« Ni Macron ni Le Pen ! », le cri des manifestants lors de l’occupation de la Sorbonne
Par Enora Abry | Le | Expérience étudiante
Le 13 avril dernier, en réaction des résultats du premier tour de la présidentielle, des étudiants ont décidé d’occuper la Sorbonne après une assemblée générale tenue en son sein. Une quarantaine d’entre eux y ont passé la nuit. Le lendemain, des manifestants se sont réunis sur la place en face du bâtiment dans l’objectif d’y pénétrer. Campus Matin était sur place et raconte.
Boulevard Saint-Michel dans le 5e arrondissement de Paris : un grondement se fait entendre. Nous sommes le 14 avril, il est 11h30, et plusieurs dizaines de manifestants sont rassemblés sur la place de la Sorbonne, juste en face du bâtiment emblématique éponyme, que se partagent le rectorat d’Île-de-France et plusieurs universités. Ils manifestent leur soutien à une quarantaine de leurs camarades, qui eux, ont passé la nuit à l’intérieur des locaux.
En effet, la veille, pendant une assemblée générale étudiante rassemblant plus d’une centaine de personnes, la décision a été prise d’occuper les lieux. Pour eux, pas question de subir le choix imposé par le premier tour de la présidentielle, entre le président sortant et candidat En marche ! Emmanuel Macron, et la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen.
Si aucune association ou syndicat étudiant n’a revendiqué l’action, les slogans d’extrême gauche antifasciste sont largement repris.
Une foule venue rejoindre les occupants
À 12h30, ils sont environ 400 à répondre à l’appel au rassemblement lancé sur les réseaux sociaux. Ils sont de tout horizon : des étudiants de Sorbonne Université, mais aussi d’autres universités, de grandes écoles, mais également des lycéens et des salariés. Leur objectif : entrer dans le bâtiment pour y tenir une autre assemblée générale. Ils n’y parviendront pas, bloqués par les forces de l’ordre. Cela ne les empêche pas de communiquer avec leurs camarades restés à l’intérieur.
Du deuxième étage, penchés aux fenêtres, les occupants lancent des slogans que la foule répète. « Ni Macron ! Ni Le Pen ! » revient le plus souvent et reprend le message d’une banderole suspendue à une fenêtre.
« Siammo tutti antifascisti * », slogan italien signifiant « Nous sommes tous antifascistes », est entonné en tapant des mains. « Pas de quartiers pour les fachos ! Pas de fachos dans nos quartiers ! », entend-on également. Et enfin, « Rejoignez-nous. Ne nous regardez pas ! »
En parallèle sur les réseaux sociaux, les occupants sollicitent l’aide des manifestants. Après avoir passé la nuit sur place, ils ont besoin de nourriture et de produits d’hygiène. « Plus tôt dans la matinée, certains faisaient passer des sacs de courses par les fenêtres, mais les policiers se sont mis entre eux et le bâtiment », rapporte une étudiante de l’École supérieure de journalisme de Paris venue couvrir l’évènement.
Sous cette négation des résultats du premier tour, des revendications multiples
Dans la foule, des associations étudiantes comme l’Union nationale des étudiants de France (Unef) ou la Fédération des jeunes révolutionnaires (FJR) discutent avec les manifestants pour partager leurs revendications.
« Notre association s’est fondée l’année dernière, nous explique Camille, une étudiante en anglais et histoire à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et également membre de la FJR. Nous avons senti un véritable besoin des étudiants suite aux cours en distanciels et à la fermeture des facs. Notre mot d’ordre c’est : nous voulons étudier. Et aujourd’hui rien ne nous paraît plus révolutionnaire que ça, car la politique du gouvernement nous en empêche avec les cours qui sont supprimés par manque de moyen, la sélection en master, la fermeture de certains Crous qui précarise encore plus la jeunesse. »
Un autre point sur lequel les militants du FJR insistent : ce qu’ils nomment « la militarisation de la jeunesse ». « L’argent que l’on met dans la guerre pourrait servir pour nos facs. Si on ajoute à ça l’ambition d’augmenter le nombre de réservistes d’ici 2027, toutes les pubs qui sont faites pour rejoindre l’armée, cela revient à dire qu’on nous empêche d’étudier et qu’à la place on nous envoie faire la guerre », s’insurge Camille.
