« Une innovation vaut par sa capacité à s’installer » : l’interview décalée de Benoît Berthou
Par Marine Dessaux | Le | Relations extérieures
Après avoir partagé ses réflexions sur les articles de Campus Matin sur Linkedin, c’est au tour de Benoît Berthou d’être au cœur de l’un d’entre eux ! Dans ce questionnaire d’été, le directeur de la formation continue à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne se livre sur ses sources d’inspiration et ses coups de cœur dans le supérieur.
En ce mois de juillet, (re)découvrez Benoît Berthou, directeur de la formation continue à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et commentateur assidu de presse.
Également administrateur du réseau Formation continue universitaire (FCU), ancien maître de conférences et vice-président en charge des problématiques internationales à l'Université Sorbonne Paris Nord : il se démarque par un parcours particulièrement varié et une capacité à casser les frontières entre les catégories.
Une personnalité qui vous inspire ?
Benoît Berthou : Jean-Michel Catin [ancien journaliste aujourd’hui consultant]. Je lis très régulièrement son blog Universités 2024 et trouve son approche intrigante. « Réfléchir sereinement sur l’université française » pour répondre à « l’indifférence dont est l’objet dans ce pays l’enseignement supérieur »… D’où des articles que j’ai trouvé pour ma part éclairants et incisifs comme les analyses des programmes présentés à l’élection présidentielle ou « Le plus grand défi de Sylvie Retailleau : peser dans la société française ».
Je citerai également la rédaction de Campus Matin (je ne vous flatte pas) pour l’article « Les petites mains du supérieur au bord de l’implosion » et la volonté de s’interroger à l’évolution de professions à propos desquelles nous sommes mal informés, ainsi que les agences d’information spécialisées. Les difficultés de recrutement de l’université, et plus largement la qualité de service, peuvent évoluer en partie grâce à cette prise de conscience.
Si vous étiez un établissement, vous seriez ?
Au risque de voir l’enseignement supérieur et la recherche depuis l’Ile-de-France - où j’opère -, j’en citerai deux : l’Université Gustave Eiffel et CY Cergy Paris Université. Rapprochements entre établissements à « l’ADN » différents (écoles d’ingénieurs, de commerce et universités), développement de nouveaux services pour les chercheurs, enseignants et étudiants, stratégie de marque servant une construction de notoriété (y compris à l’international : entrée fracassante dans les classements pour l’Université Gustave Eiffel !)…
On voit que les politiques publiques, et notamment le label du Programme investissement avenir (PIA) I-site*, a permis d’affirmer une certaine idée de l’enseignement supérieur : des universités, relativement « petites » de surcroit, qui font lien entre établissements et participent d’un rééquilibrage territorial entre Paris et deux départements (Seine-et-Marne et Val d’Oise).
Finalement, l’enseignement supérieur et la recherche viennent enfin donner corps à des schémas directeurs d’aménagement du territoire datant de 60 ans et débouchant sur la création des villes nouvelles (Marne-la-Vallée et Cergy). Ce n’est pas tous les jours qu’une université à l’occasion de participer à l’évolution d’un territoire…
Si vous étiez une technologie ?
Deux des technologies dont j’ai accompagné le déploiement lorsque j’étais vice-président de l’université Sorbonne Paris-Nord en charge du monde économique.
« Diam’s concept », une start-up produisant des diamants de laboratoire grâce à des réacteurs à plasma d’abord installé dans le Laboratoire des Sciences et Procédés des Matériaux. Elle fut créée par une chercheuse, Alix Gicquel, après que celle-ci ait vu le film Blood Diamond qui dénonçait l’inhumaine exploitation des mines de diamants en Sierra Leone.
Je citerai également le « Nutriscore », né au sein de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle sur le campus de Bobigny sous l’impulsion de Serge Hercberg. Conjuguant les expertises de chercheurs en épidémiologie travaillant aussi bien sur l’étiquetage des produits alimentaires qu’exerçant comme nutritionnistes, il a créé le fameux logo « Arc en ciel » gradué de A à E qui est depuis entré dans nos habitudes de consommation. Il s’agit sans aucun doute de l’une des contributions majeures des universités pour la santé publique.
L’innovation digitale de l’année ?
Le learning machine system (LMS) Moodle. Je sais que cette innovation ne date pas de cette année, et a même une longue histoire, mais après tout une innovation vaut avant tout par sa capacité à s’installer dans les pratiques. Et celle-ci a clairement fait son chemin, à tel point que j’ai proposé aux équipes de formation continue de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne de l’institutionnaliser.
