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Certification en anglais obligatoire, un petit tour et puis s’en va ?

Par Enora Abry | Le | Stratégies

Nouveau rebondissement dans un débat qui dure depuis deux ans : l’obligation d’une certification en langue anglaise pour l’obtention d’un diplôme de premier cycle vient d’être retoquée. Le 7 juin dernier, c’est le Conseil d’État qui a tranché et annulé le décret et l’arrêté imposant cette certification. Quelles sont les conséquences d’une telle décision, après une année d’application ?

Annulation du décret sur la certification en anglais pour le premier cycle, et maintenant ? - © D.R.
Annulation du décret sur la certification en anglais pour le premier cycle, et maintenant ? - © D.R.

C’est une longue lutte entre 15 associations et le ministère qui s’est achevée le 7 juin dernier. En avril 2020, le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a fait paraître un arrêté et un décret prévoyant l’obligation pour les universités de faire passer une certification de langue anglaise à leurs étudiants de premier cycle (BTS, DUT, licence), une condition sine qua non à l’obtention de ces diplômes.

Si vous avez manqué les épisodes précédents

L’objectif ? Permettre aux étudiants d’avoir un niveau de langue attesté par un organisme reconnu par le monde socioéconomique et ce, à l’international. Une manière de généraliser, grâce au soutien de l’État ce que les écoles d’ingénieurs et de commerce exigent déjà de leurs étudiants. C’était une volonté du Premier ministre d’alors, Édouard Philippe, qui l’avait annoncé dès février 2018. 

Quelles critiques ? Pour les associations d’étudiants ou de linguistes qui ont saisi le Conseil d’État en septembre 2020, cette certification constitue une atteinte au plurilinguisme en mettant en avant l’anglais et engendre un dessaisissement de la politique linguistique des universités en externalisant les tests au privé.

Quelles étapes de mise en place ? L’État signe en novembre 2020 un contrat de quatre ans avec PeopleCert, un organisme britannique qui devait être en charge des certifications. Face aux contestations venues des universités, mais aussi à l’épidémie de Covid rendant impossible les sessions d’examens en présentiel, le contrat est arrêté par le ministère, en mai 2021.

L’obligation d’une certification ne disparait pas pour autant et il revient alors aux universités de faire le choix de leur prestataire. Le ministère, qui devait financer le marché national initial, s’engage à poursuivre l’effort aider les universités à hauteur de 30 euros par étudiant.

De 2020 à 2022, les universités sur le pont

Les établissements ont eu deux ans pour mettre en place cette certification concernant plusieurs milliers d’étudiants par université. Un travail à grande échelle en un temps record. À l’Université de Lorraine, Séverine Klipfel, directrice de la formation, a d’abord essayé la formule en présentiel de People Cert avant de se tourner vers ETS Global pour une formule 100 % en ligne, supposée moins contraignante.

Et pourtant : « Nous n’avions pas imaginé l’ampleur du dispositif qu’il allait falloir déployer. On ne peut pas connecter sur un serveur, sur les mêmes plages horaires, plus de 10 000 étudiants. Il a donc fallu s’organiser avec nos 40 composantes. Nos collègues se sont retrouvés submergés. »

La décision du Conseil d’État change tout

Patatras, le 7 juin dernier, le Conseil d’État annule le décret du 3 avril 2020 et l’essentiel de l’arrêté du même jour. Il donne raison aux associations : le décret contrevient à l’article L.613 du code de l’éducation, puisque celui-ci prévoit que les diplômes « ne peuvent être délivrés qu’au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes appréciés par les établissements accrédités à cet effet ».

Autrement dit : l’obtention d’un diplôme ne doit pas dépendre d’un organisme privé extérieur aux établissements.

Une exception pour les licences professionnelles

Surprise et subtilité néanmoins : l’arrêt n’englobe pas les licences professionnelles dont l’obtention est toujours « subordonnée à la présentation d’au moins une certification en langue anglaise faisant l’objet d’une évaluation externe et reconnue au niveau international et par le monde socioéconomique », selon l’article 12 de l’arrêté du 6 décembre 2019, qui n’était pas ciblé par le recours.