Pour les manifestants du FJR, toutes ces problématiques culminent en un refus des résultats du premier tour. « Tout ce dont on parle, la précarisation, la militarisation, ce sont les conséquences de la politique de Macron, précise Jérémie, membre du FJR et étudiant en master d’histoire à l’Université Paris Nanterre. Alors si on résume : nous avons le choix entre Marine Le Pen, qui a tenu des propos racistes et anti-LGBT, et Emmanuel Macron qui a détruit nos droits d’étudier. C’est une fausse alternative. »
Toutefois, parmi les manifestants, d’autres semblent plus mitigés.
« Je suis venu voir ce qu’il se passait, pour m’informer, mais je ne sais pas encore trop quoi en penser, s’interroge Tony, étudiant en master de cinéma. Je suis d’accord avec la plupart des revendications, mais on ne peut pas nier que le peuple a voté. J’ai surtout vraiment peur que les gens s’abstiennent de voter et que le résultat soit déplorable. »
La suite des événements
À 13 h, le ton monte entre les manifestants et les forces de l’ordre. Des tables, des chaises et des poubelles sont jetées du deuxième étage. Les policiers repoussent la foule un peu plus loin sur la place de la Sorbonne.
Face à l’impossibilité d’entrer dans le bâtiment, l’assemblée générale se tient en urgence sur la place. Au mégaphone, les étudiants se succèdent pour partager leurs revendications et font des appels à la grève générale.
L’initiative est alors prise de faire une « manif’ sauvage » en remontant le boulevard Saint-Michel. La voirie est bloquée. En passant, les étudiants distribuent des tracts aux automobilistes contraints de s’arrêter. Cela ne dure qu’une trentaine de minutes. Les forces de l’ordre finissent par ramener et contenir le cortège sur la place.
Au fil des heures, la foule se disperse. À 20h, les occupants lancent un appel en postant une vidéo sur les réseaux sociaux où ils demandent à pouvoir sortir des locaux sans être mis en garde à vue. Ils finiront par sortir aux alentours de minuit sans être arrêtés, mais leurs identités ont été relevées, à leur insu.
Pour autant, les militants n’envisagent pas d’interrompre leurs actions : un autre rassemblement était prévu samedi 16 avril à 13h. Le campus d’Aubervilliers de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) est quant à lui occupé depuis le soir du 20 avril.
Le rectorat condamne une occupation illégale et des dégradations importantes
Dans un communiqué retranscrit par TV5 Monde, le recteur de la région académique d’Île-de-France Christophe Kerrero et la rectrice déléguée à l’enseignement supérieur Bénédicte Durand réagissent à ces évènements. Ils disent condamner « avec la plus grande fermeté cette occupation illégale qui a conduit à des violences inacceptables et à des dégradations importantes » et affirment que « l’ensemble des équipes du rectorat reste mobilisé aux côtés des universités » concernées « afin que la Sorbonne retrouve son fonctionnement habituel ».
Un mouvement qui trouve un écho dans plusieurs campus parisiens
Le mouvement de protestation des résultats du premier tour de la présidentielle a été amorcé plus tôt dans la semaine par un blocus au campus Jourdan de l'Ecole Normale Supérieure-PSL. En parallèle, des manifestations ont eu lieu le jeudi 14 avril sur le campus de Sciences Po Paris rue Saint-Guillaume dans le 7e arrondissement de Paris, et dans celui de Nancy.
Afin de ne pas subir des occupations et d’éventuelles dégradations matérielles :
• l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a décidé de fermer l’ensemble de ses sites parisiens aux étudiants et de passer les enseignements en distanciel jusqu’au 16 avril inclus ;
• Sorbonne Université a fermé son site de Clignancourt et celui du 16 rue de la Sorbonne, jusqu’au 18 avril inclus ;
• l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 a fait de même avec son site de Censier jusqu’à nouvel ordre.
Les cours sont assurés en distanciel dans la mesure du possible.