette charte : Centrale Nantes, l’EM NormandieKedge business schoolMontpellier business school, et les universités de Lorrainede Montpellier et de Toulouse 3 Paul Sabatier.