Il s’agit pourtant de la même problématique : assujettir la délivrance d’un diplôme à l’accréditation d’un organisme extérieur. La situation de cet arrêté est désormais fragile et susceptible de recours.

Une décision qui engendre des pertes financières

La fin de cette obligation arrivant après la signature des contrats et la passation des tests par de nombreux étudiants, les établissements ont déjà engagé des frais : 500 000 euros pour Aix-Marseille Université, 350 000 pour l’Université de Lorraine, 20 000 pour l’Université de Poitiers, 17 000 pour l’Université de Nîmes.

Face à cela, le ministère assure qu’il « continuera à soutenir le financement de la certification en langue anglaise » et conserve la politique qu’il avait préalablement établi selon laquelle les établissements doivent faire remonter leur nombre et la facture correspondante pour être remboursé sur la base d’un forfait d’un montant de 30 euros, indique-t-il à News Tank Éducation et Recherche (abonnés).

Un montant qui peut être jugé insuffisant, sachant qu’une évaluation de type Toeic coûte entre 40 et 50 euros.

Et maintenant ?

Pour quatre des cinq universités interrogées par Campus Matin, les contrats signés avec les organismes extérieurs ne sont pas contraignants pour les prochaines années puisque ceux-ci ne s’étalaient que sur un an, ou correspondaient à un nombre de tests à réaliser. Seule Aix-Marseille Université est engagée pour deux ans, « une situation sur laquelle les services juridiques se penchent bien qu’aucune décision n’ait été prise à ce stade », indique Tom Grainger directeur du service des langues de la faculté des sciences d'Aix-Marseille Université.

Poursuivre la certification sur base du volontariat

Bien qu’il soit encore trop tôt pour savoir ce que les universités comptent faire de cette décision du Conseil d’État, certaines ont déjà une petite idée : poursuivre la certification sur la base du volontariat sans que celle-ci interfère avec la diplomation.

Car si ce décret a été largement décrié, l’idée d’une certification ou d’une évaluation n’est pas entièrement rejetée par les établissements. Le débat réside autour de la manière de faire. 

« Un test créé par des chercheurs de l’Université Grenoble Alpes et dont la modulation a été financée par le ministère me semble convenir parfaitement. C’est un test de positionnement  pour connaitre son niveau et non pas de certification. Il est de très grande qualité. De plus, les coûts sont moindres étant donné qu’ils ne correspondent qu’à la maintenance du serveur à distance », propose Delphine Hermès, directrice de la maison des langues de l'Université de Picardie Jules Verne

Noëlle Duport est vice-présidente en charge de formations à l’Université de Poitiers - © D.R.
Noëlle Duport est vice-présidente en charge de formations à l’Université de Poitiers - © D.R.

De son côté, Noëlle Duport, de l’Université de Poitiers, se dit « très attachée au Cles », une certification d’État de niveau académique, accrédité par le ministère. Cependant cette solution n’a pas été mise en avant par le ministère, le Cles ayant peu de reconnaissance à l’international. À cette réticence, s’ajoute le fait que cet organisme ne propose pas de solution en distanciel et est par conséquent « trop gourmand en ressources humaines », selon Tom Grainger. 

Sylvain Olivier, vice-président formation de l’Université de Nîmes, soulève à nouveau le débat autour du plurilinguisme qu’avait engendré la parution du décret.

« À l’Université de Nîmes, nous n’étions pas forcément contre une certification si tant est qu’elle s’adapte à nos étudiants. Certains font allemand, espagnol, italien. De plus, à quoi sert une certification qui s’obtient même si on n’a pas le niveau ? »

La certification, une idée que les établissements jugent donc intéressante, mais qui gagnerait à être revue, en accord avec les universités et les enseignants concernés.