Le moyen unique de communication avec et au sein de la promotion de stagiaires
Toutes nos formations ouvrent sur une plateforme Moodle. Celle-ci devient le moyen unique de communication avec et au sein de la promotion de stagiaires (politique « zéro mail » et forums). Les formations sont dotées d’une « salle de cours virtuelle » que les équipes configurent en fonction des besoins (docuthèque, modules d’évaluation…) et attentes et qui sont toutes dotées d’une salle Zoom permettant de redéfinir la frontière « présentiel/distanciel ».
L’impact de cette technologie auprès des acteurs de la formation est sensible. Enrichissant l’environnement de travail du binôme « responsable pédagogique/responsable de formation », elle constitue également une réponse simple à la triple contrainte des stagiaires et étudiants sommés de conjuguer vie personnelle, professionnelle et temps d’étude…
Un mot, une expression que vous ne voulez plus entendre ?
« En mode frugal. » L’expression était courante il y a encore quelques années au sein des administrations centrales, acteurs territoriaux ou directions. Mais on ne savait pas trop ce qu’elle signifiait, si ce n’est qu’il y avait tension sur les budgets et qu’on laissait aux universités le soin de faire des propositions.
Avec la Covid et durant ces deux dernières années, j’ai l’impression que la question des moyens des universités se pose autrement. C’est une bonne chose. On n’hésite pas à préciser nos missions (notamment la vie étudiante, dont l’approche a été bouleversée par la pandémie), et à réfléchir en termes d’appui aux personnels et enseignants, notamment à travers des démarches qualités. On n’est plus dans le « frugal » mais dans le « service », ce qui me semble plus cohérent.
La phrase que vous vous répétez devant votre miroir ?
Ma routine du matin ? Je l’ai récemment renouvelée car j’ai fait l’acquisition d’un miroir connecté qui affiche météo, informations et diffuse podcasts ou émissions fétiches de l’utilisateur. J’écoute, je lis les titres des articles… C’est une façon de m’inscrire dans la journée, de sentir que je participe du « mouvement du monde » et de me demander comment je vais pouvoir contribuer à l’enrichir.
Par contre, je n’ai pas « connecté » mon emploi du temps. Je le consulte par la suite, quand vient le temps de l’action.
Une lecture ou un visionnage à conseiller ?
Un jeu vidéo, Inside, qui m’a littéralement fasciné et auquel j’ai joué sur mon iPad. On incarne un enfant, dont on ne sait rien, si ce n’est qu’on doit le guider pour échapper à un monde terrifiant. Marécages, paysages industriels désertés, geôliers et machines toutes plus dangereuses les unes que les autres. Le tout dessiné dans un superbe noir et blanc : encore plus fort que Georges Orwell et 1984.
Côté lecture, La Horde du contrevent d’Alain Damasio, magnifique épopée dans laquelle un équipage doit remonter vers l’origine d’un monde dont la matière première est l’air en mouvement. La matière n’est qu’une forme transitoire du vent, et le livre ne cesse de jouer avec l’air : joutes poétiques, notations du vent, bande originale qui vient accompagner la lecture. Un petit chef d’œuvre à mes yeux.
Un podcast ?
« Le collimateur », podcast de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem), que j’ai découvert par hasard et que je suis régulièrement. Bien que n’étant pas du tout versé dans les questions de défense, j’apprécie la ligne éditoriale qui oscille entre sujets « grand public » (« Dans le bunker » qui traite de la chose militaire par des films), spécialisés (« Dans le viseur » qui revient sur des opérations militaires ») et géopolitiques. Une belle façon de mettre en valeur un champ de recherche…
Je citerai également « M’as-tu vu ? », un podcast sur le travail social proposé par Alice Evain (école pratique de service social) qui sait mettre des mots sur des métiers proches de « l’invisible » comme elle le dit elle-même, puisqu’il s’agit de se « mettre au soin de » et jamais en avant.
Le parcours de Benoît Berthou
Diplômé en philosophie de l’art de l’École nationale supérieure d’arts Paris Cergy, Benoît Berthou y travaille en tant qu’enseignant dans la filière « communication » et coordinateur d’expositions de 2002 à 2005. Dans le même temps, il complète un doctorat à l'Université Paris Ouest, qu’il soutient en 2004.
De 2005 à 2009, il est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l'Université Toulouse Jean Jaurès. Pendant cette période, il conduit plusieurs projets européens (Erasmus et H2020).
En 2009, il intègre l'Université Sorbonne Paris Nord comme maître de conférences et devient, en 2014 jusque fin 2020, vice-président en charge du monde économique, afin d’œuvrer au développement de la formation professionnelle et du transfert de technologie de l’établissement. Depuis janvier 2021, il est directeur de la formation continue Panthéon-Sorbonne à l'Université Paris 1.
Benoît Berthou est par ailleurs, depuis mai 2021, administrateur du réseau Formation continue universitaire (FCU), en charge des problématiques internationales et à ce titre référent auprès d'Eucen.
*Initiatives science-innovation-territoires-économie.