Vie des campus

Mathématiques : le gouvernement cherche la formule

Par Marine Dessaux | Le | Stratégies

En perte de vitesse depuis la réforme du baccalauréat de 2019, l’enseignement des mathématiques était au cœur des échanges lors des Assises des mathématiques, du 14 au 16 novembre dernier. Mesures pour le supérieur et le scolaire, état des lieux dressé par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur : Campus Matin vous résume les enjeux.

un programme français pour les mathématiques doit voir le jour à horizon 2030. - © Pexels/Karolina Grabowska
un programme français pour les mathématiques doit voir le jour à horizon 2030. - © Pexels/Karolina Grabowska

« L’apprentissage des mathématiques est un enjeu majeur des décennies qui viennent », introduit Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), lors des Assises des mathématiques, organisées par le CNRS à la maison de l’Unesco à Paris, le 14 novembre.

Pour améliorer la position française, le lien scolaire-supérieur-recherche est au cœur des objectifs fixés et mesures annoncées ces dernières semaines.

Un constat d’urgence dans le supérieur

Un risque de déclassement, si la France ne mise pas sur son école de mathématiques : c’est l’avertissement qu’émet le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), dans un bilan publié le 9 novembre, juste avant l’ouverture des assises.

« L’École mathématique française fait face à deux défis : maintenir son rang à l’international et développer des mécanismes lui permettant d’irriguer le tissu socioéconomique du pays », estime Marc Peigné, à la tête du comité de 16 personnes à l’origine de la synthèse nationale et de prospective sur les mathématiques.

Quatre aspects ont particulièrement alerté le professeur à l’Université de Tours et ses collègues : un tassement de l’activité et une baisse de l’attractivité, la faible intégration de docteurs dans les entreprises françaises en regard de leurs compétences, la fragilité du réseau des mathématiques françaises et les faiblesses de l’enseignement dans les premier et second degrés en France.

Des résultats en berne et des recrutements difficiles

Antoine Petit est PDG du CNRS. - © Frédérique Plas / CNRS Photothèque ;
Antoine Petit est PDG du CNRS. - © Frédérique Plas / CNRS Photothèque ;

Le constat du Hcéres est partagé par le président-directeur général du CNRS, Antoine Petit, à l’initiative des Assises des mathématiques. Il dresse un bilan alarmiste :

« Les résultats des enquêtes internationales Timss [Trends in Mathematics and Science Study, NDLR] et Pisa [Programme international pour le suivi des acquis des élèves, NDLR] sont de plus en plus mauvais et deviennent même honteux. »

Si la France reste une terre d’excellence pour les mathématiques, en témoigne l’obtention de 13 prestigieuses médailles Fields, les signaux d’alerte s’accumulent.

En France, les effectifs d’enseignants-chercheurs en mathématiques ont baissé de 8 % entre 2000 et 2020 alors que les besoins de recherche en interaction entre les mathématiques et les autres disciplines explosent, selon Stéphane Jaffard, coordinateur des Assises.

Une matière par ailleurs vitale pour l’industrie. Une étude sur l’impact économique des mathématiques en France, publiée par le CNRS en septembre 2022, montre que 3,3 millions d’emplois sont concernés par cette science, soit 13 % de l’ensemble des 25,4 millions d’emplois salariés en France en 2019.

Le gouvernement additionne les mesures 

Pour une excellence française dans les mathématiques au plus haut niveau, les efforts commencent dès le scolaire. Et par la promotion de cette matière auprès des filles.

« Réconcilier tous les élèves avec les mathématiques, continuer à promouvoir l’excellence, encourager l’égalité filles-garçons »  : ces objectifs ont été affichés par Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse (MENJ), en amont des Assises des mathématiques. Ainsi, 2023 doit être « l’année de promotion des mathématiques à l’école ».

Remettre les maths au centre de l’enseignement scolaire

Le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Pap Ndiaye, était également présent lors des Assises des mathématiques. - © NT
Le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Pap Ndiaye, était également présent lors des Assises des mathématiques. - © NT

Le ministre a annoncé aux assises la réintégration des mathématiques dans le tronc commun dès la première. Une mesure qui faisait partie des promesses de campagne d’Emmanuel Macron. Le président de la République revient ainsi sur la réforme mise en œuvre en 2019 par le prédécesseur de Pap Ndiaye, Jean-Michel Blanquer, et qui en rejoint plusieurs autres, étalées du premier au second degré.

Parmi elles, la parité en option “maths expertes” qui devra être atteinte pour la fin du quinquennat. Ce qui revient en moyenne à convaincre quatre filles supplémentaires par lycée, selon les estimations du ministère.

Des initiatives qui devront être couplées à des recrutements : « 400 à 425 postes en équivalents temps plein », estime le ministre, interrogé par Les Échos le 13 novembre. Le ministre confie par ailleurs une mission d’ambassadeur à Hugo Duminil-Copin, médaillé Fields, pour porter auprès de la jeunesse un message positif sur les mathématiques.

Dans l’ESR, un programme à horizon 2030

La ministre de l’ESR, Sylvie Retailleau s’est exprimée en ouverture des assises le 14 novembre 2022. - © CNRS
La ministre de l’ESR, Sylvie Retailleau s’est exprimée en ouverture des assises le 14 novembre 2022. - © CNRS

Sylvie Retailleau annonce de son côté vouloir suivre la recommandation du Hcéres qui suggère la mise en place d’un programme français pour les mathématiques à horizon 2030.

« Il faut augmenter le dépôt des projets de recherches en mathématiques déposés auprès de l’Agence nationale de la recherche dont les moyens ont été augmentés dans le cadre de la loi de programmation de la recherche. Le ministère est prêt à engager avec vous un travail de fond pour y parvenir », dit-elle.

Elle appelle aussi à « faire évoluer l’offre de formation doctorale », notamment « en renforçant les partenariats avec le monde socio-économique, via le dispositif Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre) », et à « mieux valoriser les actions de formation et de médiation scientifique contribuant à l’attractivité des sciences et des mathématiques en particulier, avec un focus sur l’attractivité des femmes ».

Un appel à manifestation d’intérêts et des bourses

Bruno Bonnell est secrétaire général pour l’investissement. - © Fondation Sciences Mathématiques de Paris
Bruno Bonnell est secrétaire général pour l’investissement. - © Fondation Sciences Mathématiques de Paris

Sur les 3 milliards réservés à l’appel à manifestation d’intérêts (AMI) Compétences et métiers d’avenir, 100 000 euros seront dédiés à l’attractivité des mathématiques, déclare le secrétaire général pour l’investissement (SGPI), Bruno Bonnell, le 15 novembre. 

L’initiative du SGPI se matérialise sous la forme d’un AMI « relativement générique » avec pour objectif de « réenchanter les mathématiques ». À la même occasion, Bruno Bonnell évoque l’idée de bourses pour favoriser l’excellence en mathématiques dans le cadre de France 2030. 

« Nous pouvons obtenir des financements pour des jeunes talents, ou des talents qui veulent s’établir ici avec leurs équipes, en totale collaboration avec les organismes de recherche nationaux », poursuit-il.

Mieux former les enseignants

Un axe sur la formation des futurs enseignants aux mathématiques a également été évoqué par le président de France Universités, Manuel Tunon de Lara :

« L’exigence d’enseignement des mathématiques dès l’école passe par la mise en place dès la licence d’un parcours spécifique pour les étudiants se destinant au professorat des écoles. Ce parcours serait construit autour de deux pôles, français et humanités d’un côté, et sciences et mathématiques de l’autre, sans que le jeu des compensations vienne altérer l’acquisition des fondamentaux. »