Ex-universitaire de Kaboul, Victoria Fontan veut créer une université pour la diaspora afghane
Par Marine Dessaux | Le | Personnels et statuts
En poste à l’université américaine de Kaboul, Victoria Fontan savait en y arrivant que la situation en Afghanistan était critique. Mais elle ne s’attendait pas à devoir fuir le pays. Elle raconte son expérience hors du commun ainsi que ses projets pour continuer sa mission auprès de la communauté étudiante afghane.
Vice-présidente des affaires académiques de l’Université américaine de Kaboul, Victoria Fontan a été témoin de premier plan de la prise du pouvoir par les islamistes. Son établissement, privé et financé en partie par la Maison Blanche, est l’une des cibles des Haqqani, un des groupes les plus meurtriers parmi les Talibans. En 2016, déjà, une attaque terroriste et le kidnapping de deux professeurs donne le ton du niveau de tension dans lequel se trouve le pays.
« Je savais que ma mission était dangereuse dès mon arrivée en janvier 2019, à l’époque il y avait une attaque terroriste par semaine à Kaboul. Cela s’est accéléré depuis les négociations de paix avec les États-Unis. En février 2021, il y avait quatre attaques par jour. Le chancelier de l’Université de Kaboul se remettait tout juste d’une attaque qui a fait vingt-deux morts en novembre dernier… », témoigne la Française.
Et l’université américaine fondée en 2006 se préparait au pire : équipée de murs en béton armé et d’une tour balistique « avec un contingent de Gurkhas népalais près à tirer », elle vivait en vase clos. « La spécificité de notre établissement est d’utiliser les valeurs des arts libéraux : ces derniers forment à la pensée critique, à l’ouverture sur le monde », précise Victoria Fontan.
Une exfiltration dans l’urgence
Faire le relai pour mettre les étudiants dans l’avion
Lorsque Kaboul tombe, la vice-présidente garde la tête froide. « Le jeudi soir, nous avons décidé de partir. Le vendredi, j’ai fait mes valises puis, jusqu’au dimanche, nous avons brûlé un maximum de documents comportant le nom des étudiants et enseignants. Nous avions un grand foyer à l’américaine, un fire pit, que l’on allumait le vendredi soir en amont du week-end. Il nous a cette fois servi à faire de grands feux et détruire les données compromettantes. Comme nous nous étions débarrassés des serveurs et que notre campus virtuel n’existait plus, il a également fallu extraire à la main la liste des étudiants à faire sortir du pays, puis faire le relai pour les mettre dans l’avion. »
Alors que Victoria Fontan espère être exfiltrée avec trois collègues et quatre étudiants, ils sont tous les huit pris en otages, mais finissent par être libérés après négociations… Les étudiants, eux, ne sont pas conduits vers l’aéroport mais réussiront plus tard à prendre un avion pour le Qatar.
Continuer l’enseignement à distance
Interviewée dans plusieurs médias, Victoria Fontan affiche depuis son retour en France un calme et une volonté d’avancer surprenants. Dès début septembre, elle prépare la rentrée en distanciel pour ses étudiants, désormais éparpillés entre différents pays. « Nous avons exfiltré 37 étudiants, 100 sont partis d’eux-mêmes au Pakistan ou d’autres régions voisines. Je pense avoir environ 200 étudiants à distance cette année contre 950 l’année dernière. Certains ne pourront pas quitter le pays, particulièrement les 40 % de femmes qui suivaient nos cursus : certaines familles ne voudront pas qu’elles partent seules. »
Entre les attentats et la crise sanitaire, le système d’apprentissage à distance de l’université est bien rodé. « Nous avions préparé toute une mise à jour en ligne. Pour tout ce qui est LMS on était bons également. Et puis, il faut que nous continuions : notre bailleur de fond nous a dit que si les enseignements ne se poursuivaient pas, l’université fermait. »
Imaginer une université pour la diaspora afghane
Avec toute cette pression, comment l’universitaire tient-elle le choc ? Une partie de la réponse se trouve certainement dans sa formation dédiée à l’enseignement supérieur dans l’urgence. « Mon domaine de recherche porte sur les processus de paix et la résolution des conflits. J’ai ouvert des programmes en Somalie, au Congo, en Irak et au Sri Lanka », explique-t-elle.
Cela tient aussi à sa mission : « C’est dans ces milieux difficiles que l’on voit les effets de notre travail : nous avions d’anciens étudiants qui travaillaient dans le bureau du président afghan, des alumni qui avaient réussi à avoir une action impactante dans tout ce qui était administration post-talibans. »
Aujourd’hui néanmoins, impossible d’imaginer qu’une telle université réouvrir ses portes en Afghanistan. L’objectif de Victoria Fontan est d’établir « une université pour l’Afghanistan dans le monde » qui « réunisse la diaspora afghane et oriente ses cursus vers les problématiques du moments : la résistance non-violente, le journalisme citoyens »…
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