Accueil des chercheurs et étudiants afghans : les universités entre volontarisme et incertitudes
Par Marine Dessaux | Le | Relations extérieures
Après l’émotion et les appels à la solidarité envers les chercheurs et étudiants afghans, comment s’organisent le programme Pause et réseau Migrants dans l’enseignement supérieur ? Point d’étape sur l’implication des établissements français dans cette crise.
Le 15 septembre dernier, le ministère français de lʼenseignement supérieur, de la recherche et de lʼinnovation (Mesri) a octroyé un financement supplémentaire au Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et artistes en exil (Pause). D’un montant de 500 000 euros, cette subvention s’ajoute de manière pérenne à une dotation annuelle de 2 millions d’euros.
Cette annonce intervenait à l’occasion de la signature de la nouvelle convention quinquennale entre le ministère et le Collège de France, pilote du programme Pause.
Après la prise de pouvoir des Talibans en Afghanistan en août 2021, « de très belles initiatives ont été prises par des établissements et des associations pour lever des fonds ou pour accueillir des chercheurs et des artistes menacés », a salué la ministre, Frédérique Vidal lors de l’événement.
Mobilisation du sup’ …
Cette mobilisation des établissements d’enseignement supérieur pour l’accueil des chercheurs, l’équipe de Pause en est témoin. « Nous travaillons habituellement en collaboration avec un noyau dur d’une demi-douzaine d’établissements qui sont très impliqués dans l’accueil », indique Laura Lohéac, directrice exécutive de Pause.
« Certains établissements s’engagent particulièrement en réponse à la crise afghane, comme l’Inalco, qui a lancé à travers sa fondation une campagne de crowdfunding parrainée par Ariane Mnouchkine pour permettre l’accueil de chercheurs et d’étudiants afghans. L’association des écoles d’art et l’Atelier des artistes en exil, quant à eux, se mobilisent pour l’identification et l’accueil d’artistes dans des écoles d’art sous tutelle du ministère de la culture », ajoute-t-elle.
Responsable Europe et international à Pause, Marion Gues remarque un « engagement de certaines présidences qui avec peu de moyens, accueillent beaucoup ».
Du côté des étudiants, « 40 universités ont déjà un dispositif d’accueil d’étudiants réfugiés, elles sont armées et prêtes à aider ces gens », indique Annick Suzor-Weiner, vice-présidente du réseau Migrants dans l’enseignement supérieur (Mens).
… mais une situation toujours floue
Tout ce que nous pouvions faire était d’attendre
Néanmoins, la situation a d’abord été floue sur les actions à mener. « Que ce soit au niveau national ou international, il a été très difficile d’obtenir des informations sur la situation en Afghanistan. Pendant longtemps, les vols ont été immobilisés et la seule option pour les personnes en danger était de passer une frontière voisine dans l’espoir d’obtenir un visa. Une démarche dangereuse que nous ne pouvions pas encourager. Tout ce que nous pouvions faire était d’attendre », témoigne Laura Lohéac.
Concernant la vingtaine de chercheurs identifiés par Pause, ainsi que leurs conjoints et enfants, il s’agit pour l’équipe de « trouver un point de chute puis une université d’accueil », explique Marion Gues, ainsi que d’aider ceux qui sont en France.
Des levées de fonds pour tous les chercheurs et artistes en exil
Le second financement européen dont Pause bénéficiait depuis juin 2019, s’élevant à 3 millions d’euros par an, s’est achevé en juin dernier. Pour compléter ce manque, Pause doit désormais lever des fonds pour abonder les 2,5 M€ que lui verse le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche français.
Si aujourd’hui le grand public est sensibilisé à l’urgence de la situation afghane, pour Pause l’enjeu est de pouvoir répondre aux besoins d’accueil de scientifiques et d’artistes fuyant les persécutions et les contextes de crise partout dans le monde. Ce qui nécessite que les fonds levés puissent être mobilisés pour l’ensemble des candidats pas uniquement fléchés à destination de la crise afghane.
« Nous allons nous tourner en priorité vers nos partenaires institutionnels, mais avons besoin d’un soutien large de l’ensemble des donateurs, mécènes et de la générosité du public », explique Laura Lohéac.
L’action du réseau Mens pour venir en aide aux étudiants
Le réseau Migrants dans l’enseignement supérieur est particulièrement engagé, en collaboration avec la Conférence des présidents d’université (CPU) et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi), pour les étudiants en Afghanistan.
Annick Suzor-Weiner, vice-présidente du réseau Mens gère, pour l’Agence universitaire de la Francophonie, un programme de soutien aux établissements qui accueille des réfugiés. Elle décrit les actions effectuées selon les profils d’étudiants :
- « Pour ceux qui sont déjà étudiants en France ou réfugiés, nous continuons à les accompagner comme d’habitude. Beaucoup d’entre eux sont inscrits en diplôme universitaire Passerelle qui leur permet notamment de se perfectionner en français.
- Par ailleurs, nous portons nos efforts sur les étudiants qui sont déjà inscrits dans un établissement français et qui sont partis en Afghanistan pendant l’été ainsi que ceux qui ont déjà postulé avant la crise et sont admis (plus d’une trentaine d’étudiants). L’objectif est de leur permettre de venir en France grâce au visa étudiant octroyé par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
- Enfin, pour les autres qui nous contactent (une cinquantaine), nous relevons leur nom et espérons les aider, mais ce ne sera pas pour tout de suite. »
Concrètement, « pour les étudiants qui sont inscrits, nous essayons de les faire venir le plus vite possible, il manque juste une place d’avion et les vols reprennent à destination d’Islamabad. Pour les autres, il leur faut obtenir un visa étudiant, mais comme il n’y a pas de consulat français en Afghanistan pour l’instant, il faut se rendre dans un pays voisin, ce qui est assez complexe ».
Envisager de nouvelles bourses spécifiques ?
Sur la question de l’accompagnement financier, les bourses du gouvernement français seront distribuées comme chaque année aux étudiants réfugiés les plus en détresse. Néanmoins, cela reste un nombre limité et le réseau Mens suggère l’extension de l’usage des bourses spécifiques délivrées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui avaient été mises en place pour les étudiants syriens.
« Nous avons poussé l’idée de bourses spéciales, explique Annick Suzor-Weiner, mais aucune décision n’a été prise. La période étant instable, il est encore difficile de connaître l’état des relations diplomatiques à l’avenir. »
Néanmoins, malgré les premières aides mises en place pour les étudiants, le plus compliqué reste de laisser leur famille derrière eux. « C’est vraiment très poignant dans le discours des étudiants afghans en France : l’inquiétude pour leurs proches. Car très rares sont les familles qui ont pu prendre l’avion ensemble. »